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Les 28 face à l’Ukraine. Faut-il sanctionner ? Comment aider ?

Les ministres suédois C. Bildt et polonais R. Sikorski adeptes des sanctions contre l'Ukraine (crédit : Th. Monasse)
Les ministres suédois C. Bildt et polonais R. Sikorski adeptes des sanctions contre l'Ukraine (crédit : Th. Monasse)

(BRUXELLES2) L'Union européenne « reste prête à répondre rapidement à toute détérioration sur le terrain ». C'est par cette phrase, plutôt sibylline, que les ministres des Affaires étrangères des " 28 "ont entendu indiqué, lundi (10 février), que des sanctions pourraient être prononcées.

Jusqu'à la réunion des ministres, cette phrase était d'ailleurs restée, entre crochets, c'est-à-dire en discussion, indiquant une division entre certains Etats partisans de mesures de rétorsion rapides et la plupart des autres, assez réticents, voire hostiles. La discussion a été « longue » comme le reconnait un participant à la réunion, avec à l'esprit « d’insérer une perspective de sanctions ». On peut noter ainsi que le mot même de "sanctions" n'est pas prononcé. Et il faut être un expert diplomatique pour détecter, dans cette phrase qui figure en tête des conclusions, une telle mesure qui n'est pas encore au stade de l'exécution. De la même façon, la notion d'une possible aide financière que les Européens pourraient adopter a été « longuement » discutée et sa mention.

Les partisans des sanctions

Plusieurs pays poussaient à la mise en place de mesures à l'encontre de responsables ukrainiens : la Suède, la Lituanie et la Pologne notamment ainsi le Royaume-Uni ou la République Tchèque. Pour le ministre lituanien des Affaires étrangères, Linas Linkevičius, ce durcissement de ton du Conseil, est nécessaire. « Si le gouvernement [ukrainien] intervient ou s'écarte des normes démocratiques de l'Union européenne, l'UE doit être prête à réagir rapidement si nécessaire, même en introduisant des mesures restrictives ». Quant à son homologue suédois, Carl Bildt, il affirme avoir essayé de « contribuer à une solution politique, démocratique et européenne au problème » en Ukraine.

La diplomatie d'abord

Une large majorité d'Etats membres était, assez, réticente à l'idée d'imposer des sanctions, notamment l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche, le Luxembourg, l'Irlande ou la France. Coté italien, on estime ainsi que « le dialogue (en cours) doit d'abord être mené à son terme ». Pour le ministre autrichien, Sebastian Kurz, « mettre en place des sanctions n'a aucun sens ». « Il faut peut-être l’envisager. (Mais) pour tous les collègues, le moment n’est pas venu », renchérit son homologue luxembourgeois Jean Asselborn.

Au Service diplomatique européen (SEAE), on partage également un certain scepticisme à l'idée d'imposer des sanctions. Au moment où les Européens tentent de renouer les fils du dialogue, « sanctionner pourrait s'avérer contreproductif » souligne ainsi à B2 un diplomate européen. « Ce que nous visons est la désescalade du conflit, l'arrêt des violences... » commente un autre.

Si sanctions, celles-ci doivent être ciblées

En fait, « personne ne voulait de sanctions immédiates et générales » comme l'a résumé, à l'issue de la réunion, Thierry Repentin, le ministre français délégué aux Affaires européennes (qui remplaçait Laurent Fabius en déplacement aux Etats-Unis avec le président Hollande). La menace de « sanctions si la situation se dégrade est (en revanche) un message clair à celles et ceux qui seraient touchés par ces sanctions. » Ces sanctions seraient « ciblées », selon le ministre, et pourraient viser « ceux qui retarderaient le chemin vers la démocratie » de l'Ukraine. Ce « renforcement de la démocratie » étant un objectif des Européens

Des sanctions, sur quelle base ?

