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Le dernier missile de Bob à l’Europe : finie la Dolce vita aux frais de la princesse US

(B2) Robert Gates est resté un peu plus que prévu à Bruxelles après la réunion des ministres de la Défense de l'OTAN. Et certains ont pu regretter cette nuit de plus dans la capitale européenne.

Les oreilles de nombre de certains ont dû siffler quand Bob a commencé à parler au SDA, le think tank bruxellois dédié aux questions de défense et sécurité, dirigé par Giles Merritt. Quittant son poste dans quelques semaines, après une longue vie professionnelle, comme directeur de la CIA sous Bush I, secrétaire à la Défense sous George Bush junior puis Obama, Bob' ne s'est pas embarrassé de formules de politesse et a attaqué bille en tête, les États-Unis un tout petit peu, l'OTAN ensuite et surtout les alliés européens, accusés de jouer les parasites, de dilettantisme et d'avoir la belle vie sous le parapluie sécuritaire américain. Objet essentiel de son discours : Européens réveillez-vous, le tonton prodigue américain sera moins généreux à l'avenir !

Des erreurs stratégiques en Afghanistan chez les Américains, chez les Alliés...

Robert Gates commence par reconnaître cette évidence : l'erreur magistrale des Américains dans les premières années en Afghanistan. « Ce n'est un secret pour personne depuis longtemps. L'effort militaire en Afghanistan a souffert d'un manque de focus, de ressources et d'attention, une situation exacerbée par la priorité donnée par les États-Unis à l'Irak. » Tandis que chez les alliés, la « multitude des caveats nationaux qui liaient les mains des commandants alliés, l'incapacité de certains alliés de remplir leurs contributions ou les contributions largement disparates de différents États membres » ont généré de nombreuses « frustrations » et une « diplomatie du mégaphone ».

Mais pas de retrait prématuré... : Arrivés ensemble, nous repartirons ensemble

Malgré tout, les membres de la coalition ont augmenté leurs efforts - de 20.000 ils représentant aujourd'hui 40.000 hommes. Et, le succès semble à portée de main. Robert Gates appelle donc à ne pas relâcher l'effort et se ruer vers la sortie. Alors que le retrait américain doit commencer cet été, il estime que la plupart des forces arrivées pour le "surge" resteront sur place. Et demandent aux alliés d'en fait autant. « Trop de choses ont été accomplies, à beaucoup trop de frais, pour laisser l'élan filer alors que l'ennemi est sur la défensive. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir des pays contributeurs de troupes retirer leurs forces selon leur propre agenda d'une manière qui porte atteinte à la mission et augmente les risques vers d'autres alliés. » Et de tracer ainsi une feuille de route : nous sommes arrivés ensemble, nous repartirons ensemble. Ce qui en anglais sonne (mieux) comme un slogan : « in together, out together ».

En Libye, des alliés incapables

C'est la réalité. Et Robert Gates le développe avec force arguments. L'OTAN - ou plutôt les alliés non américains de l'OTAN- souffre aujourd'hui « de lacunes importantes en matière de capacités et de volonté politique ». L'Afghanistan l'a mis en évidence, la Libye l'a prouvé. En Afghanistan, alors que l'Europe a plus de 2 millions de soldats en uniforme, « l'OTAN a lutté, parfois désespérément, pour soutenir un déploiement de 25 - de 40.000 soldats, et pas seulement sur le terrain mais aussi dans des postes aussi cruciaux que l'aviation de transport, le renseignement, la surveillance et reconnaissance, etc ». En Libye, alors qu'il y a « un large soutien politique, qu'il n'y a pas de troupes au sol sous le feu, que cela touche un pays voisin de l'Europe, et atteint ses intérêts vitaux », c'est encore plus « clair ». « L'opération en Libye a mis à nu des lacunes capacitaires graves de l'OTAN et d'autres lacunes institutionnelles. (...) Franchement — lâche Bob — bon nombre de nos alliés se sont mis à l'écart non pas parce qu'ils ne veulent pas participer mais tout simplement parce qu'ils le ne peuvent pas. Ils n'ont pas la capacité militaire, simplement ! »

Robert Gates avec Jaap de Hoop Scheffer qui jouait le rôle de modérateur (crédit : SDA)

Un centre d'opérations qui fonctionne à moitié de sa capacité et des alliés à court de bombe

