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À Palanca en Moldavie, des réfugiés ukrainiens entre larmes et soulagement

(B2 à Palanca) La Moldavie n’est, pour la plupart des réfugiés ukrainiens, qu’une étape dans leur voyage, avant de se diriger vers l’Union européenne. Palanca, petite ville de l’extrême sud-est du pays, à la frontière moldave-ukrainienne, le premier pas vers la sécurité pour ceux qui fuient le sud de l’Ukraine.

Palanca, poste frontière refuge

Il y a trois semaines, cette petite ville moldave tout ce qu’il y a de plus classique, est devenue l'un des principaux lieux d’accueil des Ukrainiens fuyant leur pays. Ce samedi, « il n’y a presque personne », relèvent les volontaires moldaves en poste ici depuis le 24 février dernier. Pourtant, à nos yeux, il y a du monde : des dizaines de familles, beaucoup d’enfants. Le peu d’hommes présents sont des volontaires moldaves venus en aide aux réfugiés, ou des personnes âgées.

Des arrivées toutes les dix minutes

Sur ce grand parking aménagé en zone d’accueil, toutes les dix minutes, apparaît un mini-bus, une fois jaune, la fois suivante blanc. Une dizaine de personnes en descendent. Toutes viennent du point frontière, situé à un kilomètre de là. Elles y ont été déposées côté ukrainien par un autre bus ou un membre de leur famille. Puis, elles ont franchi à pieds les trois derniers kilomètres qui les séparent de la Moldavie, le pays voisin le plus proche pour elles. Avec leurs valises, toutes ressemblent à n’importe quelle famille de touristes. Exceptés leurs visages, empreints d'émotions : le soulagement, mêlé à la tristesse, tous désorientés.

À l’arrière du bus, leurs bagages. Presque rien, à peine une petite valise de moins de 15 kilos pour la plupart. C’est le plus pratique pour traverser la frontière à pieds et prendre l’avion plus tard. Tout le reste, ils l’ont laissé « à la maison ».

Mykolaïv, zone de guerre 

Devant la tente où les volontaires s’activent pour offrir un sandwich, un gateau, ou un café, Alexandra vérifie que ses trois enfants sont bien emmitouflés dans leurs grosses doudounes. On dirait qu’ils partent à la neige. À l'instar de beaucoup d’autres personnes ce jour là, elle arrive de Mykolaïv, à deux heures à l’est d’Odessa. À Palanca, chaque nouvelle attaque créée son lot de déplacés vers la Moldavie.

Le mari d’Alexandra est décédé la veille, dans les combats. Et son appartement a été bombardé. Alors, elle a rapidement rempli les valises et s’est faite accompagner à la frontière par des amis. La jeune dame, la quarantaine à peine, ne pleure pas, ses enfants la regarde avec attention. Dans leurs mains, des briques de jus de fruit, des biscuits, un morceau de saucisson. De quoi les rassasier et les occuper. Pourtant, ils n’ont pas faim. La terreur et le stress leur ont coupé l’appétit, expliquent les volontaires présents sur place.

« Ils tirent sur les civils »

À côté d'Alexandra, Ludmilla attend, elle aussi. La dame, âgée, est venue avec sa fille, trente ans à peine, une grosse valise, et quelques petits sacs. Ils sont remplis de souvenirs, de photos, « le plus important », justifie la dame. Le reste, elle le rachètera. Elle a du mal à parler, elle veut rester forte. Elle raconte : « Les gens se font tirer dessus dans la rue. C’est horrible. Ils ont attaqué un hôpital, un hôpital où ils traitent les cancers ! » C'est le bombardement russe sur cet hôpital le matin même l’a poussée à partir, explique la maman entre deux sanglots étranglés. Elle prend conscience de l'horreur qui se déroule dans les rues de sa ville : « ils ne visent pas les infrastructures militaires, mais les gens. Ils tirent sur les civils... »

Le choc de bombardements

Maria et sa fille sont parties pour la même raison. Elles sont arrivées à Palanca ce midi. L’air perdues, les mains dans les poches, elles restent là, sans bouger, à dix mètres du lieu où le mini-bus jaune les a déposées. Maria essaie de raconter mais les mots sortent à peine : « Ils ont bombardé l’hôpital », répète-elle, choquée. Elle arrive à peine à y croire.

Raconter son histoire

Le bonnet vissé sur les oreilles, le col de sa doudoune bien remonté pour lutter contre le froid de la plaine, Ludmilla nous montre un site web, news.pn, qui recense l’actualité de la guerre sur Mykolaïv. Elle montre les images des bombardements, des corps inanimés dans les rues, des obus déchiquetés. C’est ca qu’elle veut partager avec le monde. Pas son histoire, ça ne sert à rien, « c’est la même que tout le monde ».

