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Coopération Structurée Permanente : arrêtons d’en parler. Faisons là !

(B2) Chacun parle aujourd'hui d'une relance de l'Europe par la défense. Le mini-sommet » de Versailles s'en est fait l'écho (1), ce point devrait être inclus dans la Déclaration de Rome, le 25 mars. Encore faut-il créer, au-delà des mots, une dynamique concrète. C'est l'opinion de Frederic Mauro, qui vient de publier une étude pour le GRIP, sur la Coopération structurée permanente

Unanimité des 28 : pas besoin de modifier les traités

Si le constat est simple à dresser – l’Union européenne peut se relancer par la défense – les voies pour atteindre cet objectif le sont moins. Certes, il y a unanimité sur un point essentiel : pas de modification des traités. Contentons-nous, selon la formule consacrée de « mobiliser le potentiel complet du Traité de Lisbonne » en ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et en particulier la Coopération structurée permanente (PESCO). C’est là que les opinions divergent, notamment entre la France et l’Allemagne.

Qu'est ce que la PESCO ?

La PESCO est l’une des deux pièces maîtresses (l’autre étant l’Agence européenne de défense) d’un dispositif sophistiqué qui aurait dû être mis en œuvre dès la ratification du Traité de Lisbonne et qui ne l’a pas été. Il s’agissait d’aboutir progressivement à une « défense commune » en passant par une première phase intermédiaire : la PSDC. Tout cela en restant dans un cadre intergouvernemental où les décisions se prennent à l’unanimité, sauf celle d’établir la PESCO. L’objectif de cette construction était de mettre en place une « capacité autonome » reposant sur des moyens militaires crédibles et la volonté de les utiliser, afin de permettre à l’Union de gérer des crises dans son voisinage immédiat sans nécessairement implorer l’aide des Américains et ne plus assister impuissante à un génocide en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou ailleurs, comme elle eût à le faire jadis.

Des opinions divergentes sur la méthode...

Pour simplifier, l’Allemagne voudrait établir la PESCO le plus rapidement possible car ses dirigeants ont bien compris le piège mortifère de l’inaction, d’autant que se profilent des élections en septembre prochain. La France au contraire dit : « oui, mais pas tout de suite et pas n’importe comment ». Cette attitude qui pourrait paraître de bon sens à quelques semaines de l’élection présidentielle ne doit pas dissimuler la pusillanimité de nos dirigeants actuels ni leurs réticences marquées vis-à-vis de la défense européenne.

... et surtout sur la définition de la PESCO

Au-delà de ces divergences de méthode, la controverse porte sur des questions de fond et se cristallise autour de cinq mots : inclusivité/sélectivité, opérationnelle/capacitaire et modularité. La PESCO doit-elle être mise en œuvre par le plus grand nombre possible d’États membres ou seulement par quelques-uns, laissant apparaître de la sorte une « Europe à plusieurs vitesses » ? Doit-elle être axée autour de la constitution de capacités militaires ou également déboucher sur des engagements opérationnels ? Enfin, son objectif est-il de permettre la constitution de « modules » autour de projets à géométrie variable ? En l’état actuel des discussions l’Allemagne incline en faveur d’une PESCO « inclusive », « capacitaire » et « modulaire », alors que la France la voudrait « sélective » et « opérationnelle ».

Un débat indigne

Ce débat est indigne et montre l’incapacité des dirigeants nationaux à prendre des décisions concrètes. Car tout est dans le Traité sur l’Union européenne (TUE). Il suffit de le lire en se référant à l’intention de ceux qui l’ont inspiré.

Le temps est à l'action

La défense européenne est une vieille idée. Mais son incarnation juridique est récente. Elle a l’âge du traité de Lisbonne : sept ans. Alors donnons-lui une chance de grandir. Ou alors passons à autre chose, car à force de le dire sans le faire les dirigeants nationaux ressemblent à ces chœurs d’opéra qui chantent « marchons, marchons » et qui restent sur place. Si nos dirigeants croient vraiment en ce qu’ils disent, qu’ils le fassent !

La PESCO doit être sélective

Dès lors, les réponses sont claires à énoncer et les mots pour le dire viennent aisément. Premièrement, la PESCO doit être sélective, car elle est l’expression juridique d’une avant-garde. Mais, de grâce, ne commettons pas les mêmes erreurs qu’à Maastricht et ne fixons pas des critères si exigeants que personne ne pourra les soutenir dans la durée. Fixons-les au niveau adéquat pour permette de disposer d’une capacité autonome. C’est cela l’objectif. Ni plus, ni moins.

Des engagements opérationnels doivent suivre ...

Deuxièmement, la PESCO doit porter aussi sur des engagements opérationnels. Les engagements du protocole numéro 10 doivent être respectés simultanément, car il s’agit bien de constituer une défense commune et pas seulement une industrie de la défense commune. Ces engagements ne peuvent produire d’effet que lorsqu’ils sont tous en place, tels des engrenages qui n’ont d’efficacité que s’ils se raccrochent les uns aux autres. En disposer autrement serait non seulement trahir la lettre et l’esprit du Traité, mais aussi le plus sûr moyen de n’arriver à rien. Ce serait une politique de Gribouille.

... et la modularité permise 

Enfin, quant à la modularité, elle est bien évidemment permise. Il n’est pas nécessaire que tous les États participent à tous les projets. Mais soyons clairs : cette question est accessoire car le but n’est pas de permettre des coopérations industrielles qui peuvent avoir lieu sans recourir à la PESCO, mais de créer suffisamment de convergence pour créer une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).

Lançons un Buy European Act en matière de défense

Du reste, puisque tel est bien l’un des objectifs, alors lions la question de la coopération permanente structurée, à celle d’un Buy European Act en matière de défense. Europa first ! Et que ceux qui préfèrent acheter leurs équipements militaires en dehors de l’Union restent en dehors de la PESCO ! Les vraies difficultés tiennent au fait que pour la mettre en place, les États membres devront faire des compromis significatifs. Il faudra que l’Allemagne accepte, comme la France, de payer le prix du sang dans les opérations militaires. Et il faudra en retour que la France accepte de ne plus être seule à décider tout en demandant aux autres États de payer. Il faudra que tous acceptent de tresser ensemble les fils de leur planification de défense et consentent à une interdépendance, seule voie pour exercer en commun leur souveraineté.

(Frédéric Mauro)

(1) Lire : Le sommet de Versailles donne le cap vers une Europe à plusieurs vitesses

Frédéric Mauro est avocat au barreau de Paris et au barreau de Bruxelles, établi à Bruxelles. C’est un spécialiste des questions de défense européenne pour les avoir suivies notamment de près dans différentes enceintes. Il a été le coauteur en 2016 d’un rapport pour le Parlement européen sur le futur de la recherche de défense européenne.

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