Tout le monde en prend pour son grade. « Les moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance manquent. Les avions de combats les plus avancés sont peu utilisés faute de pouvoir identifier, traiter et frapper les cibles dans une campagne intégrée. Le centre aérien d'opérations de l'OTAN en Italie a besoin de spécialistes de repérage de cibles qui viennent en majorité des États-Unis » - une arrivée providentielle qui ne sera plus disponible dans les futures urgences. « Nous avons ainsi le spectacle d'un centre d'opérations qui pourrait gérer plus de 300 sorties par jour et qui ne peut en traiter qu'au maximum 150 (!). ... « En outre, au bout de 11 semaines seulement d'opérations contre un régime pauvrement armé dans un pays peu peuplé , plusieurs de nos alliés commencent à être à court de munitions, demandant aux USA, une fois encore, de combler la différence. »

Vers une OTAN à deux vitesses : les bons élèves et les touristes

Robert Gates estime que son inquiétude d'une « OTAN à deux vitesses » est aujourd'hui bien là : « entre des membres qui se spécialisent dans le "soft", l'humanitaire, le développement, le maintien de la paix, et la discussion et ceux qui mènent le "hard", les missions de combat ; entre ceux qui sont volontaires et capables de payer le prix et de supporter le fardeau des engagements de l'Alliance, et ceux qui apprécient les avantages de l'adhésion à l'OTAN - garanties de sécurité et de billets d'accès au quartier-général -, mais ne veulent pas partager les risques et les coûts. »

Bien entendu, personne n'est cité. Mais Robert Gates est transparent quand il loue l'effort fait par certains pays comme le Danemark, la Norvège (qui effectuent 1/3 des frappes), la Belgique ou le Canada... ou ceux qui consacrent plus de 2% à leurs dépenses (France, Royaume-Uni, Grèce et Albanie). On peut sans coup férir que les "touristes" visent des pays comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, la Pologne ou la Turquie.

Le Tonton Us va couper les vivres au "Tanguy" européen s'il ne se prend pas en charge

Robert Gates ne se fait pas faute d'avertir les Européens. Les Américains ont atteint leur maximum supportable — ils participent aujourd'hui à plus de 75% des dépenses militaires de l'OTAN contre 50 % du temps de la guerre froide —. Et ce maximum ne peut que diminuer dans l'avenir. D'autant que les Européens n'y mettent pas du leur en diminuant leurs budgets « moins 15% cette dernière décade » !

Pression fiscale, regard vers l'Asie, changement de génération...

Les Américains se tournent davantage vers l'Asie dorénavant que vers l'Europe. Ici, Robert Gates devant le TajMahal lors d'une visite en Inde (Crédit : US Defense, janvier 2010)

D'une part, la pression fiscale joue également aux États-Unis. Des choix doivent donc être opérés dans les engagements outre-mer, notamment au niveau des programmes d'aide et de soutien à l'armement, avertit le secrétaire d'État à la Défense. Et, il existe un certain « manque d'appétence et de patience au Congrès à dépenser des fonds de plus en plus précieux pour des nations qui ne sont apparemment pas disposés à consacrer les ressources nécessaires ou de faire les changements nécessaires pour être des partenaires sérieux et compétents dans leur propre défense ». D'autre part, l'attention stratégique des États-Unis est attirée vers l'Asie notamment. « Les engagements et investissements de défense vont croître dans les prochaines années » sur ce continent. Enfin, se produit un phénomène de changement de génération. « Les futurs dirigeants politiques américains - ceux pour qui la guerre froide n'a pas la même expérience que pour moi - peuvent considérer que le retour sur investissement de l'Amérique dans l'OTAN ne vaut pas le coût »... Autrement dit le bébé Europe devenu grand, doit apprendre à s'assumer et quitter le nid familial américain. Et vite !

Robert Gates sait que les Européens ne pourront pas de sitôt réinvestir massivement dans la défense. Mais il leur conseille au moins de le faire plus intelligemment qu'aujourd'hui. Les pays membres de l'OTAN (hors USA) dépensent collectivement 300 milliards $ par an. « Judicieusement et stratégiquement alloués, ils permettrait d'acquérir une quantité significative de capacité militaire utilisable. » Les pays membres doivent examiner de « nouvelles approches pour renforcer les capacités de combat - dans les marchés, la formation, la logistique, le soutien. Les États membres de l'OTAN doivent faire davantage pour partager (pooling) les actifs militaires ». Au passage, le secrétaire d'État à la Défense fusille les initiatives "Smart Defense" qui ne sont « pas la panacée » et plaide pour que « les nations soient plus responsables (et acquittent) leur juste part à la défense commune. ». Un Européen convaincu n'aurait pas dit mieux !

Le texte de l'intervention de Robert Gates (en anglais). Les extraits ont été traduits par mes soins.

Lire également : La leçon de Bob, que faut-il en retenir ?

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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