[Reportage] Eulex Kosovo 2 . Une mission de police à volets multiples
(B2, à Pristina et Mitrovica) EULEX est si associée à la police que d'aucuns ont cru que la mission de l'UE était à la manœuvre dans l’arrestation de responsables de l'UČK pour crimes de guerre. Erreur. Pour autant le rôle des Européens n'est pas négligeable. Ils interviennent aussi en renfort, en seconde ligne, si les policiers locaux sont débordés. Ils continuent de patrouiller aussi à Mitrovica Nord
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Encore aujourd’hui, le manque de clarté sur qui a fait quoi, où, et quand lors des arrestations en novembre de proéminents membres de l’Armée nationale du Kosovo (UČK) (1), accusés d’avoir commis un tas d’atrocités lors de la guerre fin des années 1990, semble bien gêner EULEX Kosovo. « Ce n’était pas nous », répètent nos interlocuteurs. « Il existe une idée fausse selon laquelle les opérations de recherche et les arrestations ont été menées par EULEX. Ce n'est pas vrai. Les opérations ont été menées par le personnel du Bureau du procureur spécialisé du Kosovo (SPO) », précise Cezary Luba, le chef de mission adjoint de EULEX Kosovo. C'est le procureur spécialisé (SPO), mercredi 4 novembre 2020 au matin, qui s'est chargé de tout.
Un soutien opérationnel et logistique uniquement
Lors de ces arrestations, « l’une des tâches principales de la mission EULEX est de coopérer avec les Chambres spécialisées et le Bureau du procureur spécialisé du Kosovo et de leur fournir un soutien opérationnel et logistique. Ce soutien comprend, par exemple, l'utilisation des véhicules EULEX et le soutien opérationnel au SPO par l'unité de police constituée d’EULEX (Formed police unit, FPU) », explique Cezary Luba. Cela explique les voitures estampillées de drapeaux européens sur les photos.
Un changement de mandat peu clair
Le chef de mission EULEX, Lars-Gunnar Wigemark, appuie également sur ce point : « Il y a eu cette perception à la fois au Kosovo et à l'étranger », que EULEX a conduit les opérations et arrestations, regrette-t-il. Selon lui, l’explication à la présence des véhicules aux drapeaux européens mais aussi au fait que « les gens associent EULEX à l'arrestation des personnes de haut profil, car cela rappelle le mandat exécutif d’EULEX » (lire : Au Kosovo, l’État de droit est une question, toujours politique, très sensible (Lars-Gunnar Wigemark, EULEX Kosovo)). Or ce mandat s’est terminé en 2018. D’ailleurs, avec ce changement de mandat et donc de compétences, il avait été question de changer le nom de la mission. Cela n'a pas été fait, mais le chef y reste très favorable.
Que fait la police de EULEX ?
EULEX est composée de 95 policiers, tous venus de Pologne, stationnés à Mitrovica Sud, à la limite du Nord du Kosovo, peuplé principalement de Serbes. Ensemble, ils forment la 'Formed police unit' (FPU).
« Second security responder »
Ces policiers sont aussi le 'second security responder' au Kosovo - la KFOR, la force de l'OTAN, étant la troisième. Autrement dit, si la police kosovare (KP) a besoin d’un appui, la FPU répond présent. Par exemple, explique Cezary Luba, le chef de mission adjoint de EULEX Kosovo, « la police kosovare sait déjà qu’il va se passer quelque chose, comme des manifestations le Jour des vétérans. Alors ils préparent des plans d'opération et nous informent en avance qu’ils aimeraient que l’on soit prêts à intervenir ». En plus, « nous pouvons envoyer des personnes sur le terrain pour recueillir directement des informations », rajoute-il.
Ces appels ne sont pas si fréquents. Le dernier remonte à mai 2019, lorsque la police kosovare a conduit des opérations anti-contrebande dans le nord du Kosovo.
