(Photo : EUMAM Ukraine)
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[Analyse] Les Européens peuvent-ils aider l’Ukraine, en solo ? Sans les Américains

(B2) Face à un possible gel ou une baisse d'intensité du soutien militaire américain à l'Ukraine, les Européens sont-ils en position de pallier cette déficience ? Au niveau économique peut-être, aux niveaux politique, industriel et technologique, sans doute non. Explications.

Une possibilité économique

En théorie, les Européens et autres partenaires de l'OTAN ont les moyens économiques. Même si cela peut être douloureux en termes de choix budgétaires.

L'aide européenne équivalente à celle des USA

L'aide militaire américaine se monte, depuis le début de la seconde guerre russe en Ukraine (24 février 2022), à plus de 64,1 milliards de dollars, selon le Pentagone. Le montant peut paraitre important. Mais il est assez similaire à celui que les Européens (UE + Royaume-Uni + Norvège) + Canada ont apporté de leur côté. Plus de 43,5 milliards pour l'UE + environ 10 milliards pour le Royaume-Uni (7,8 milliards£) + environ 2,5 milliard (1 milliard par an) pour la Norvège et environ 2,6 milliards (4,5 milliards $ Canadiens) pour le Canada. Soit près de 63 milliards $. C'est-à-dire environ 25 milliards $ en rythme annuel *.

Doubler l'aide déjà versée n'est pas hors d'atteinte

Rapporté au budget de la défense des pays européens de l'OTAN, cela représente environ 6% de ce budget. Important ! Mais pas impossible. La plupart des budgets de défense sont déjà en hausse, avec la commande de différents équipements. En céder quelques uns ressort davantage de la volonté politique que de l'impossibilité budgétaire. Et différents budgets ont déjà été engagés, au niveau européen. D'une part, la facilité de prêts de 50 milliards d'euros est une aide militaire déguisée. A priori civile, elle permet à l'Ukraine de doper ses industries de défense et donc de passer des commandes. D'autre part, existe le projet d'un fonds d'assistance pour l'Ukraine doté de 5 milliards d'euros pour l'aide militaire

De nombreux blocages techniques et industriels

Malgré des efforts importants, les Européens n'ont pas su gérer une remontée en puissance rapide et massive de l'appareil de production européen, ni autonomiser encore suffisamment leur production à l'égard de certains composants et technologies américains. Ce qui implique un lien de dépendance étroit entre la capacité de soutien européenne et la politique américaine.

Des manques sérieux

Hormis des progrès dans les blindés (KNDS et Rheinmetall) ou les canons de portée moyenne (Caesar), la production européenne reste sous tension maximale. De plus, de nombreux pans industriels restent sous-investis ou avec une production limitée (drones de longue endurance, drones navals, armes et missiles de précision, etc.). Enfin, même une production nationale typique (exemple les chars Leopard 1 ou 2) inclut parfois des composants américains (viseurs, radios) qui pourraient nécessiter une autorisation américaine pour être réexportée. Autrement dit, l'Union européenne aurait des difficultés à doubler ou tripler sa production, rapidement (dans les quelques mois à venir), sans l'appui américain.

Une politique industrielle d'opportunité plutôt que de guerre

De plus, une bonne partie de la production reste toujours tournée vers l'exportation, gage d'une survie économique. En 2023, 40% de la production industrielle de défense a été exportée vers des pays tiers, selon les statistiques européennes. Et les États membres rechignent à renoncer à ce modèle ou être plus interventionnistes par rapport à leur industrie nationale (lire :  [Confidentiel] Le fonds ASAP pour les munitions dépouillé de sa substance).

L'autorisation américaine requise

La plupart des matériels donnés ou vendus par les Européens sont des matériels américains (type F-16 ou Manpads) ou comprennent des composants ou des éléments technologiques importants made in USA. Cela suppose donc d'avoir l'assentiment des autorités américaines avant toute exportation ou réexportation de ces matériels. C'est tout l'enjeu de la réglementation ITAR (lire : [Décryptage] Itar, Darpa, FMS, EDA, les instruments américains de défense. Ou l’art de mêler protectionnisme et efficacité).

Tout dépendra de l'administration Trump. Si elle applique à la lettre une suspension tous azimuts des équipements militaires à l'Ukraine, c'est la fin des espoirs européens. Si l'administration Trump admet la possibilité pour les Européens de livrer en solo, voire les encourage, la voie est ouverte.

Une difficulté politique majeure

Des complications internes

Au final, la poursuite de l'aide à l'Ukraine par les seuls Européens pose surtout une question éminemment politique. Et la réponse tend vers le non ! Plusieurs États sont opposés à l'augmentation de l'aide militaire à l'Ukraine, en particulier la Hongrie (lire : [Verbatim] La facilité européenne pour l’Ukraine : bloquée à double tour. Une honte dixit Josep Borrell). D'autres ne veulent pas du dispositif d'aide volontaire, au titre de la facilité européenne pour la paix (Lire : [Confidentiel] Le veto hongrois sur le soutien militaire à l’Ukraine bientôt contourné ? Pas sûr… ). Enfin, certains États membres, et non des moindres, telle l'Allemagne, ont prévu de diminuer pour 2025 le soutien militaire, tandis que d'autres, telle la France, peinent à atteindre l'objectif fixé. Bref, c'est compliqué.

Un lien euro-atlantique majeur

Malgré les déclarations des uns et des autres, visant à une autonomie européenne croissante vis-à-vis des Américains, cette position n'est pas réellement partagée. Et même parmi ceux qui affichent le plus le désir d'autonomie, tels les Français (lire : [Actualité] Bâtir une Europe de la défense et de la sécurité à l’échelle de la CPE ?), celui-ci résistera-t-il à une volonté déterminée des Américains de cesser l'aide ? Rien n'est moins sûr.

Pas de volonté de s'émanciper de Washington

On pourrait même parier que l'esprit actuel n'est pas dans la résistance à outrance. Le couple Macron-Scholz, déjà fragilisé au niveau international, n'a pas l'endurance et l'expérience d'un couple Chirac-Schröder du temps de l'intervention américaine en Irak en 2003. Autrement dit, si Donald Trump affirme clairement sa volonté, il sera difficile de passer outre. D'autant que la plupart des pays et responsables européens ne tiennent pas à casser le lien euro-atlantique.

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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