[Reportage] Reportage à Bangui 2. La formation des FACA : plongée dans le travail de la mission

(B2 - à Bangui) C'est au camp Kassaï, à l'est de la capitale centrafricaine, que la mission européenne de formation des forces armées centrafricaines (EUTM RCA) entraine les FACA pour les aider à se reconstruire. Ils sont une cinquantaine à y participer directement, au sein des piliers “entrainement“ et “éducation“. B2 a été à leur rencontre pour comprendre leur travail.
Le pilier entrainement au cœur de la formation des bataillons
Les 33 militaires européens du pilier “entrainement“ travaillent par groupe de trois (chef de section, adjoint et aide moniteur). Chaque groupe encadre une section centrafricaine. Ici, tout le monde parle français. Seule exception, les six Suédois qui sont accompagnés d'un traducteur. Pour cette formation élémentaire, chacun des trinômes européens délivre la totalité de la formation à leur section, environ 400 heures, définie dans le SAIQ (système d'aide à l'instruction de qualité). Il y a donc un réel travail de préparation pour les Européens avant chaque séance d'instruction, car les domaines sont variés. Allant du sport et franchissement d'obstacles, à l'instruction générale (transmission, topographie, génie, secourisme, combat) jusqu'à l'entrainement au tir. L'objectif est de leur apprendre ou ré-apprendre à affronter toutes les situations qu'ils pourront rencontrer sur le terrain.
Sept mois pour former un bataillon
Contrairement à son ainée au Mali, EUTM RCA veut prendre le temps. Au camp Kassaï, il faut 12 semaines pour la formation de chaque compagnie. La formation débute par l'acquisition d'un savoir faire individuel pour arriver progressivement au niveau de la section (30 personnes) puis la compagnie (175). Lorsque les trois compagnies sont formées, tous reviennent au camp Kassaï pour une dernière formation conjointe de deux semaines, suivie d'un exercice final de certification. La nouveauté, à laquelle B2 a pu assister, est l'organisation d'un exercice intermédiaire, pour tester, pendant deux jours, les compagnies à leur échelle (Lire sur le blog : Au camp Kassaï, la formation des FACA avance à bon rythme). À la fin des sept mois de formation, un exercice de trois jours sur le terrain pour l’ensemble du bataillon permet de certifier la formation reçue par le bataillon.
Focus sur le combat
Sur les 400 heures d'entrainement qu'EUTM donne par bataillon, plus de la moitié sont dédiées au combat. Environ 25 heures sont dédiées à une première formation plus individuelle dont le combat à main nues. Viennent ensuite le combat en trinôme (40h), puis le combat en groupe (54h) et en section (72h). Outre une première explication sur l'organisation et les actes élémentaires correspondants à chaque niveau, l'entrainement se centre sur les missions (éclairer, surveiller, appuyer, neutraliser/détruire, assurer la liaison) et les procédés comme réagir à une embuscade, réaliser un point de contrôle (fouille de personnes et véhicules), boucler un point ou quartier, faire une patrouille, s'emparer d'une position...
Une instruction spécialisée pour les cadres
Si l'entrainement est commun, les officiers reçoivent une instruction complémentaire. Dès la seconde semaine, les officiers des sections et compagnie reçoivent une formation sur la chaine de commandement. Ces derniers étant particulièrement encadrés sur leur rôle de leaders. Il faut les pousser à prendre une part active, à accompagner leurs hommes et être placés au centre lors de chaque exercice. Ils doivent également donner des instructions constantes et s'assurer de ne laisser personne derrière eux. EUTM va plus loin, en délivrant une instruction spécifique à l'état major du bataillon, avec un module initiale de “poste de commandement“ (deux semaines) puis un module de perfectionnement de quatre semaines dans lequel l'accent est mis sur toutes les branches opérationnelles, à savoir transmissions, renseignement, logistique et appui.
La caisse à sable, le meilleur instrument pour monter des opérations
Les papiers, les FACA n'en ont pas vraiment l'habitude... Ils manquent de papiers, cahiers... Alors, après avoir “déroulé un ordre“, FACA et Européens prennent la direction de la caisse de sable. Les instructeurs d'EUTM ont vite compris qu'il est nécessaire de faire des choses concrètes et pratiques. Pour monter une opération, quelle que soit son envergure, c'est la même chose. La caisse à sable est l'instrument idéal pour cela, car il permet de reconstituer un scénario et d'analyser toutes les options de manière visuelle.
