[Reportage] Situation stable du côté de l’Ossétie du sud. La borderisation s’incruste dans le paysage. EUMM Georgia veille au grain
(B2) Depuis près de 16 ans, les observateurs européens veillent à la frontière imposée par la Russie aux Géorgiens près de l'Ossétie et de l'Abkhazie. La situation reste stable, pour l'instant. Mais la ligne frontière se durcit et les mouvement de part et d'autre sont limités. B2 a pu rencontré à Tbilissi son porte-parole et son conseiller politique. Point de situation.
L'intervention militaire russe en Géorgie via l'Ossétie du Sud en août 2008 se termine au bout de quelques jours par un accord acté dans le plan Medvedev-Sarkozy (lire : Ossétie-Géorgie: les six principes du cessez-le feu). Celui-ci prévoit la lise en place d'une mission d'observation déléguée à l'UE (lire : Le mandat d’EUMM Géorgie, détails et texte). Forte de 340 personnels dont 220 observateurs, EUMM Georgia, continue depuis cette date d'observer la ligne de cessez-le-feu du côté de l'Abkhazie comme de l'Ossétie du sud. C'est dans cette région que la situation reste la plus aléatoire, la république séparatiste de Tskhinvali n'ayant pas renoncé à intégrer la Fédération de Russie (cf. encadré).
L'effet de la guerre russe en Ukraine
Cette guerre a-t-elle changé la donne ?
Depuis le déclenchement de la guerre russe en Ukraine, en février 2022, la situation « est plutôt stable, et cela reste stable. Mais tout incident peut conduire à une escalade, à une tension supplémentaire. » Même sur le contingent de garde-frontières (ou de militaires) russes, la guerre dans l'Ukraine voicine n'y a pas d'effet vraiment visible (1). Le contingent « a légèrement diminué car certains (hommes) ont été envoyés sur d'autres points (NB : en Ukraine). Mais en réalité, il n'y a pas de gros changement : « cela reste stable ».
Pas d'aggravation des cas de détention
Idem du côté de la situation sécuritaire « Nous n'avons pas vu de cas de détention supplémentaire. Il n'a pas de changement majeur . » La mission européenne continue d'assurer ses patrouilles d'observation, suivant « la situation avec attention ». Et la préparation qui existe « pour se préparer au pire » continue. Cette crise, en fait, a surtout eu un effet politique : jouant un peu comme une « corde de rappel à l'Europe et au monde du problème de la Géorgie », un peu oublié depuis 2008.
Et dans la population géorgienne ?
L'effet est plus visible, « cela rappelle la situation de 2008 ». « Il y a de la crainte et de la peur, un retour à la situation du traumatisme de 2008. Nous devons être plus visibles, davantage présents » assure le porte-parole de la mission. « Il y a davantage de questions de la presse géorgienne. »
La borderisation continue
Murs ou fils barbelés ou caméras de sécurité, la « borderisation » est en cours. Entre Ossétie et le reste de la Géorgie, la ligne frontière est certes « longue ; il n'y a donc pas toujours un mur ou des fils barbelés en continu. Mais dans ce cas, il y a des caméras et des senseurs de sécurité ». « Franchir la frontière devient ainsi difficile en pratique. » Celui l'a franchi, souvent par inadvertance, « peut être détenu. » Et l'effet dissuasif est là, avec « la crainte psychologique de risquer d'être arrêté ».
Il faut bien comprendre que cette ligne frontière ne recoupe pas automatiquement une barrière naturelle, surtout du côté ossète. Et « beaucoup de facteurs peuvent justifier de passer de l'autre côté : pour visiter la famille, aller dans les cimetières ou pour les fêtes religieuses » Beaucoup sont aussi agriculteurs, il y a les troupeaux, des champs de l'autre côté, des sources d'eaux.
Un durcissement des passages
Si du côté de l'Abkhazie, le passage des frontières s'est « formalisé, avec des visas », du côté de l'Ossétie, c'est moins évident. « Certains points ne sont pas ouverts tout le temps que dix jours par mois ». Ce n'est plus comme avant 2019, où à travers les « points frontières » (trois sud-est et deux au nord-ouest de la zone) « beaucoup de personnes franchissaient pour aller travailler ou étudier. Désormais ce n'est plus facile. »
La fermeture de la frontière
Le Covid-19 a été une bonne raison de clôturer la frontière. Depuis août 2022, les Sud-Ossètes n'ouvrent plus leur point-frontière que « pour raison médicale urgente ou pour Pâques », la grande fête orthodoxe, comme cela a eu lieu cette année entre les 3 et 6 mai. Les conditions se sont durcies pour aller de l'autre côté de la frontière. Les Géorgiens qui le souhaitent doivent avoir « une autorisation administrative (porpus) et remplir certaines conditions : il faut notamment avoir des parents sur place pour aller sur place.
