OTAN

[Reportage] 24 heures avec la présence avancée renforcée de l’OTAN à Tapa. Dissuasion à la menace russe

(B2) Les Alliés montrent les muscles sur le flanc Est de l'OTAN, où ils ont augmenté le nombre de leurs troupes depuis la guerre russe en Ukraine. L'Estonie fait partie des pays se sentant les plus menacés par Moscou. Et en faveur d'un renforcement permanent. Reportage sur la base de Tapa. La vitrine de la dissuasion de l’OTAN, à moins de 150 kilomètres de la frontière russe.

A Tapa, les Alliés se préparent pour être prêts à tout (AP/B2)

Il y a près d’un an jour pour jour, Moscou attaquait l’Ukraine (le 24 février). Un choc en Europe. Suivi d'une onde de peur qui se répand. L’Estonie, pays membre de l’Alliance atlantique, partage les trois quart de ses frontières avec la Russie et la Biélorussie. Elle s’inquiète. La question n'est plus de savoir « si » la Russie va les attaquer mais « quand », témoignent des observateurs.

Le contre-coup de la guerre russe dans le pays voisin

Renfort de troupes sur le terrain 

Les Estoniens ont demandé à leurs Alliés de renforcer la présence avancée, le dispositif de l’OTAN de stationnement de troupes alliées sur le flanc est de l’Alliance. À Paris, le président français E. Macron décide que les Français resteront au lieu de rentrer et laisser la place aux Danois comme prévu dans le cadre de la rotation habituelle des unités. La France maintient donc environ 200 personnes (une compagnie et un soutien logistique) de l’infanterie avec des engins blindés. Londres, à la tête du battlegroup de la présence avancée, décide aussi de doubler ses troupes, pour quelques mois atteignant 1600 personnels en Estonie.

Une base, quatre pays

Conséquence très concrète : la base de Tapa grouille donc de monde depuis un an. À quelques pas seulement du centre de la petite ville du nord du pays, Danois, Britanniques et Français se côtoient au jour le jour dans les couloirs et sur la base. Un signe de reconnaissance unique : le logo « EfP », pour Eastern forward presence (présence avancée à l'Est), accolé à leurs treillis.

La cohabitation s'organise

Problème, la mission française Lynx n’étant pas censée rester, les Danois avaient déjà pris possession des locaux, comme dans l’ordre de rotation habituelle. Les Français se serrent dans un hangar normalement utilisé pour le stockage, partagent des chambres à 10… Mais « c’est normal » — comprenez, c’est une question de solidarité.  « Chacun fait des efforts », répète-t-on autant chez les militaires que les diplomates.

Cela devient plus embêtant quand il faut sans cesse demander l'autorisation aux Danois ou Britanniques de bien vouloir leur laisser un bout de hangar, et leur confier la sécurité des véhicules blindés, explique le responsable de la Logistique française (S4) à B2. Sur le long terme, il faudrait que Tallinn fournisse davantage d’infrastructures pour héberger une telle présence si elle devait être permanente.

Former, Rassurer et dissuader

La mission à remplir est simple : rassurer les Estoniens par la présence sur le territoire, leur prouver la solidarité de l’OTAN et de son assistance mutuelle en cas d’attaque armée, et dissuader d’une attaque avec des forces crédibles et adaptées au terrain, prêtes à défendre les pays baltes. C’est ainsi que le la mission Lynx est présentée à B2.

C’est aussi une question de visibilité. Si proche de la Russie, chacun est bien conscient de ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Moscou regarde sans cesse le renforcement des Alliés. Ces derniers sont bien au courant des camps d’entrainements installés côté de la Russie, d'où sortent des soldats russes envoyés au combat en Ukraine.