Le pilier éducation, une formation spécialisée

Le pilier "éducation" est, lui, orienté vers des formations individuelles, beaucoup plus spécialisées et destinées aux cadres des bataillons mais aussi aux cadres du reste des FACA. Ces formations, définies de commun accord avec le ministère de la Défense centrafricain, sont « réalisées en parfaite coordination avec le pilier “entrainement“ ». Au total, ce sont une trentaine de cours "d'impact rapide" (deux à trois semaines) qui sont planifiés allant du cours de l'éducation physique à la gestion budgétaire et au commandement de bataillon, en passant par du secourisme, tir, combat, pédagogie, logistique ou encore techniques de communication publique...
Former 25% des FACA : l'objectif sera atteint
Un quart des Forces armées centrafricaines devraient passer par ici avant la fin du premier mandat, nous explique le lieutenant colonel Jaime Mena, faisant référence au plan de mission. Un objectif qui n'est pas loin d'être atteint puisque 22% des officiers et 17% des sous-officiers des FACA ont d'ores et déjà été formés... et s'il y a un léger retard pour les sous-officiers (NCO), « c'est parce qu'on nous envoie des soldats au lieu de sous-officiers. Ce que nous devons refuser. » L'officier européen reste cependant particulièrement optimiste. « Il y a une véritable accélération politique » au sein du ministère de la défense centrafricain, surtout depuis l'arrivée de la nouvelle ministre de la Défense, Marie-Noëlle Koyara.
Focus sur le programme Train the Trainers (TTT)
EUTM n'est pas faite pour rester indéfiniment. Les centrafricains devront prendre en charge la formation de leurs propres forces armées. Mais pour cela, il faut reconstruire tout le tissu éducatif des FACA. C'est dans cette perspective qu'est mené le programme "Train the Trainers" (formation des formateurs). Ces futurs enseignants appartiennent notamment aux bataillons formés par EUTM. Leur formation repose sur douze cours : combat, techniques d'intervention opérationnelles rapprochées (TIOR), tir, secourisme (de base et de combat), topographie, renseignement, transmission, droit humanitaire, ressources humaines et prévention des violences sexuelles. D'ici la fin du mandat, EUTM entend avoir ainsi formé 150 enseignants.
L'école du camp Kassaï opérationnelle en 2018
S'il y a bien une école pour sous-officiers et officiers à Kassai, cela fait des années que personne n'y enseigne de façon autonome. Toutes les formations de niveau supérieur (école d’État-major, enseignement Militaire supérieur de 2ème degré, etc.) suivies par les FACA se font dans les écoles des pays avec lesquels des collaborations existent : France, Chine, Russie, Gabon, Guinée Bissau, Afrique du Sud... la liste est longue. Le lieutenant colonel Mena espère que l'école commencera à tourner dès septembre 2018. Pour y parvenir, un soutien sera apporté à la direction de l'école dès janvier, afin d'accompagner la définition du programme d'études et chacune des activités. Et le gros des 15 professeurs sortiront du programme Train the Trainers « bien que ceux appartenant aux bataillons seront probablement déployés ».
De la formation au mentoring
Tous les élèves du programme mettent en pratique leur formation. Le non déploiement immédiat du premier bataillon formé (le BIT 3) a une conséquence positive. Ils peuvent rester plus longtemps à Bangui et peuvent participer à la formation de leurs collègues du second bataillon (BIT 1). « Notre objectif est de passer de la formation au mentoring, qu'il y ait une véritable appropriation par les gestes, par la pratique. À eux de donner les cours. Nous serons là pour observer, et apporter des corrections si nécessaire. Mais cela se fera en bilatéral, uniquement avec le professeur », souligne le lieutenant colonel Mena. Si ce processus se met en place petit à petit, il devrait être une réalité pour le second mandat d'EUTM RCA, à partir de septembre 2018.
