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Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

Nathalie Loiseau lors de la discussion à Kiev avec la mission EUAM Ukraine (Photo FluxVideo : EBS - Sélection B2)
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Le sang froid des Ukrainiens est remarquable. Ils ont retenu la leçon de la Géorgie en 2008 (Nathalie Loiseau)

(B2) Les tensions sont importantes. Mariupol est un port vide. Du fait du blocus maritime russe. Les provocations sont incessantes. Mais les Ukrainiens ne se laissent pas abattre. La mission EUAM Ukraine fait du bon boulot. Mais il reste un problème : la justice. Enfin, au Donbass, se déroule un conflit, réel, à ne pas négliger. La présidente de la sous-commission SEDE revient pour B2 sur son voyage en Ukraine.

Nathalie Loiseau lors de la discussion à Kiev avec la mission EUAM Ukraine (Photo FluxVideo : EBS - Sélection B2)

Durant ce voyage, l'eurodéputée française de la liste Renaissance (Renew), le parti du président Emmanuel Macron, a beaucoup écouté : les Ukrainiens tout d'abord (politiques comme spécialistes de la sécurité ou du renseignement alias le SBU) et les Européens (diplomates en poste à Kiev et spécialistes de la PSDC de la mission EUAM Ukraine).

Comment jaugez-vous l'esprit des Ukrainiens ?

— Ils jouent la retenue. Ce qui est à saluer. Il y a de nombreuses fausses alertes à la bombe, un peu partout. On voit très bien qu'on essaie de jouer sur les nerfs des gens. Mais ça ne marche pas. Ils sont bien déterminés à pas se laisser intimider ni économiquement ni politiquement ni militairement. Même si la pression est forte. Avoir 125.000 hommes à ses frontières, au dessus des têtes, des manœuvres terrestres en Biélorussie, des manœuvres navales en Mer noire, ce n'est pas rien. Ils sont fermes pour défendre leur pays. Mais ils le font avec un sang froid remarquable.

Ils ne veulent donc pas suivre l'exemple géorgien de 2008, lorsque les autorités géorgiennes avaient voulu prendre de court les Russes et mener l'offensive ?

— Cela, ils l'ont clairement en tête, je peux vous l'assurer. Ils ne veulent absolument pas commettre le moindre geste qui pourrait être interprété [par les Russes] comme une provocation. Ils sont très concentrés sur ce sujet aussi dans les messages qu'ils passent. Quel que soit l'interlocuteur à qui ils parlent, ils sont aussi très coordonnés. C'est frappant.

L'attaque imminente n'est donc pas si imminente ?

— De façon générale, on doit bien distinguer le renseignement, l'analyse du renseignement et le discours qui en est fait. Ce sont trois strates différentes. L'imminence est de l'ordre de l'interprétation. Vous aurez d'ailleurs remarqué que les États-Unis qui avaient prononcé ce mot l'ont retiré de leur langage. Et du côté ukrainien, le mot n'a jamais été prononcé. Ils ne veulent pas en effet céder à la panique et ne veulent surtout pas refléter cette panique.

Il y a une ville dont on parle moins : Mariupol, sur la Mer d'Azov. Vous y êtes allés ?

— Oui. Ce qui est frappant est ce port, quasiment vide. Un contraste saisissant. D'autres collègues étaient dans la ville il y a quelques mois. Même si l'activité était assez réduite, il y avait des navires qui accostaient. Mariupol avait un port vivant. Aujourd'hui, rien, ou presque. Cela a une cause unique : le contrôle du détroit de Kertch, et de la Mer noire, par les Russes est une forme de blocus qui ne porte pas son nom. Un navire ukrainien peut attendre plus d'une semaine pour franchir le détroit. Il va réfléchir donc à deux fois avant de reprendre la même route.

À votre retour, vous avez dit avoir été frappée par la variété des tâches assurées par le bureau de la mission PSDC (EUAM Ukraine) à Mariupol. Cela a une vraie utilité ?

— EUAM est présente à Kiev mais aussi en dehors, dans quatre villes de province, comme à Mariupol. Ce qui est une bonne chose. Cela renforce la visibilité de l'Union européenne. Et c'est apprécié. C'est une mission utile, donc. Elle fait du conseil en stratégie, du conseil législatif, de l’opérationnel et de l’assistance technique. Elle a commencé par travailler avec la police nationale, mais intervient aujourd'hui auprès de tous les services de sécurité. Elle a étendu son mandat à la sécurité économique et aux conseillers de la Diète ukrainienne. Des réflexions sont en cours pour aller plus loin et aider à lutter contre les menaces hybrides. Tout cela va dans la bonne direction.

... Mais on constate toujours un manque d'efficacité dans la lutte contre la corruption ?

— EUAM ne peut pas s'occuper de tout. La mission travaille sur les forces de sécurité, la police judiciaire par exemple. Ce qu'il faut c'est une réforme de la justice, profonde, et un contrôle étroit sur la manière dont les fonds européens sont dépensés. Ce n'est pas le travail de EUAM. Et ce n'est peut-être pas la tâche que des Européens. Des choses se sont améliorées. C'est la société civile qui le dit. Mais on ne change pas les pratiques d’un pays, ancrées dans un système depuis longtemps, par de simples actions de coopération. C'est une question de génération.

Quelle doit être l'issue de la crise qui se déroule entre Russie et Ukraine ?

— Il faut tout faire pour la désescalade. Le président français Emmanuel Macron tente de renouer les fils du dialogue. Nous en sommes au début du processus. Nous retirons déjà un élément de tension. Cela va être très long. Nous ne sommes pas comme en 2008 [avec Nicolas Sarkozy en Géorgie] : nous sommes en situation de prévention du conflit.

Mais au Donbass, c'est un vrai conflit !

— Oui. Ce n'est pas un conflit gelé comme le disent certains. C'est un conflit tout court. Il y a une vraie ligne de front, avec des tirs de mortiers, la présence de snipers, des dommages de part et d'autre, aux bâtiments, des blessés, parfois des morts. Même si les tensions apparaissent moins fortes qu'au printemps dernier, il y a des hommes dans les tranchées. Il s'y livre une sorte de guerre d'usure que nous n'avions pas vu en Europe depuis 1914-1918 [la Première Guerre mondiale]. Pour tous ceux qui s'imaginent que la guerre est asymétrique, avec des groupes terroristes, du cyber et des menaces hybrides, ce qui se passe au Donbass, comme entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan [en novembre 2020], est là pour nous rappeler que la guerre conventionnelle n'est pas morte.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde, avec Emmanuelle Stroesser)

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Entretien réalisé par téléphone le 8 février, suite à un échange de mails

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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