Odessa, le temps d'un intermède calme

La plupart des Ukrainiens ce jour là viennent de Mykolaïv. Seuls quelques uns arrivent d'Odessa. À l’image de Daria, jeune maman. Elle n’en peut plus de sourire, rassurée, car du côté sécurisé de la frontière. Et de nouveau en compagnie de sa famille. Sa fille Nadia dans une main, sa grosse valise rose dans l’autre, sa mère à ses côtés. Elle a passé les dernières 48 heures dans la grande ville portuaire, à une heure de route seulement de Palanca. Après être partie en urgence le 24 février, premier jour de la guerre, elle est retournée y chercher des affaires : de l’argent surtout, puis des habits et des objets de valeur. Elle a rempli les valises autant que possible, sans même penser qu’elle n’arriverait qu’à peine à les tirer.

« À Odessa, on entend de temps en temps comme des explosions, les sirènes sonnent l’alerte, alors on descend très vite dans des bunkers. Pour éviter que l’on entende les bruits venus de dehors, mon mari augmente le son de la télé, c’est très stressant », raconte-t-elle. « Je ne suis pas courageuse. J’avais très peur », pose-t-elle. Le trio, entièrement vêtu de rose, se dirige vers Chisinau, capitale de la Moldavie. Là-bas, les trois femmes prendront un bus pour la Pologne. 

Première étape loin de la guerre

Alexandra, fière grand-mère de deux petits enfants, est elle aussi soulagée. « J’ai mal aux joues à force de sourire ! » rigole-t-elle de bon coeur. Elle était restée à Odessa, jusqu’à ce samedi. Aujourd’hui, elle se prépare à rejoindre le reste de sa famille, accueillie par des amis en Allemagne. Ils l’ont suppliée de quitter sa maison et tout ce qu’elle avait. « Je suis partie parce que ma fille me l’a demandée, elle m’a envoyée les photos de mes petits-enfants, m’a dit qu’elle avait besoin de moi, elle m’a convaincue », raconte-elle en montrant les photos de son petit fils, Luca, 7 ans, en train de jouer aux Lego sur la table d’un salon inconnu.

En route vers l'Allemagne

Dans ses affaires, elle n’emporte que ce que sa famille lui a demandé : des documents, la console du petit, des objets de valeur, qu’ils n’avaient pas pu emporter avec eux dans la précipitation le 24 février dernier. C’est avec le plus grand des sourires qu’elle dit au revoir, alors qu’elle monte dans un car qui la conduira à Chisinau. Première étape d’un long chemin, mais loin de la guerre.

Près de 300.000 réfugiés ukrainiens passés par la Moldavie

Comme beaucoup de ses compatriotes, elle ne reste pas en Moldavie. Au cours des deux premières semaines de guerre, environ 270.000 réfugiés ukrainiens sont entrés dans ce petit pays de l'Est de l'Europe, et 107.000 y sont toujours présents. Parmi eux, 46.000 mineurs, selon les chiffres que le ministre des Affaires étrangères Nicu Popescu a transmis à B2 jeudi dernier (10 mars) (lire : La Moldavie n’a aucune raison de devenir une cible directe. Mais nous nous préparons. (Nicu Popescu)). Au total, selon les chiffres du Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés, près de 3 millions de personnes ont quitté l'Ukraine depuis le 24 février.

Une frontière vers la paix  

Au fur et à mesure que la journée avance, le mini-bus jaune continue ses aller-retours, déversant ses passagers. Car au point de passage frontalier, le flot de personnes franchissant la frontière ne s'arrête pas. Les enfants prennent un air sérieux, scotchés à leurs parents. L’heure n’est pas aux jeux. Un petit garçon, le bonnet bien enfoncé sur le crâne, les lunettes posées sur son nez, regarde ses parents répondre aux journalistes à peine la frontière franchie. Comme beaucoup de ses compatriotes autour de lui, il tient un petit chien en laisse. Il observe la police moldave aider les volontaires et les réfugiés à embarquer les valises, faire monter les personnes âgées dans le mini-bus.

Une guerre après l’autre

Dans la file des Ukrainiens qui attendent le bus, la famille Spartak est fière d’être arrivée jusqu’ici. Le père n’arrête pas de sourire lui aussi. Le chemin a été compliqué pour cette famille rom. « Nous avons fait du stop, pendant cinq jours, de Karkhiv à Odessa. À Odessa, nous avons dormi dans la gare pendant trois jours — comme beaucoup d’autres personnes — puis nous avons pris un bus qui nous a déposé de l’autre côté de la frontière », raconte le fils. Un parcours d'autant plus difficile, qu'il en rappelle un autre, raconte la mère. « La guerre nous a trouvé chez nous dans le Donbass, une première fois. Nous avons quitté notre maison. Nous sommes partis à Karkhiv. Huit ans plus tard, la guerre nous a encore une fois trouvés. »

Un retour espéré

Comme tous ceux qui les entourent, ils pensent déjà à rentrer en Ukraine, une fois la guerre finie. « Les nôtres nous protègent », se rassure Ludmilla. Le président ukrainien Zelensky « motive les gens à rester, à se battre, c'est bien », félicite la dame. Alexandra, avant de monter dans le bus qui la conduit en Allemagne, fait le signe de croix et prie le Ciel pour une victoire de l'Ukraine.

(Aurélie Pugnet, envoyée spéciale en Moldavie)

Un reportage financé sur les fonds propres de B2

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