Les cours de qualification
Outre les “quick impact courses“ donnant lieu à des attestations de participation, EUTM organise des cours de qualification. Plus longs (de 10-15 semaines à 9 mois ), ces cours donnent lieu à de véritables diplômes d'études. Lors de notre visite, la quatrième formation du genre était en cours, le BA2 (Brevet d'armes du 2ème degré), dirigée vers des sous-officiers.
Les droits de l'homme, un élément essentiel à tous les échelons
Apprendre aux FACA que « même la guerre à des limites », c'est le travail de l'experte Cynthia Petrigh. Cette formation a commencé en juillet dernier. Le général Blazquez ayant insisté pour que, via ce projet pilote de 6 mois, tous les effectifs des bataillons formés par EUTM reçoivent cette formation. Pour certains, ce ne seront que quelques heures (entre 5 et 8). Pour les gradés, on insiste davantage, avec 15 à 20 heures de formation. Si cela semble peu, cette formation peut faire la différence. « Les FACA sont très réceptifs au cours de droit international humanitaire/prévention de la violence sexuelle et posent de nombreuses questions. Un questionnaire donné en début et en fin de cours permet d'évaluer la progression » et elle est réelle, nous explique cette professeur de droit.
Améliorer les comportements

Après un travail d'analyse, plusieurs problèmes ont été identifiés et l'objectif du cursus est « d'améliorer le comportement des FACA pour respecter le droit applicable en RCA et avoir une meilleure acceptation par la population ». Le premier point est la notion de protection de la population et l'interdiction des représailles. Pour beaucoup d'entre eux, « personne ne leur avait dit qu'il ne fallait pas violer, que c'est interdit ». Il faut également leur apprendre la distinction entre un combattant et un non combattant. « Il faut leur montrer que l'ennemi est seulement celui qui est illégalement armé et qui tire, et pas les civils. »
En découle le principe de proportionnalité et des dommages collatéraux. « Il faut leur expliquer qu'ils ne peuvent pas attaquer un village avec des mortiers parce qu'une personne armée s'y est réfugiée. » Vient ensuite le problème du traitement des prisonniers, qu'il ne faut ni tuer ni torturer. « Aujourd'hui ils ne font pas beaucoup de prisonniers » reconnait l'experte, se basant sur les rapports de plusieurs organisations internationales présentes dans le pays.
Changer les mentalités à long terme
Pour avoir un effet sur du long terme, les cours de droit humanitaire international sont inclus dans le programme Train the Trainers. Au total, une dizaine d'officiers devraient être à même d'instruire leur collègues à partir de janvier 2018. Ce sont également eux qui prendront en charge les éléments du DDR qui arriveront au camp Kassaï dans les semaines à venir. Nous avons pu assister à une classe donnée par l'un d'entre eux. « Vous êtes des tueurs professionnels. Vous devez donc savoir tuer mais aussi protéger » clame-t-il à ses élèves. « Vous avez une responsabilité. Vous devez être la voix des sans voix. »
Une formation pas encore systématisée dans la PSDC
Si la coordination au sein d'EUTM ne fait pas de doute, il nous faut signaler que cette formation est financée exclusivement par le Royaume-Uni, par un contrat passé avec la société de Cynthia Petrigh, Beyond Peace. Celle-ci se rendra à Bruxelles après sa mission, pour offrir au COPS un debriefing et « justement aider l'UE à mieux concevoir et systématiser cette composante des missions PSDC ».
(Leonor Hubaut)
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De la formation ... à l'amitié
Les instructeurs Européens que nous avons rencontré ont tous une chose en commun. Ils croient en leur travail. Chacun s'implique. Avant de venir, la plupart ne pouvaient pas placer la RCA sur une carte. Aujourd'hui, c'est avec un “baramo“ (“bonjour“ en sango) qu'ils franchissent la barrière d'entrée du camp Kassaï dès 7h du matin... et qu'ils se dirigent vers leur collègues centrafricains. Ici, tous sont militaires. Ils sont là pour les former. Mais après 12 semaines passées avec eux dans les salles de cours, sur le terrain, sous la pluie et le soleil ... ils sont devenus frères d'armes, voire amis.