(B2) Être le premier et s'ouvrir à la concurrence, exploiter au maximum l'intelligence artificielle et la cadrer. L'équation de l'avion du futur franco-allemand recèle encore beaucoup d'inconnues
Next Generation Fighter, avion de combat (crédit : Dassault)
Ce rapport, présenté par Hélène Conway-Mouret, et Ronan Le Gleut, intitulé « 2040, l'odyssée du SCAF (*), le système de combat aérien du futur » a été présenté mercredi (15 juillet) à la commission Affaires étrangères défense et forces armées du Sénat. Hélène Conway-Mouret, membre du groupe des socialistes et républicains (S&D), sénatrice des Français établis hors de France et vice-présidente du Sénat a répondu aux questions de B2.
Se dépêcher, avant que le projet tombe à l'eau...
Pour Hélène Conway-Mouret, le risque que des partenaires se retirent du projet est plus que réel. Pour l'éviter, le rapport qu'elle a codirigé préconise un contrat « global et unique » pour la suite du développement du démonstrateur du SCAF, jusqu’en 2025-2026, « plutôt qu’une succession de contrats, exigeant une validation politique réitérée ». Car les accords annuels font courir le risque d'« avancées à petits pas, des retards et des blocages », et donc l'absence « de vision globale », note Hélène Conway-Mouret. Alors qu'un accord pluri-annuel suppose de « connaître les prochaines étapes, les avoir acceptées, et signées ». Pour la sénatrice, l'enjeu n'est pas moindre, car dans vingt ans, « nous aurons un souci, avec les systèmes à remplacer, si le nouveau système n'est pas prêt ».
... pour être les premiers
Aller vite, c'est avoir « l’avantage d’être le premier » et donc « pouvoir imposer des normes aux autres ». Or les normes de sécurité sont pour le moment souvent anglo-saxonnes et les sociétés de sécurité sont britanniques ou américaines, remarque la sénatrice. En somme, il faut rendre le programme SCAF « irréversible ». Et cela avant la mi-2021. Le rapport propose également de se pencher sur les accords d'exportation entre les partenaires. Alors que la France et l'Allemagne ont dégagé des règles communes, les sénateurs préconisent qu'il en soit de même entre Berlin et Madrid.
Être précurseur sur l'utilisation de l'intelligence artificielle
Si le SCAF est « précurseur », c'est bien sur l'intelligence artificielle. Un exercice bien particulier qui impose de maitriser autant la technologie, que de préciser les règles de l'emploi. « Nous devons conserver le contrôle humain, si ce n'est pour des questions éthiques, et ne pas donner à une machine le choix de décider de la vie et de la mort », préconise la sénatrice. « Il doit donc y avoir des normes qui limitent son utilisation. » Mais l'intelligence artificielle, cela « peut être ce qui fait la différence entre le perdant et le gagnant dans un combat aérien ». C'est ainsi qu'elle est considérée comme un « pilier transversal » du SCAF, qu’il est « nécessaire de développer au maximum », préconise le rapport.
Positionner le SCAF comme seule alternative technologique
Le développement du SCAF est une opportunité en or pour le développement des technologies disruptives. Et le système devra être « réellement disruptif en 2040 », insiste le rapport. D'ici là, Hélène Conway-Mouret en est certaine, le F-35 américain «aura vécu ». Le SCAF, lui, « devra remplacer les systèmes de combats aériens actuels ». C'est pour cela que l'investissement dans la technologie disruptive est la clé : « la rapidité de l’évolution des technologies, et les efforts de nos principaux adversaires et alliés pour développer des systèmes toujours plus performants, obligent à se projeter le plus loin possible, afin de ne pas élaborer un système de combat qui serait déjà obsolète lors de sa mise en service », développe le rapport. C'est aussi pour cela qu'il faut voir le pilier "cloud de combat" « comme une priorité de même niveau que l’avion et le moteur ».
Ouvrir davantage le programme aux Européens
Il faut « s’efforcer » d’élargir le programme à d'autres Européens « dans ses étapes suivantes (post 2026) ». C'est une autre préconisation du rapport. Cela doit conduire à trouver des synergies avec les instruments européens de défense (l'EDIDP, la PESCO, le FEDef), notamment pour « développer de standards d’interopérabilité » entre les capacités, et pouvoir exporter. Il serait même « imprudent de négliger » le programme Tempest, qui pourrait constituer un concurrent à l’exportation, préviennent les sénateurs.
La concurrence du Tempest bien présente
Du côté Français, le projet du SCAF est considéré comme « existentiel », rapporte Hélène Conway-Mouret. Comme l'est son projet concurrent, le Tempest (Royaume-Uni, Suède, Italie) de l'autre côté de la Manche. Pourtant, elle voit la possibilité d'une fusion des deux projets dans le futur. C'est aussi ce que ses interlocuteurs britanniques ont avancé, alors que chez les Français, « on est plus réticents » observe-t-elle. Peut-être faudra-t-il « ouvrir les projets, à un moment », selon les avancées de chacun, esquisse-t-elle. Du moins « laisser ouverte une possibilité de coopération avec le programme britannique Tempest, notamment pour les effecteurs », précise le rapport. Dans tous les cas, pour les rapporteurs, il faut « travailler en amont » à l’interopérabilité des systèmes SCAF et Tempest.
(Aurélie Pugnet)
* Le concept d’avion de combat présenté par Dassault est baptisé « New Generation Fighter » (avion de nouvelle génération ou NGF). Cet avion, et ses effecteurs déportés (Remote Carriers) composent le « New Generation Weapon System » (NGWS). Une fois intégré dans un environnement de combat aérien ultra-connecté, l’ensemble forme le « Système de Combat Aérien du Futur » (SCAF, FCAS en anglais).