Monter en puissance

L’armée estonienne est formée de moins de 2000 professionnels. Avec ses réservistes, elle forme un tout d’environ 36.000 personnels. Elle peut notamment compter sur des volontaires (la Defence League), autour de 28.000 personnes toutes compétences confondues. Le tout ne pèse donc pas beaucoup sur le papier, mais cette armée a une volonté de monter en puissance. Tallinn est en cours de création d’une division. Elle est aussi friande d’apprendre, et d’accueillir les Alliés sur son terrain. 

Préparation à la défense

Le terrain, c’est presque le pays en entier. Les aires d’entrainement militaire sont immenses. L'une d'entre elles est située à une vingtaine de minutes en voiture de la base militaire. En pleine forêt arpentée de routes et de plaines, le lieu d’entrainement que B2 a pu visiter est aussi parsemé de troupes en plein exercices. Ici, on croise quelques Estoniens. Un peu plus loin, les Britanniques ont déployé le centre de commandement du battlegroup en amont de l’exercice qui se déroulera dans quelques jours, caché entre les arbres, impossible à voir de la route. Là, des Danois manœuvrent sur leurs chars. Sur une autre base d’entrainement, au «Soviet camp», un mini-village désaffecté et presque entièrement détruit, des Français s’essaient au combat en zone urbaine. Parfois, c'est l'unité nationale qui s'entraine seule, parfois ils travaillent ensemble.

Le Soviet Camp est l'un des lieux d'entrainement des troupes alliées, pour le combat en milieu urbain (AP/B2)

… dont les menaces nucléaires

Sur un grand espace plat, les Français du 2e régiment de dragons, à spécialité NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique) apprennent aux Estoniens comment réagir en cas d’attaque. Aujourd’hui, c’est passage à la décontamination suite à une attaque nucléaire. Les Estoniens revêtus des treillis français et masque de respiration passent à travers l’enregistrement, le déshabillage, la douche, le rhabillage… un processus essentiel autant physique que psychologique. « Au moins, si un jour ils doivent le faire, ils sauront comment et à quoi s’attendre », nous explique-t-on. Les Britanniques ont fait le même exercice quelques jours plus tôt.

Les Français forment les Britanniques et Estoniens à la chaîne de décontamination NRBC. Un processus auquel B2 a participé (AP/B2)

S'exercer à une Réaction rapide

Le terrain, en Estonie est assez particulier et il faut savoir s’y habituer : plaines et marécages, denses forêts, seulement deux autoroutes dans tout le pays, des petites routes difficilement praticables, et des températures qui descendent à -20°C en hiver. Si attaque il y avait, la présence avancée servirait de « harpon », ou de « pont » entre la première réponse et les renforts. La Alert vanguard combat team, l’unité en alerte pour trois semaines, doit pouvoir être partie en moins des six heures.

Un renforcement ... 

Dans quelques semaines, en mars 2023, les Français resteront, pour une troisième année consécutive. Cette fois, sous la bannière de leur rotation habituelle. Les Danois, eux, rentreront à la maison. La présence avancée reprend donc son cours normal et perd une partie de ses troupes. Si Paris a assuré aux Estoniens que les troupes françaises pourront rester encore en 2024 pour une quatrième année consécutive si besoin.

... pas si temporaire ?

Au dernier sommet de l'Alliance, la première ministre estonienne Kaja Kallas, plaidait pour le maintien ou le déploiement d'une force de niveau de division dans le pays (lire : [Entretien] Il faut passer à une posture de défense, être prêt à réagir dès la première minute d’une attaque (Kaja Kallas)). « Il y a toujours une certaine peur chez les Estoniens. Mais ils sont davantage rassurés qu'il y a un an : la guerre en Ukraine n'a pas touché les pays Baltes », félicite un bon connaisseur du terrain. Cela ne l'empêche pas de plaider à son tour comme ses collègues baltes et polonais, en faveur d'un renforcement permanent du flanc est de l'Alliance, en espérant que la décision soit prise au sommet de Vilnius de l'OTAN, en juillet.

(Aurélie Pugnet à Tapa, Estonie)

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