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Emmanuel Macron prononce son discours sur la refondation de l'Europe face aux étudiants de la Sorbonne
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L’Europe de 2024 selon Macron : souveraine, stratégique, autonome

Dans le grand amphi de la Sorbonne, entourés d'étudiants, le président français Emmanuel Macron proposer une refondation de l'Europe (crédit : Elysée)

(B2) A la Sorbonne, mardi (26 septembre), le président français Emmanuel Macron a entendu placer haut une ambition pour l'Europe, pour la repositionner comme un projet d'avenir, apporteur de protection et garant de la souveraineté. S'inscrivant dans la lignée des « pionniers, des optimistes, des visionnaires », le président français entend ainsi refonder une « Europe, souveraine, unie et démocratique ».

L'Allemagne étant gelée par les élections, l'Espagne embourbée dans le référendum catalan, et le Royaume-Uni "out" pour cause de Brexit, et Paris s'étant réconcilié avec Rome, avec qui il partage nombre d'orientations, Emmanuel Macron a aujourd'hui le champ libre pour imposer sinon ses idées, du moins le cadre du débat. « Le temps où la France propose est revenu » ne se prive-t-il pas de répéter. Et au sommet de Tallinn, lors du dîner informel de ce jeudi soir (28 septembre), il a eu tout le loisir d'y dérouler ses idées qui peuvent ne pas plaire à tous.

Le maitre-mot : la souveraineté européenne

« Il y a une souveraineté européenne à construire, et il y a la nécessité de la construire » souligne Emmanuel Macron. Il veut « considérer comment faire une Europe forte, dans le monde tel qu’il va ». Car seule l'Europe peut « assurer une souveraineté réelle ». « Ce que l’Europe représente, nous ne pouvons pas le confier aveuglement, ni de l’autre côté de l’Atlantique, ni aux confins de l’Asie. »

Une capacité d'exister

Cette souveraineté, elle est définie comme « une capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts ». Ce panier de valeurs européennes, « qui forge notre identité profonde », est composé d'un « rapport à la liberté, aux Droits de l’Homme, à la justice » et d'un équilibre entre « une économie de marché [et] la justice sociale ».

Un renversement des priorités

La souveraineté européenne selon Macron, se décline en six thématiques clés, où viennent en premier la défense et la sécurité, qui est « le fondement de toute communauté politique », ainsi que la politique étrangère. Les axes plus classiques de la construction européenne comme la transition écologique, l'industrie ou le monétaire, ne viennent qu'ensuite. Un changement de paradigme symptomatique d'une évolution des priorités européennes de ces dernières années.

Couper l'herbe sous le pied aux eurosceptiques

Au passage, Emmanuel Macron enlève aux eurosceptiques plusieurs de leurs principaux arguments : la critique des institutions européennes "qui doivent changer" et l'argument de la "souveraineté" nationale qui devient européenne. « N’ayons plus peur des peuples » s'écrie Emmanuel Macron. Mais, il faut la reconnaître, passé un élan lyrique, certain, la plupart des projets présentés sont soit très flous, soit déjà lancés. On assiste plutôt ainsi à un remix d'idées anciennes, en misant sur le volontarisme ou une nouvelle dénomination pour les faire passer, que d'une réelle novation politique.

Une priorité : la défense

Face aux menaces actuelles connues (désengagement des États-Unis, actes terroristes, fracture des sociétés), le Président fait de la défense sa priorité.

L'objectif : une capacité d'action autonome

L'objectif en matière de défense « doit être la capacité d’action autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN ». Le socle de cette autonomie a été posé : c'est la Coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense, « avec des progrès historiques intervenus ces derniers mois ». Ce socle, les États membres sont « en train de lui donner un contenu ». Le fonds européen de défense doit être mis en place « au plus vite ».

Une initiative européenne d’intervention

Mais Emmanuel Macron veut aller plus loin. Il propose de la compléter avec « une initiative européenne d’intervention qui permette de mieux intégrer nos forces armées à toutes les étapes ». Il met la barre haut : « Au début de la prochaine décennie, l’Europe devra être dotée d’une Force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir ».

