La Géorgie, bonne élève de l’Otan, se bat pour sa place dans l’Alliance, de la mer Noire à l’Afghanistan
(B2 à Tbilissi) Semaine importante pour la Géorgie, dans le cadre de ses efforts pour se rapprocher de l’Otan. L’armée a organisé un exercice otanien d’état-major : une première pour un pays non membre de l’Alliance, salué notamment par une visite du secrétaire général. B2 était sur place pour mieux comprendre la démarche de Tbilissi.
La Géorgie, bonne élève de l’Otan
Un exercice inédit
Toute la semaine, les Géorgiens ont planché sur un exercice d’état-major portant sur une crise hors article V. Une quarantaine de leurs officiers, accompagnés d’une quarantaine d’autres issus de pays de l’Otan, mais aussi d’Azerbaïdjan et de Suède, ont simulé le commandement d’une brigade sur une intervention humanitaire en Afrique. En réalité, c’est sur l’organisation de l’exercice que les Géorgiens étaient évalués : c’est la première fois qu’un pays hors Otan organise un exercice Otan. Le résultat de 18 mois de préparation, largement encadré par des mentors venus de l’Alliance. Résumé du challenge par un commandant français : « C’est un club ultra-performant. C’était déjà compliqué pour nous. »
Efforts géorgiens
La volonté de la Géorgie de rejoindre l’Otan puise ses racines peu après son indépendance, en 1994, lorsqu’elle intègre le Partenariat pour la paix. Une multitude de mécanismes ont été mis en place depuis pour moderniser l’armée géorgienne et la rendre interopérable avec l’Alliance. La plupart des officiers à fort potentiel passent par les écoles militaires et les écoles de guerre des pays alliés. En 2008, peu avant le début de la guerre, la Géorgie formule expressément sa volonté de rejoindre l’Otan. Depuis, malgré les tensions sur place, les membres de l’Alliance ne cessent de répéter, sommet après sommet, que Tbilissi a vocation à les rejoindre.
Sacrifice afghan
Pour montrer leur bonne volonté, les Géorgiens participent autant qu’ils peuvent aux opérations internationales, de la Centrafrique à l’Irak en passant par le Kosovo. Leur principal engagement reste l’Afghanistan où ils ne cessent de rappeler qu’ils ont le plus gros contingent, en proportion de leur population, au sein de l’opération de l’Otan Resolute Support. 33 militaires sont morts et plusieurs centaines ont été blessés sur ce théâtre, dans ce que le Premier ministre Mamuka Bakhtadze présente comme le « sacrifice » des Géorgiens « pour combattre le terrorisme international ».
La mer Noire, carrefour stratégique
Depuis l’annexion de la Crimée, la mer Noire est un territoire qui préoccupe de plus en plus les pays de l’Otan. La Géorgie en est consciente et propose aussi son aide ici. Faute d’une marine militaire, Tbilissi entend développer un port en eaux profondes à Anaklia, ville frontalière de l’Abkhazie (182 des 310km de côte sont occupés, selon une source au sein des garde-frontières). Des infrastructures qui doivent permettre d’accueillir les bâtiments de guerre toujours plus nombreux de l’Alliance, mais aussi de développer le commerce avec des partenaires clefs de la région : la Roumanie et la Bulgarie.
« Un partenaire unique de l’Otan »
C’était finalement le message porté par le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, lors de sa visite à Tbilissi lundi (25 mars) : « La Géorgie est un partenaire unique de l’Otan. Les Géorgiens montrent leur capacité à travailler côte à côte avec leurs alliés et partenaires. Nous continuerons à travailler ensemble pour préparer la Géorgie à l’adhésion complète. »
Lire : L'OTAN réaffirme son soutien à l'Ukraine et la Géorgie
Impossible intégration
Absence de consensus
La faisabilité d’une avancée concrète dans le processus d’intégration reste pourtant peu probable, ce que les autorités géorgiennes admettent bien volontiers. Plusieurs sources évoquent l’Allemagne, la France et les Pays-Bas parmi les plus récalcitrants. « Si on pouvait convaincre ces trois pays-là, les autres suivront », estime un haut responsable du ministère de la Défense géorgien. Pour eux, un dilemme reste difficile à résoudre : dans l’hypothèse d’une intégration de la Géorgie au sein de l’Otan, l’article V s’appliquerait-il rétroactivement aux territoires occupés d’Ossétie du Sud et de Géorgie ?
Coopérations bilatérales
Tbilissi entend désormais renforcer ses coopérations bilatérales avec les pays concernés, afin d’en gagner la confiance. Avec Paris, un important projet a par exemple été concrétisé à l’automne 2018, grâce à la fourniture d’équipements de défense anti-aérienne fournis par Thales et MBDA. Avec les Allemands, une coopération plus opérationnelle a été mise en place en Afghanistan avec la présence d’un détachement géorgien à leurs côtés à Mazar-e-Sharif.
Soutien populaire
Le gouvernement géorgien se félicite dans tous les cas de l’important soutien de la population à l’intégration de leur pays à la fois au sein de l’Union européenne (+/- 85% d’opinion favorable selon l’institut NDI) et au sein de l’Alliance atlantique (+/- 80%). La jeunesse, en particulier, se montre enthousiaste à cette idée, face à des opposants souvent plus âgés et parfois nostalgiques de l’ère soviétique. Tbilissi fait de l’intégration à l’Ouest la principale priorité de son agenda politique.
L’ennemi russe
Dialogue diplomatique informel
Avec la Russie, les relations restent tendues. Le dialogue diplomatique n’a pas été rétabli. Des échanges existent tout de même grâce à la rencontre entre les envoyés spéciaux des deux pays, trois à quatre fois par an, à Prague. Moscou refuse pourtant durablement de se positionner, estimant que les interlocuteurs légitimes de Tbilissi sont les autorités –non reconnues par la majorité des pays- d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Soucieuse d’afficher sa bonne volonté, la Géorgie a rétablit des facilités d’accès à son territoire pour les entrepreneurs et les touristes russes. Elle accuse Moscou de ne refuser la réciprocité.
Un durcissement de la frontière
La Russie reste cependant désignée par les autorités géorgiennes comme la principale menace. A Tbilissi, pas un interlocuteur ne dénonce une aggravation de la situation depuis 2008 : enlèvements de ressortissants géorgiens (en réalité, des arrestations par les forces locales, qui ont régulièrement dégénéré), renforcement de la présence militaire russe (7000 hommes, notamment déployés dans 38 camps de garde-frontières) et durcissement de la frontière avec des équipements ultra-modernes (caméras thermiques, blindage).
Le renoncement, une ligne rouge
La Géorgie ne pourrait-elle pas aller de l’avant, en renonçant tout simplement, au moins temporairement, à ces deux territoires ? C’est une hypothèse qui avait notamment été envisagée par des chercheurs de la Heritage Foundation, très prolixe sur cette thématique. Pas question, assure-t-on à Tbilissi où un tel renoncement est perçu comme une ligne rouge. « Ce serait un suicide politique », estime un haut responsable du ministère de la Défense.
(Romain Mielcarek)