L’Ukraine, objet d’une OPA « hostile » russe ? Observations

(BRUXELLES2) La volonté de Moscou, le gouvernement de Kiev, et les Occidentaux...
Une volonté russe délibérée. Ces escarmouches de ce week-end (lire : Escarmouches dans l’est de l’Ukraine. Kiev réagit) n'étonneront pas ceux qui suivent la situation en Ukraine. Moscou n'a jamais fait mystère de ses intentions. L'objectif stratégique est clair : ne pas laisser l'Ukraine voguer de façon trop indépendante et surtout se rattacher trop clairement au camp occidental. Peu importe les moyens, les menaces et les sanctions. C'est pour la Russie - du moins c'est le ressenti - une question vitale. Et c'est la grande différence avec les Occidentaux (Américains et Européens) pour qui l'Ukraine est, avant tout, une affaire de principe (la démocratie ne discute pas) et de posture (ne pas laisser faire Moscou).
Un dilemme pour Kiev. Le nouveau gouvernement de Kiev se trouve, en effet, placé face à un dilemme : ne pas réagir (par la force) c'est alimenter les commentaires sur son incapacité - à vrai dire assez réelle (on l'a vu en Crimée) - de faire face à la situation. Réagir, c'est prendre le risque de l'aggravation et de l'escalade. Dans les faits, l'Ukraine est l'objet d'une attaque en règle de Moscou, non pas frontale, mais biaisée, à la manière d'une offre publique d'achat (OPA) hostile, d'une société par une autre sur le marché en bourse.
Une tactique qui évolue. La tactique évolue ainsi au fur et à mesure des évènements. On peut avoir l'impression d'être ballotté au gré des évènements. C'est la réalité. Nous sommes sur un champ de bataille où le stratège décide, au vu de la situation sur le terrain d'avancer tel ou tel pion. Après la Crimée, annexée dans une opération éclair, le temps est venu de la déstabilisation de l'Ukraine. A commencer par les villes situées le plus à l'Est. Puis normalement cela devrait gagner la bordure sud. Notre reporter Loreline Merelle rentre d'Odessa. Et on voit déjà des premières amorces d'un durcissement de la situation sur place, avec un camp retranché de prorusses dans la ville.
Tous les moyens sont permis. On pourrait penser à la manière forte. D'autres moyens, plus insidieux, sont possibles. Les actions démonstratives - une manifestation qui dérape, la prise des bâtiments de la ville, etc. - sont autant de tentatives de déstabilisation, pour l'instant assez pacifiques. Mais d'autres moyens peuvent être employés. Non pas l'intervention de l'armée russe (ceci est le dernier recours si tous les autres moyens ont échoué). Mais on peut penser à quelques petites explosions "terroristes" de ci de là, qui pourraient ne pas viser que des cibles ukrainiennes mais des cibles russes ou étrangères. A la manière d'une provocation bien organisée. Voire des actes faisant penser à des néo-nazis, relayés par des organisations type "Pravy Sektor" ou d'autres qui pourraient naître (il faudra s'interroger un jour sur leur rôle, leur liens et leur financement... pour qui roulent-ils ?). Le jeu de la propagande, intense, est aussi important.
Des Occidentaux dans les choux. Face à cela les Européens et Américains semblent à chaque fois désarçonnés, surpris. La réponse européenne est, pour le moins brouillonne. On s'active, on parle beaucoup. On sanctionne un petit peu, à titre symbolique. L'OTAN crie comme une vierge effarouchée. Washington fait les gros yeux. L'OSCE déploie quelques observateurs au rôle confus et quasiment inutile. Chacun est dans son rôle. Et on repart cahin cahan pour 1 ou 2 semaines de crise supplémentaires.
Des nuages de fumée. Le jeu russe semble confus, alors qu'en réalité il est assez simple. Le "méchant" Poutine défend la Russie éternelle, l'Ukraine arrimée à Moscou, menace de couper le gaz, etc. En cela, il flatte l'ego russe. Et croire qu'il est isolé est un autre leurre. Les décisions de "Poutine" sont des décisions d'un collectif, d'une sorte de Russie éternelle. En façade, le "gentil" Serguei Lavrov, le chef de la diplomatie russe, est chargé d'amadouer, d'arrondir les angles, passer du baume sur les plaies, pour rassurer ses interlocuteurs... et gagner du temps. La date est fixée : celle du 25 mai. A cette date-là, avant (si possible) ou après (sinon), l'Ukraine doit devenir ingouvernable.
Le meilleur allié des Russes : le contexte politique et économique. Le désordre ambiant est complété par une crise économique paroxystique. L'inflation galope déjà. Et elle pourrait s'aggraver encore. L'embargo sur le gaz ou l'augmentation de son prix ne devrait pas jouer favorablement. Autant de facteurs qui peuvent accélérer le sentiment dans la population que, décidément, ce gouvernement "démocratique" ne vaut « pas mieux que les précédents ». Ce qui devrait ajouter aux tensions ...
Pour les Européens, l'enjeu aussi est important. Il s'agit de ne pas se laisser prendre dans un jeu d'escalade de part et d'autre, entre Moscou, d'un côté, Kiev et Washington de l'autre, qui pourrait entraîner une nouvelle coupure du continent européen. Et causer aussi par contrecoups des secousses économiques supplémentaires à l'heure où le continent est encore convalescent de la dernière crise économique et financière.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(*) La partie "faits d'actualité" - qui figurait dans l'article d'origine en tête de cet article - a été reportée dans un article séparé - Escarmouches dans l’est de l’Ukraine. Kiev réagit