Construire une culture stratégique commune

Cette « initiative européenne d’intervention » vise aussi « à développer [une] culture stratégique partagée ». Le principe est simple : « Notre incapacité à agir ensemble de façon convaincante met en cause notre crédibilité en tant qu’Européens. Nous n’avons pas les mêmes cultures, parlementaires, historiques, politiques ni les mêmes sensibilités. Et nous ne changerons pas cela en un jour. Mais je propose dès à présent d’essayer de construire cette culture en commun. » Pour créer « ce rapprochement », Emmanuel Macron propose « un changement profond » reposant sur deux initiatives complémentaires.

Un échange intensif de militaires

Le président français « propose ainsi à nos partenaires d’accueillir dans nos armées nationales – et j’ouvre cette initiative dans les armées françaises – des militaires venant de tous les pays européens volontaires pour participer, le plus en amont possible, à nos travaux d'anticipation, de renseignement, de planification, ou encore de soutien aux opérations ». NB : cela va plus loin que le projet d'Erasmus militaire qui n'a jamais totalement abouti puisqu'il concerne plutôt l'intégration dans les chaînes opérationnelles des officiers ou sous-officiers. Pour créer cette culture, il faudra cependant que cet échange soit soutenu, et intensif, allant au-delà des accueils qui ont déjà lieux dans les armées de militaires venant de plusieurs pays européens.

Une académie du renseignement

Autre idée : la création d'une Académie européenne de renseignement pour lutter contre le terrorisme, toujours dans le souci de « renforcer les liens entre (les) pays » via « des actions de formation et d'échanges ».

Dix mesures proposées en matière de sécurité et de politique étrangère

Une action commune contre le terrorisme

Le président propose un parquet européen contre la criminalité organisée et le terrorisme. « Face à l’internationale du terrorisme, l’Europe de la sécurité doit être notre bouclier. Ils s’infiltrent partout en Europe, leurs ramifications sont là ; c’est donc ensemble que nous nous devons d’agir. De la prévention à la répression. »

NB : Ce projet n'est pas en soi nouveau puisqu'il est aujourd'hui débattu au plan législatif. Mais sans la dimension terrorisme. Il faut, pour cela une décision du Conseil européen (lire notre fiche). Il est donc intéressant de remettre cette nécessité au rang des priorités.

Une force européenne de protection civile

La force de protection civile aura pour mission de « lutter contre les catastrophes naturelles ». Il s'agit de « mettr[e] en commun nos moyens de secours et d’intervention » et de « permettr[e] ainsi de répondre aux catastrophes de moins en moins naturelles, des incendies aux ouragans, des inondations aux séismes ».

NB : un ancien projet, développé notamment par Michel Barnier, avait été rédigé en 2006 à la demande du président Prodi (1). Projet n'ayant abouti qu'à moitié. Dans l'esprit français (comme italien qui soutient ce projet), il s'agit en effet d'aller plus loin que l'actuel mécanisme européen de protection civile.

Lutte contre le financement du terrorisme

Les travaux « engagés » pour lutter contre le financement du terrorisme, et la propagande terroriste sur Internet doivent être bouclés (2). « Nous avons commencé à le faire, à quelques-uns. Nous devons renforcer notre cybersécurité et créer un espace de sécurité et de justice commun. »

Un office européen de l'asile

Le phénomène migratoire n'est pas une crise mais un « défi qui durera pour longtemps ». Il souhaite créer un « véritable Office européen de l’asile »,  permettant d'accélérer et harmoniser les procédures dans les États de l'UE.

Une police des frontières européennes

Cette police européenne devrait pouvoir garantir sur tout le territoire de l'UE une « gestion rigoureuse » et « assure(r) le retour de ceux qui ne peuvent rester ».

NB  : cette police des frontières ressemble furieusement au Corps européen des garde-frontières, déjà mis en place.

Des fichiers interconnectés

Les textes en cours d'adoption doivent être bouclés afin  d'avoir « enfin des fichiers connectés et des documents d’identité biométriques sécurisés ». En France, sont traitées « des dizaines de milliers de demandes d’asile que nos partenaires européens ont déjà refusées ».

Une véritable solidarité dans l'accueil

Il ne faut pas « laisser le fardeau [de l'accueil des réfugiés] à quelques-uns, qu’ils soient pays d’arrivée ou pays d’accueil final ». E. Macron propose de bâtir  « une véritable solidarité, choisie, organisée et concertée ».

Un programme d'intégration des réfugiés

Il est nécessaire de « finance[r] de manière solidaire un large programme de formation et d’intégration pour les réfugiés. » « Faire une place aux réfugiés qui ont risqué leur vie, chez eux et sur leur chemin, c’est notre devoir commun d’Européen et nous ne devons pas le perdre de vue ».

