(B2) Poursuivre les coopérations internationales pour la sécurité maritime, entre golfe de Guinée et océan Indien. Et assurer les missions tout en préparant l'avenir. Le chef d'état-major de la Marine nationale française, l'amiral Pierre Vandier, détaille pour B2 les enjeux de ces partenariats.
La première expérimentation de présence maritime coordonnée (PMC) est sur le point de s'achever dans le golfe de Guinée. Quelle est votre vision de ce projet ?
— La présence maritime coordonnée (PMC), c'est une bonne expression de ce que l'Europe peut faire en-dehors de ses murs, sans les Américains, et compte-tenu de ses moyens et de la réalité politique. Et c'est déjà une brique. C'est la théorie du verre à moitié plein ou à moitié vide : ça avance lentement, mais ça avance quand même.
On peut imaginer que la PMC soit la dalle de béton sur laquelle on pourrait construire en mer Rouge, dans le golfe d'Aden... Compte-tenu des baisses de format de la Marine nationale, je préfère qu'il y ait une frégate espagnole ou italienne en mer Rouge plutôt qu'il n'y ait personne. Je préfère que les pays qui interviennent sur la zone soient coordonnés avec nous plutôt que de se retrouver sans rien.
On parle surtout de coopération, mais pas de développement capacitaire. C'est un sujet tabou ?
— Il y a des réticences assez fortes de la part de l'Union européenne à faire du « capacity building ». Il y a une sorte d'aversion pour le fait militaire, une réticence à payer des bateaux aux marines concernées. Mais la question mériterait d'être posée. Pour l'instant, l'Europe ne veut pas de ça, c'est un pont trop loin d'aller faire de l'équipement militaire en Afrique.
Y aurait-il une option intermédiaire ?
— Le volet action de l’État en mer pour l'Europe pourrait aider à monter des programmes de développements axés sur la dimension civilo-militaire, dans le cadre de politiques publiques. L'idée serait que l'Union nous aide à monter des programmes de développement de capacités AEM.
Après le golfe de Guinée, le cap est mis sur l'océan Indien (1). Pourquoi le choix s'est-il porté sur cette zone ?
— Il y a des discussions intéressantes qui avancent sur la PMC océan Indien. La polarisation des tensions entre les États-Unis et la Chine fait que le dispositif militaire américain se recentre vers l'est, ce qui crée des vides. Entre Norfolk et Malacca, il y a de moins en moins d'américains. Le vide se fait sur un cordon ombilical vital pour les Européens, le canal de Suez. On commence à avoir une forme de prise de conscience. C'est un sujet sur lequel il faut se pencher. La zone n'est pas sûre, entre la guerre au Yémen et la pression chinoise à l'Ouest de l'océan Indien, il ne vaut pas laisser de vide.
Où en est-on actuellement ?
— Les discussions européennes sont en cours, j'espère qu'elles vont aboutir dans le cadre de la boussole stratégique. Pour dire : soyons présents, pas dans une mission de guerre, mais avec des bulles d'informations à partager. Soyons en mesure de comprendre ensemble ce qui se passe, une base sur laquelle on peut opérationnaliser si besoin.
La mer de Chine n'est donc plus une priorité ?
— Oui et non. J'ai du mal à concevoir une opération « freedom of navigation » sous drapeau européen en mer de Chine. Compte-tenu des liens européens avec le pays, économiques entre autres, cela a peu de chance de se faire. Cela ne se fera pas par le biais de l'Europe, mais plutôt en national.
Le programme de corvette européenne (EPC – European patrol corvette) pourrait-il permettre de relancer la présence française sur certaines zones maritimes ?
— C'est un projet intéressant, sur lequel nous misons beaucoup. Il nous permettrait d'avoir un segment de présence ultramarine. Vous ne pouvez pas aller vers des pays qui se remilitarisent de manière massive avec une frégate de surveillance. Sur le plan militaire, elle est complètement déclassée. Le simple fait de pouvoir s'interfacer avec des alliés comme l'Inde ou la Malaisie, cela suppose de venir avec autre chose qu'un drapeau. Il faut être capable de se voir confier des tâches militaires.
Sur un plan européen, que peuvent-elles apporter ?
— Les EPC représentent une forme de standardisation prometteuse. Nous pouvons espérer avoir une race de bateaux très interopérables et assez interchangeables sur le plan des missions. Je crois beaucoup au travail qui est fait par sur les programmes structurants, qui dépassent les moyens de l'ambition nationale.
(Propos recueillis par Helen Chachaty)
Entretien réalisé le 20 janvier 2022, en one-to-one et en face à face.
A lire demain sur le blog : les trois priorités de la Marine nationale.
Formé à l’École navale (il y entre en 1987), l'amiral Pierre Vandier se dirige vers l'aéronautique navale. Il commence sa carrière sur Super Étendard et participe notamment à la guerre du Golfe. Il est déployé ensuite en Bosnie et au Kosovo. Transformé sur Rafale en 2001, il est nommé commandant de la première flottille Rafale de l'aéronavale (12F). Son parcours de commandement l'amène à être commandant adjoint opérations du porte-avions Charles De Gaulle de 2005 à 2007. Avant de prendre le commandement de la frégate légère furtive Surcouf, avec laquelle il participe à l’opération Thalatine de sauvetage des otages du Ponant, en océan Indien. Après une incursion au bureau « Plans » de l’état-major des Armées (EMA), il devient chef des opérations de la zone Afrique au CPCO. Il occupe le poste de chef de la cellule de crise de l'opération Serval (Mali) au premier semestre 2013. Il prend ensuite le commandement du Charles de Gaulle. Après diverses affectations en état-major, il est désigné chef du cabinet militaire de la ministre des Armées en 2018. Il y reste deux ans, avant de prendre ses fonctions de chef d'état-major de la Marine nationale en 2020.