(B2 - exclusif) Tout le monde est impacté par la crise sanitaire du Covid-19. Les priorités de défense et les opérations militaires de l'UE n'y échappent pas. Le général Claudio Graziano, à la tête du comité militaire de l'Union européenne (EUMC), nous livre ses premières impressions et analyses
Le général Graziano (crédit : EUMC)
Le coronavirus a frappé l'Europe il y a maintenant plus d'un mois. Nous n'étions pas préparés à une crise aussi intense. Comment voyez-vous la réponse de l'Union européenne à la crise jusqu'à présent ?
— Aujourd'hui, le virus est un défi sans frontières, aux conséquences potentielles inimaginables, s'il n'est pas affronté rapidement, et ensemble. Il s'agit d'une guerre dans laquelle, nous ne pouvons que jouer notre rôle de manière responsable, en restant engagés dans un effort véritablement uni, pour retrouver nos vies d'avant la crise.
Vous êtes le président du comité militaire de l'UE. Quel est précisément votre rôle dans la gestion de la crise du Covid-19 ?
— En tant que direction militaire, notre objectif est double : assurer la santé et la sécurité de notre personnel déployé, tout en garantissant le succès des opérations de l'Union européenne. Le virus représente, pour nous, un nouveau défi. Notre priorité est d'examiner notre mode de fonctionnement et de nous adapter à ce nouveau scénario. Nous devons mieux relever les défis d'aujourd'hui avec des capacités appropriées et être mieux préparés et correctement équipés, pour faire face aux nouvelles menaces de demain. Cette capacité de réaction est essentielle pour notre crédibilité.
Est-ce que cela passe par une meilleure coordination des efforts entre les différentes forces armées européennes ?
— Les ministres de la Défense, lors de leur dernière réunion, ont partagé des exemples remarquables sur la manière dont les forces armées contribuent à la lutte contre le coronavirus. Tout ce travail est crucial, tout comme il est essentiel d'explorer comment nous — en tant qu'Européens — nous pourrions utiliser l'expertise militaire au niveau de l'Union européenne pour soutenir l'échange d'informations et le partage des meilleures pratiques entre les États membres au travers de la task force établie au service diplomatique européen.
L'Espagne a décidé de retirer des soldats d'EUTM Mali, d'autres pays pourraient faire de même. Comment vous y préparez-vous ?
— La composante militaire de l'Union européenne agit non seulement pour éviter la propagation du virus, mais aussi pour garantir la continuité des missions et des opérations. Bien entendu, la crise sanitaire actuelle peut avoir et aura un impact sur certaines activités essentielles. Un impact notamment sur la protection de la force au sein des missions, et sur la sécurité du pays hôte. Nous assurons une coordination, afin de fournir aux institutions européennes une évaluation des vulnérabilités les plus critiques. En plus, j'essaie de mettre en avant la nécessité de prendre des mesures coordonnées et synchronisées avec la chaîne de commandement de l'Union européenne pour répondre au mieux aux exigences et aux besoins posés par la pandémie.
Vous préparez donc une stratégie de sécurité, dans l'objectif de faire face à une crise du même genre dans l'avenir ?
— La pandémie de Covid-19 nous met sans aucun doute face à un défi inexploré, qui met sérieusement à l'épreuve notre capacité de résistance. Je suis personnellement convaincu que lorsque tout sera terminé, nous devrons tirer des leçons importantes, qui seront utilisées si, malheureusement, un cas similaire devait se reproduire.
Tirer des leçons de la crise... Cela pourrait rejaillir sur les priorités dans le domaine de la défense européenne ?
— Tous les chefs d'état-major de la défense de l'Union européenne sont pleinement impliqués dans cette affaire. La question du coronavirus et la manière dont la composante militaire de l'Union européenne pourrait tirer les leçons de cette crise et, par conséquent, améliorer les capacités de nos forces armées dans ce domaine, deviendra une priorité. Lors de la prochaine réunion avec les chefs d'états majors, d'ici fin mai, nous explorerons comment faire face à cette crise ensemble et comment définir de manière coordonnée les prochaines étapes. Nous pouvons déjà commencer à réfléchir à de futures initiatives, comme des projets de la coopération structurée permanente (PESCO) spécifiques, notamment une redéfinition des priorités, vers par exemple les projets qui touchent au biologique.
Permettez cette question plus personnelle. Votre pays d'origine, l'Italie, est le plus touché. Comment vivez-vous cette situation ?
— Je viens du nord de l'Italie, de Turin, dans le Piémont. Ma famille et moi vivons aussi bien que possible, ici, à Bruxelles, dans ces circonstances surréalistes et tragiques. Comme vous le savez, la crise du Covid-19 a frappé mon pays de manière très dure, en effet, et m'a frappée personnellement car j'ai des amis et des collègues touchés par la maladie. C'est un moment difficile pour nous tous. Mes pensées et mes prières vont à tous ceux qui ont été touchés et à tous ceux qui ont subi des pertes. En tant que président de l'EUMC et ancien commandant en chef italien, donc en quelque sorte le plus haut gradé de l'Union européenne, mon cœur, mes préoccupations quotidiennes et mon soutien total vont également à ma deuxième famille : les militaires qui, en Italie comme dans toute l'Europe, apportent leur contribution maximale à la lutte contre cette terrible pandémie de coronavirus, en soutien aux organisations médicales civiles et de protection civile. Je suis sûr qu'en étant unis, nous nous en sortirons.
(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)
Entretien effectué entre le lundi 6 et le mercredi 15 avril, en anglais, par échanges de mails