Diplomatie UE

[Entretien] L’Europe dans le monde : Stop à la naïveté ! (Assita Kanko)

(B2) Assita Kanko appartient à la génération 2019 du Parlement européen, la toute dernière. À mi-mandat, elle estime n'avoir pas démérité. Même si elle apprécie peu la lenteur ou la candeur de l'institution, sur trois sujets phares : la Turquie, les migrations et la cybersécurité

(Crédits : @ES/B2)

L'eurodéputée belge (Nouvelle alliance flamande NVA/ECR) n'a aucune intention de faire de la figuration. Son engagement en tant que shadow rapporteur sur plusieurs rapports (PESCO, exportations d'armes, cyberdéfense) en témoigne. Elle siège en commissions LIBE (libertés publiques) et AFET/DROI (droits de l'Homme), et à la délégation pour les relations avec les États-Unis.

Le féminisme en étendard

En séance ou en commission, Assita Kanko fait partie de ceux dont la prise de parole passe rarement inaperçue. Au détour d'une remarque, d'une posture ou d'une formule. Comme en septembre 2019, lors d’un débat sur la situation politique et de sécurité au Burkina Faso où elle porte une robe made in son pays d’origine. Elle veut ainsi montrer le côté lumineux d'un pays « qui sombre dans le djihadisme ». Ou encore en avril 2021 lors de l'épisode du Sofagate, lorsqu'elle apostrophe la présidente de la Commission européenne dans l'hémicycle, prenant son parti : « Vous avez été du mauvais côté de la chaise ! » « C’était une opportunité de montrer que ce n’est pas une exception mais une question sous-jacente, on nous oublie ! » Défendre du droit des femmes, elle y a largement eu à faire au Burkina Faso, son pays d'origine. Elle n'imaginait pas devoir faire la même chose de ce côté-ci de la Méditerranée. C'est d'ailleurs ce qui l'a poussé à entrer en politique lorsqu'elle a rejoint la Belgique, le pays de son compagnon, au début des années 2000.

Une question de respect

« Tant que vous ne vous respectez pas, vous ne pouvez pas être respecté », affirme l'élue. C'est pour elle la faiblesse de l'Europe. « Comment se laisser traiter de la sorte par la Turquie ? Être aussi naïf vis-à-vis des Américains ? Moi non plus je n’aime pas Trump, mais je n'en déduis pas que Biden est un ange ! Je ne dis pas que ce c’est un démon mais c’est le président des États-Unis, pas de l'Europe ! » Elle raille ceux qui sont surpris par les "trahisons" américaines. Elle raille aussi l'arme des sanctions, dégainée selon elle à tout bout de champ. « Les sanctions font mal jusqu’à un certain point, mais tant que Loukachenko est soutenu par Russie, il peut tenir ! » prend-elle en exemple, à propos du régime biélorusse.

L'Europe de la défense doit être crédible

L'affirmation de la défense européenne est l'une des voies à emprunter pour que l'Europe se fasse respecter, explique Assita Kanko. « Nous devons investir dans notre défense. Nous devons prendre nos responsabilités, réfléchir à une stratégie européenne de la défense ». Mais elle balaie d'emblée l'idée de la création d'une armée européenne : « Si nous ne sommes pas capable d’avoir un plan complet pour les migrations, je ne vois pas comment on peut arriver à s’entendre pour créer une armée ! »

Migrations, l'incapacité européenne

La politique migratoire, c'est son autre cheval de bataille. « Un an après, les propositions de la Commission européenne [sur le pacte asile et migration] sont toujours sur la table, rien ne s’est passé. Quand allons-nous avoir quelque chose de concret ? », s'agace-t-elle, énervée contre l’inaction qui tétanise et laisse l'Union européenne dans une position hybride… « Nous devons agir car sinon, nous restons enfermés entre l’extrême gauche (qui veut ouvrir toutes les frontières) et l’extrême droite (qui veut les fermer) ». C'est aussi ce qui conditionne la relation avec la Turquie : « Tant que nous n’aurons pas mis en oeuvre notre politique migratoire nous n’aurons pas les leviers pour discuter avec la Turquie. »

