(B2 à Berlin) Les ministres de la Défense de l'UE avaient quelques sujets sensibles sur leur table de travail. François Bausch, ministre de la Défense du Luxembourg, livre à B2 ses impressions
Le premier point dont le ministre nous a parlé, c'est « évidemment la situation au Mali ». La définition de la nouvelle 'boussole stratégique' européenne a aussi été un point clé important de cette informelle défense. Et, naturellement, comment ne pas évoquer la situation en Méditerranée orientale.
Partir du Mali : une mauvaise idée
Quel était votre premier point de préoccupation pour cette informelle Défense ?
Ce ne sont pas les putschistes eux-mêmes qui ont été formés par les Européens, mais certains des soldats formés y ont participé. Cela pose un problème vis-à-vis notre engagement au Mali. L'objectif maintenant, c'est d'arriver à stabiliser la situation d'une façon démocratique. Une transition de trois ans [NB : comme proposée alors par la junte] est ainsi inacceptable.
Rester ou partir ?
Partir est une mauvais idée. Pourvu que ça ne dégénère pas, il est important de rester.
Qu'est-ce qui vous incite à prendre cette position ?
Les soldats qui ont pris le pouvoir ont tout de suite annoncé qu’ils aimeraient continuer de travailler avec l'ONU et l'Union européenne. C'est un bon signe, qui laisse espérer qu'ils ont un plan d'avenir, avec des garanties pour l’état de droit et la démocratie.
À vous entendre, on croirait que ce putsch a eu un avantage : mettre fin à un blocage politique ?
Exactement. Mais le plus important c'est ce qu'ils ont annoncé : coopérer et mettre en place une transition pour revenir à la démocratie. C'est un bon signe. Ce qu'il adviendra, difficile de le dire. Je crois qu'on y verra plus clair dans deux ou trois mois sur la manière dont ils veulent collaborer. Ils ont parlé avec l’Union africaine, la Cédéao (communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest), ce qui est aussi positif. Le sentiment autour de la table [des ministres de la Défense] est d'attendre un peu et de voir. Jusqu'à présent tout a été assez pacifique. C'est plutôt bon signe. J'espère que cela va continuer ainsi.
Quel rôle l'Union européenne pourrait-elle jouer dans cette transition démocratique ?
L'UE peut guider, pousser pour une élection démocratique, sensibiliser, discuter. Nous avons des possibilités d'influencer, de discuter, d'être médiateur en fait. Mais l'Union européenne ne va pas décréter qui peut être président. Nous devrions réfléchir à ce que nous ferons à l'avenir. Au sein même du Mali, il nous faut voir quelles sont les raisons de la détérioration de la situation. Ce n'est pas le putsch lui-même qui en est la cause. Ce n'est d'ailleurs pas une surprise.
La prévention, l'atout de la boussole stratégique
La réflexion sur le futur est lancée. Quelle est la valeur ajoutée de cette boussole stratégique en matière de défense ?
La défense doit faire face à plus de nouveaux risques. Il s'agit de ne pas se concentrer uniquement sur les effets de conflits militaires armés, mais plutôt sur la prévention, pour détecter les défis, comme les cybermenaces, le changement climatique ou la façon dont la société gère les épidémies.
Il y a des points à améliorer ?
Dans la gestion de la crise du Covid-19, c'était clair au début : on a tout fermé. Mais maintenant, on constate qu'il y a eu un manque de cohérence, de coordination entre les États européens. Ce sont des éléments, qui j'espère, vont être plus discutés et mieux pris en compte dans la nouvelle stratégie.
C'est une question de la compétence des ministres de la défense ?
Si les pays prennent tout le temps des mesures nationalistes, en fermant les frontières, en stigmatisant une partie de la population parce qu'ils ont peut-être plus de cas qu'une autre région, c'est très dangereux. Cela n'a aucun sens. Aucun scientifique n'a dit de fermer les frontières. C'est du n'importe quoi ! Et cela ravive les nationalismes. Il faut faire attention. Avec ces fermetures, cet isolement et cette stigmatisation, on retrouve des discours et des réactions défensives, qu'on n'a plus connus en Europe depuis des dizaines d'années. Alors oui, c’est une question de défense. Car pour moi, la défense, c'est défendre les valeurs. Et la meilleure défense, c'est prévenir les conflits, à la source. Les meilleurs soldats sont ceux qui n'ont jamais à utiliser leurs fusils.
Méditerranée : un risque à éviter à tout prix
Les relations avec la Turquie sont de plus en plus tendues. Les débats sont de plus en plus intenses dans l'enceinte européenne ?
Il y a évidemment un intérêt que je comprends bien. Quand il y a des intrusions journalières dans l'espace aérien, cela pose en effet un problème. La Turquie représente un double problème. D'abord, il y a des risques que l'on doit éviter à tout prix, comme un conflit avec la Grèce. En plus, elle est membre de l’OTAN, où il y a de plus en plus de débats. Il faut vraiment arriver à éviter ce conflit.
Nous nous trouvons donc au bord d'un conflit ?
Non, mais nous sommes au bord d'un dérapage. Et ce n'est pas sain. Il faut vraiment que Recep Tayyip Erdogan [le président turc] redescende sur terre. Cela n'a aucun sens d'alimenter des conflits avec la Grèce en Méditerranée aujourd'hui.
(Propos recueillis par Aurélie Pugnet et Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien réalisé en face à face, en français, le mercredi 26 août, en marge de la réunion informelle