La moindre des difficultés dans l'établissement de sanctions (gel des avoirs et/ou interdiction de visas) est, aussi, a pu constaté B2, de voir sur quelle base édicter ces sanctions. Faute de résolution internationale (du Conseil de sécurité des Nations-Unies), celles-ci devraient ainsi être édictées sur une base autonome par l'Union européenne. Cela nécessite d'avoir des faits précis et avérés à reprocher à des personnes, nommément désignées, ainsi que de trouver un motif valable devant les tribunaux. La jurisprudence des tribunaux européens, renforcée au fil des arrêts, exige, en effet, une "motivation" sinon complète, du moins solide.

Une aide financière à l'Ukraine aussi discutée

Versant positif de la discussion sur les "sanctions", les "28" ont également abordé l'aide financière que pourrait apporter l'Union européenne sur ce sujet. Une question tout aussi délicate qui a suscité également une longue discussion, avec grosso modo, les mêmes soutiens et les mêmes réticences. « On a beaucoup discuté sur la question de la possibilité de fournir une aide financière à Kiev » a confirmé le ministre polonais des Affaires étrangères, Radek Sikorski, à la sortie.

Un engagement de principe

Au final, les 28 ont réitéré un engagement de principe : « L'Union européenne est prête à poursuivre ses efforts, avec la communauté internationale et les institutions financières internationales, pour assister l'Ukraine, dans le cadre de conditions bien établies afin de trouver un moyen soutenable de surmonter sa situation économique difficile » (*). Mandat a été donné au Haut représentant et à la Commission de « continuer leurs efforts dans ce sens ». Mais aucun montant de l'aide financière n'a été discuté par les Etats membres.

strictement conditionné

Ainsi que le fait remarquer un diplomate à B2, cette aide européenne et internationale reste cependant conditionnée au respect de plusieurs critères. Le mot-clé de la phrase des conclusions du Conseil est "in line with well-established conditions". « L'Ukraine a beaucoup de possibilités pour obtenir des financements internationaux, notamment du Fonds monétaire international, de la Banque européenne d'investissement ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. D'autres options pourraient être développées avec un soutien macroéconomique (européen) ou en utilisant les ressources de la Commission européenne » détaille-t-on côté polonais. Mais, pour recevoir de l'aide, « l'Ukraine doit adopter des réformes. Une économie qui évite les réformes ne recevra pas d'argent », a ainsi expliqué le ministre polonais Radoslaw (Radek) Sikorski.

La crainte de la corruption

Plusieurs pays ont cependant quelques doutes à l'idée de déverser des millions d'euros dans un pays où règne la corruption. Une inquiétude qu'a reflétée le ministre luxembourgeois des affaires étrangères, Jean Asselborn, devant les journalistes. « Quand on voit qu'un ex-Premier ministre (NB : Azarov) est parti (à l'étranger) et qu'il y a de forts soupçons qu’il soit très riche », il est « difficile pour les pays de l’ouest d’investir des capitaux ou des grosses sommes » dans le pays. Et d'ajouter : « Nous avons un grand doute sur les autorités au pouvoir dans l’Ukraine. » Lire aussi sur B2 : Juger Azarov ?

Un soutien d'expertise

Le soutien européen pourrait donc se concentrer, de manière assez pratique, pour aider l'Ukraine, à « contourner certaines restrictions commerciales » ou « trouver de nouveaux marchés pour les produits ukrainiens », souligne-t-on coté polonais. La disponibilité de l'Europe, mentionnée dans les conclusions, à « fournir le soutien d'experts dans les domaines jugés utiles » (**) concerne a priori les réformes d'ordre démocratiques mais pourraient aussi concerner le domaine des réformes économiques. « Nous devons pouvoir fournir des experts ou un soutien commercial, afin d'éviter que les (éventuels) boycotts de produits ukrainiens ne parviennent à leurs objectifs politiques » considère ainsi Radek Sikorski.

(Nicolas Gros-Verheyde et Loreline Merelle)

(*) the EU is ready to further pursue its efforts with the international community and international financial institutions to assist Ukraine, in line with well-established conditions, to find a sustainable way out of its difficult economic situation

(**) The EU stands ready to provide expert support in all areas judged useful and encourages Ukraine also to draw on the expertise of international organisations such as the Council of Europe, the OSCE and the United Nations

Télécharger ici les conclusions.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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