Une réponse modérée assumée

Sur ce sujet, l'élue n'est pas forcément raccord avec ses collègues du groupe ECR. Elle l'assume. Ou esquive. « Je parle au nom de mon parti. Dans le groupe, nous avons différents partis. Chacun a sa ligne. À la NVA, nous avons une position de centre-droit, notre message sur la migration est clair : les frontières ne peuvent être totalement ouvertes, ni fermées, car l’immigration fait partie de l’humanité, et elle va continuer, mais elle doit être contrôlée et combinée à une politique d’intégration. Sinon l'opinion publique continuera à critiquer les migrations. »

En soutien de Frontex

Elle détonne aussi dans son soutien à l'agence européenne de garde-frontières et garde-côtes. Pour elle, les critiques vis-à-vis de Frontex relèvent d'une campagne de « règlements de compte » et de « chasse aux sorcières ». Elle a fait partie de la mission parlementaire de la commission LIBE qui s’est rendue au siège de Frontex en Pologne en début d'année 2021. Elle en est revenue convaincue : « Frontex sauve beaucoup de vies chaque année. Il faut voir le travail mener par ces garde-côtes pour comprendre comment cela se passe ». Elle soutient la montée en puissance de l’agence (jusqu’à 10.000 garde-côtes) mais aussi le renforcement d'Europol, l'agence de lutte contre la criminalité, car « il faut associer à la protection des frontières la lutte contre la criminalité ». 

Cybersécurité : un changement de paradigme urgent

La cyberdéfense est l'autre dossier "du moment" sur lequel Assita s'investit. Elle a travaillé sur le rapport de l’État des capacités de cyberdéfense de l’Union (porté par Urmas Paet - Renew). « La seule chose qui me surprend c’est pourquoi nous avons besoin d’un rapport pour comprendre à quel point nous sommes vulnérables. Il suffit d’acheter un iPhone ! Nous aurions pu aussi écrire un rapport pour dire que le soleil se lève à l’Est ou que l’eau est mouillée. » Elle plaisante pour forcer le trait. Elle veut croire que ce type de rapport est utile pour « réveiller » les plus endormis car l'enjeu aujourd'hui est bien de « changer de culture dans notre approche cyber ! » Elle est à ce titre « contente » que la cyberdéfense soit « une priorité des Français », qui portera la présidence du Conseil à partir janvier 2022, pour six mois.

Ronger son frein

À Strasbourg, la fourmilière du Parlement européen retrouve progressivement son activité d'avant Covid-19. Ce lent mouvement est à l'image du sentiment d'Assita, de sa « [frustration] de la lenteur des choses ». Elle voudrait que les choses avancent plus vite. Elle le sait, Bruxelles c'est « l'école de la lenteur ». « Peut-être que c'est pour le meilleur », cherche-t-elle à se convaincre. Car c'est l'école des accords, la recherche du consensus, la bataille sur les dossiers et moins la confrontation entre les partis. C'est aussi ce qu'elle aime.

Rester à l'opposé des extrêmes

Elle sait néanmoins esquiver. Comme lorsqu'il faut aborder la vie du groupe politique des conservateurs (ECR) dont elle est l'une des vice-présidentes. Les rumeurs d'un "super groupe" réunissant la Lega italienne, le rassemblement national de M. Le Pen, et le Fidesz du Hongrois Viktor Orban, ne la fait pas sourciller. Elle pose en revanche ses limites : « J’ai entendu l'idée de créer un espace de grosse collaboration intense entre partis forts à droite mais je n’ai rien de concret. Je trouve des gens à fédérer sur des dossiers qui me tiennent à cœur dans tous les groupes ».

(Emmanuelle Stroesser)

Entretien réalisé en face à face, à Strasbourg, mercredi 6 octobre, en français

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