Entrainement et patrouilles
En attendant d’être appelés en renfort, la FPU ne reste pas les bras croisés. Le temps des policiers est partagé entre deux tâches : l’entraînement et les patrouilles dans le Nord du pays. Ces dernières « ont débutées sur demande du maire de Mitrovica-Nord en 2017. Car il y a eu quelques incidents, notamment sur le pont de Mitrovica. Il a été demandé à la communauté internationale d'être plus visible, pour prévenir les incidents. Les États membres ont décidé de poursuivre notre présence. Donc, chaque matin, des policiers prennent des voitures et patrouillent toute la journée. Les itinéraires sont prévus pour que EULEX soit visible. »
Bientôt 105 élites de la police polonaise
Les 95 policiers de la FPU seront bientôt 105, après la prochaine rotation du 17 mars 2021. Ce « en raison de la reconfiguration de la mission », précise seulement Cezary Luba, qui reste énigmatique sur leur rôle.
Pour l’instant, les 95 policiers sont répartis en quatre groupes, dont trois pelotons (platoons). Le premier est un « groupe d’intervention typique », formés de personnes de l’unité anti-terroriste en Pologne. Les deux autres ont la tâche de « contrôle des foules et des émeutes » (crowd and riot control). Il est facile de les différencier : le premier groupe est habillé de treillis, les deux autres en bleu, comme des policiers ‘normaux’. Chaque groupe compte une trentaine de policiers (Integrated police officers, IPO). A eux s'ajoutent les sept personnes qui forment l'équipe logistique, et le commandant de la FPU. De plus, sept personnes forment une réserve en Pologne.
Un recrutement ciblé
Ces policiers sont recrutés sur concours lancé par la police polonaise. « Tout le monde peut participer » — sous réserve de remplir certaines obligations : un certain nombre d’années de service, possession d’un permis de conduire, etc. « Il est préférable qu’ils viennent des groupes d’intervention, d’équipes SWAT, du contrôle des foules ou des émeutes, étant donné que ce sont les profils de la FPU », raconte Cezary Luba. S’en suit une compétition physique, parfois un test d’anglais selon la position demandée. Les meilleurs sont sélectionnés environ 4 à 5 mois avant de partir pour Mitrovica. Sur place, ils vivent, mangent, s’entrainent sur leur enceinte pendant neuf mois, avant de retourner en Pologne. Si l'expérience leur a plu, ils pourront se représenter au concours pour une nouvelle rotation, mais pas avant deux ans.
(Aurélie Pugnet, envoyée spéciale à Pristina)
Photos : B2-Aurélie Pugnet
- Jakup Krasniqi (ancien porte-parole de l'UČK), Kadri Veseli (dirigeant du parti PDK composé notamment de héros de la guerre) et Rexhep Selimi (fondateur de l’armée de l'UČK) ont été interpellés par le SPO. Lire : Perquisitions à Pristina. Policiers européens et kosovars mobilisés. Krasniqi et Thaçi en prison
- Le procureur spécialisé (SPO), à la Haye aux Pays-Bas, traite des dossiers spécifiques précisés dans le rapport Dick Marty notamment sur les trafics d'organes et crimes de guerres par l'Armée des libération nationale du Kosovo (UČK). À côté du SPO, travaillent les Chambres spéciales du Kosovo. Lire la loi
L’intégration des serbes dans la police kosovare
EULEX — pas la FPU — dispose de deux « police advisors » dans le Nord, au sein de la police kosovare. Ici, « 90 % des officiers de police » sont des kosovars serbes, mais « cela ne crée pas de différence, ils reflètent juste la société dans le Nord [majoritairement Serbes NDLR] », témoigne Cezary Luba. L’idée est de « garder une relation » avec le Nord « qui se plaint parfois, par exemple de ne pas avoir le budget pour rénover les locaux, avoir de nouvelles voitures ou équipements, que leurs affaires ne sont pas traitées de manière appropriée, ou de la même manière que celles des Albanais [du Sud NDLR] », explique Cezary Luba. Ces plaintes, les conseillers peuvent les faire remonter. « Toute la police du Kosovo doit être traitée sur un pied d'égalité, sans aucun préjudice. »