Des arrestations régulières
Il y a actuellement une dizaine de cas de personnes retenues, en particulier en Ossétie du Sud. Certaines sont libérées rapidement, au terme d'une détention administrative. D'autres comparaissent devant des tribunaux, sont condamnés à des sentences de prison, parfois longues : plusieurs années pour violations répétées de la frontière. « Quand on apprend un cas de détention par la hotline, on essaie de faciliter les échanges d'information, en particulier pour connaitre l'état de santé. »
Abaisser le niveau des tensions
L'objectif des Européens est « d'éviter que cela contribue à une tension supplémentaire. Nous essayons d'éclaircir la situation, de conduire à la 'désescalade' de la situation. » Cela passe par « des patrouilles qui ont lieu tous les jours, y compris de nuit, mais aussi des réunions d'urgence de l'IPRM », le mécanisme de prévention et réponses aux incidents (2). Ces « discussions en face à face permettent de détendre l'atmosphère », permettant d'aboutir à des libérations (3).
Le rôle de l'IPRM
Le mécanisme n'a « pas pour objectif de résoudre le conflit, c'est de l'ordre des discussions de Genève ». Il s'agit plutôt « de trouver des solutions pratiques » aux problèmes individuels qui se posent pour les habitants voisins, « par exemple pour les agriculteurs qui se trouvent le long de la ligne frontière administrative pour avoir accès à l'eau » ou l'accès à leurs champs.
Une action d'EUMM limitée par son mandat
Le mandat de la mission est limité. Si elle a une certaine autonomie pour mener des patrouilles, du côté des territoires contrôlées par le gouvernement de Tbilissi, ce n'est pas le cas en Ossétie du Sud, comme en Abkhazie, où « les observateurs ne peuvent pas se rendre » depuis 2008. Ils en sont conduits à observer la situation de l'autre côté de la ligne frontière. Ils puissent aussi dans toutes les sources d'information possibles, « notamment par open source ou des discussions avec les populations proches ».
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde à Tbilissi)
L'Ossétie au sein de la Russie ?
Le débat est récurrent en Ossétie du Sud pour intégrer la Russie de façon plus radicale. L'ancien « président » de cette république séparatiste, Anatoli Bibilov, avait annoncé en mai 2022 (quelques mois seulement après le déclenchement de l'intervention militaire russe en Ukraine), sa volonté de réunification des deux Osséties pour créer une république unique d'Alanie. Mais le référendum de rattachement à la Russie, prévu pour juillet 2022, est annulé par son successeur Alan Gagloev, qui emporte les élections du 24 mai. Cette intégration ne semble pas être la priorité de la Russie qui soutient à bout de bras la république séparatiste. La situation économique ne semble en effet pas très bonne en Ossétie du Sud, selon les sources géorgiennes. Et nombre de jeunes préfèrent émigrer vers Vladikavkaz, la capitale d'Ossétie du Nord en Russie.
- Les forces d'Ossétie du Sud ont cependant été intégrées aux forces russes. Certains soldats, envoyés sur la ligne de front en 2022, se sont plaints des très dures conditions sur place. En Abkhazie, ils ne sont pas intégrées aux forces russes, mais il y a aussi des volontaires.
- Les réunions de l'IPRM sur l'Ossétie du Sud ont lieu à Ergneti en moyenne tous les deux mois. Il y a eu ainsi sept réunions en 2023. Les réunions sur l'Abkahzie à Gali sont suspendues depuis 2018. Il y a des rencontres à Genève (où la mission EUMM n'a pas de rôle particulier).
- Le 6 novembre 2023, une réunion d'urgence est convoquée le soir même de la mort d'un citoyen géorgien, Tamaz Ginturi, tué par un garde-frontières russe près du village de Kirbali (Lire : Regain de tension en Géorgie sur la ligne de démarcation avec l’Ossétie du Sud. Un mort). Un autre Géorgien, Levan Dotiashvili, arrêté dans le même temps, a été libéré depuis.
Entretien effectué en face-à-face le 25 mai en anglais, dans les locaux de EUMM Géorgia à Tbilissi
Lire aussi :
Reportage en Géorgie
- [Entretien] Géorgie. Nous refusons cette loi liberticide, nous ne nous laisserons pas intimider (Nona Kurdovanidze)
- [Exclusif] La tension monte d’un cran entre Tbilissi et Bruxelles. Des options de sanctions à l’étude (v2)
- [Analyse] Pourquoi le gouvernement géorgien prend le large de l’Europe ?
- [Actualité] Bras de fer en Géorgie. Le cheminement vers l’Union européenne compromis
Et notre dossier N°44 EUMM Georgia. Des Européens face à la Russie