Des priorités pour la politique étrangère

Deux priorités doivent être claires : « la Méditerranée d’abord, le cœur de notre civilisation. Nous lui avons tourné le dos n’osant pas voir les crises. » L'Afrique ensuite. Elle doit être un « élément de refonte du projet européen ». « Notre politique européenne ne doit plus voir l’Afrique comme un voisin menaçant mais comme le partenaire stratégique avec lequel nous avons à affronter les défis de demain : l’emploi de la jeunesse, la mobilité, la lutte contre le changement climatique, les révolutions technologiques. »

La TFF à la rescousse de l'aide au développement

La taxe sur les transactions financières doit être redistribuée au fonds pour l'Aide au développement. « Généralisons-la au niveau de l’Europe et je suis prêt, je suis même volontaire pour en donner l’intégralité des ressources à l’aide publique au développement européenne ».

L'Europe de 2024

Le président français a aussi dressé les points clés de l'Europe du futur au plan institutionnel.

Une Europe à plusieurs vitesses

Emmanuel Macron milite pleinement vers une « Europe à plusieurs vitesses », vers des « différenciations, vers [une] avant-garde » permettant d'aller plus vite. « Sur tous nos grands défis, nous devons avancer en accélérant le rythme et en élevant nos ambitions. Aucun État ne doit être exclu de cette dynamique, mais aucun pays ne doit pouvoir bloquer ceux qui veulent avancer plus vite ou plus loin. »

Une Commission réduite à 15 membres

Pour fonctionner mieux, la Commission doit voir sa composition revue en diminuant ces effectifs (3). « Nous ne pourrons pas continuer avec une Commission à près de 30 membres, comme si chacun devait veiller aux intérêts de son pays. Ce n’est ni le sens, ni l’esprit du projet européen. Une Commission de 15 membres devra être notre horizon et pour avancer. [...] Cela permettra de rassembler les compétences, plutôt que de les fragmenter. ». Et le président fait une proposition « que les grands pays fondateurs renoncent à leurs commissaires pour commencer ! Nous donnerons l’exemple. » (4)

Un élargissement aux Balkans

La marche vers l'élargissement ne pourra reprendre que si « des différenciations ambitieuses » sont permises et la réforme des institutions entamée. A ces conditions, cette Union « devra s’ouvrir aux pays des Balkans » lorsqu’ils respecteront « pleinement l’acquis et les exigences démocratiques ». Les « arrimer à l’Union européenne ainsi repensée, c’est une condition pour qu’ils ne tournent pas le dos à l’Europe pour aller ou vers la Russie, ou vers la Turquie, ou vers des puissances autoritaires qui ne défendent pas aujourd’hui nos valeurs ».

Sans renier un changement du traité

« Si nous voulons l’Europe à terme », Emmanuel Macron estime qu'on ne peut faire l'impasse sur deux tabous, deux « indicibles » : « l’indicible allemand, c’est le transfert de financement ; l’indicible français, c’est le changement de traité ». Mais ce changement de traité ne passera par un référendum binaire. « La réponse est connue, c’est toujours « non », quelle que soit la question. Nous devons refonder le projet européen, par et avec le peuple, avec une exigence démocratique beaucoup plus forte qu’une simple question binaire. »

(Elena Barba & Nicolas Gros-Verheyde)

Télécharger le discours et le communiqué de synthèse (FRA /ENG)

(1) Rapport de Michel Barnier publié le 9 mai 2006, intitulé « Pour une force européenne de protection civile: Europe aid ».

(2) Français, Britanniques et Italiens ont lancé une initiative, le 20 septembre en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, pour prévenir l'utilisation d'internet par les terroristes, cf. la Déclaration

(3) Cette Commission réduite était normalement prévue dans le Traité de Lisbonne jusqu'à ce que l'Irlande fasse de la perspective d'un commissaire par État membre, une de ses conditions à la ratification du Traité.

(4) En faisant cette offre, Macron marche sur les traces de Jacques Chirac qui, lors du Traité de Nice, avait offert de troquer un des deux postes de commissaires, dont disposaient les grands États membres, contre la réduction de la Commission. On sait ce qu'il est advenu de ce projet. Une offre qui a été un jeu de dupes puisque les "grands" pays ont perdu leur double commissaire mais sans aucune réduction de la taille de la Commission, chaque pays gardant son commissaire.

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