EP Plenary session - Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument 2021-2027 – Global Europe
Stabilisation - Paix

[Entretien] Si nous n’arrêtons pas la guerre en Ukraine, alors nous aurons d’autres autocraties (Rasa Jukneviciene)

(B2) Taxée un temps de russophobe, l'ancienne ministre de la Défense de Lituanie (2008 à 2012) veut croire que l'attaque russe contre l'Ukraine marque le début de la chute de Vladimir Poutine, et le réveil des Européens. Elle défend le soutien en équipements militaires. Et attend du Parlement européen une parole forte mardi.

(crédit : Parlement européen)

Rasa Jukneviciene est vice-présidente du groupe PPE pour les affaires étrangères au Parlement européen, membre du parti TS-LKD (Union de la patrie - Chrétiens-démocrates lituaniens).

Vous êtes née en Russie. Vous avez fait partie des signataires de la déclaration d'indépendance de la Lituanie en 1990. Que ressentez-vous face à la tentative d'annexion de l'Ukraine ? Quels souvenirs cela vous rappelle-t-il ? 

— Je vis avec ces souvenirs... Ce qui se passe aujourd'hui, c'est comme un 'déjà vu' (en français). Mais bien sûr, à l'époque, la situation était différente. À l’époque de Gorbatchev ou Eltsine, la Russie essayait de commencer sa démocratisation. Mais maintenant les Russes sont en prison. Navalny en est le symbole, de son empoisonnement aux énormes manipulations de la machine d'information. Le régime en Russie est un régime terrible, c'est Hitler et Staline réunis !

Quelle est votre crainte aujourd'hui ?

— Je crains qu'il y ait beaucoup de sang mais je suis pleine d'espoir que aujourd'hui marque le début de la fin du régime de Poutine.

Qu'est-ce qui vous le fait croire ? 

— Il est impossible d'avoir un régime aussi brutal pendant une longue période sur le continent européen. Ce n'est pas juste un combat entre la Russie et l’Ukraine. Je lis les titres de médias parlant de "crise ukrainienne"... C'est faux, ce n'est pas une crise ukrainienne, comme on a parlé de crises polonaise ou tchécoslovaque... c'est une agression, une guerre russe contre notre mode de vie, la démocratie, la liberté. 

Vous avez demandé des sanctions à grande échelle. Le Conseil européen réagit-il comme vous le souhaitez ? aussi rapidement et largement que vous le souhaitez ?  

— C'est la plus grande réponse que la Russie ait jamais reçu, bien sûr, et elle est assez dure. Malheureusement, la procédure est telle, que chaque pays doit être d'accord. Certains pays devraient avoir honte d'avoir fait trainer les décisions… Nous devons pouvoir avoir les sanctions le jour même, et l'échelle complète des sanctions. Cela doit nous amener à réfléchir sur l'avenir de l'Union européenne. Nous devons changer de procédure dans le futur.

Vous parlez de réticences des États membres ? 

— Oui. Des pays se sont opposés ou ont commencé à hésiter sur les sanctions. Cela nuit beaucoup à l'image de l'Union européenne. Je crains que les Ukrainiens eux-mêmes ne soient moins pro-européens qu'avant. Certains pays veulent croire que tout peut revenir à la normale, business as usual... Le problème c'est qu'ils n'ont pas écouté les avertissements et ils sont surpris maintenant, beaucoup de pays leur ont dit qui est Vladimir Poutine et je me sens coupable de n’avoir pas pu les convaincre. La dépendance énergétique allemande vis-à-vis du gaz russe, par exemple, c'est notre problème, celui de toute l'Union.

Vous dites qu'il faut changer la procédure à l'avenir. Que voulez-vous changer dans la procédure ?

— Avoir un vote à la majorité sur les sanctions et sur certaines questions importantes, en cas de crise majeure ou d'état de guerre comme c'est le cas actuellement sur notre continent.

Quel type de soutien militaire les États membres doivent-ils apporter à l'Ukraine ? 

— Tous les types ! Y compris une zone d'exclusion aérienne dès que possible, toutes sortes d'armes, des systèmes de défense anti-char et anti-missiles, parce que les Ukrainiens se battent pour survivre. Poutine n'a pas atteint ce qu’il voulait, il voulait une guerre éclair, il voulait réussir en un jour ou même moins. Il est temps pour nous de rentrer dans cette guerre, sinon nous serons tous attaqués. 

Vous avez présidé l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. L'Alliance est-elle affaiblie par cette attaque de la Russie ?  

— Non, non. Je me souviens de cette époque où j'étais ministre de la Défense (2008 à 2012), alors l'OTAN était très faible, parce que notre adhésion n'était que sur le papier, très formelle, sans déploiements, juste avec nos propres forces militaires très faibles. L'OTAN s'est réveillée en 2014, je suis reconnaissante aux Ukrainiens d'avoir perdu leur vie parce que sinon nous aurions été attaqués.  L'occupation de l'Ukraine avaient un but militaire... Tout comme la Syrie, qui a servi d'exercice aux Russes, pour être prêts à attaquer comme ils le font maintenant. 

Quelles leçons tirer des crises précédentes, notamment en 2014 et l'annexion de la Crimée et d'une partie du Donbass ? 

— C'est une énorme erreur que la Géorgie et l'Ukraine n'aient pas obtenu de plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN lors du sommet de Bucarest en 2008. Hier, à Paris, Nathalie Loiseau, membre française du Parlement européen et présidente de la sous-commission Sécurité et Défense (SEDE), a déclaré que c'était une erreur. Si l'Ukraine faisait aujourd'hui partie de l'OTAN, ce qui s'est passé hier ne serait jamais arrivé. Je suis heureuse que les politiciens français comprennent cela et pas seulement nous. La Russie a été encouragée parce que nous n’avons pas agi ! Parce que l'Ukraine n'a pas été invitée à l'OTAN. Poutine est un opportuniste, quand il voit que l'Ouest est faible, il agit, il observe, et passe à l'action, il tue.

Vous appelez à poursuivre Poutine devant une cour internationale ? Ce sera pour l'après guerre ? 

— Le gouvernement de mon pays, la Lituanie, a lancé un appel hier et a déclaré haut et fort qu'il allait le faire. Nous devons commencer à en parler, à le faire pour que cela se produise, et certainement de mon vivant.

Y aura-t-il une autre Europe, avant et après l'attaque de l'Ukraine ? 

— Si nous n’arrêtons pas la guerre en Ukraine, alors nous aurons d'autres autocraties. Car certains observent ce qui va se passer avec la Russie. Si la Russie gagne et que nous perdons l’Ukraine… nous risquons de perdre beaucoup plus. 

Êtes-vous confiante quant à la réponse européenne concernant l’accueil des réfugiés ? 

— C'est la question la plus facile parce que je ne doute pas que la réponse soit à la hauteur. Je reçois des informations de mes amis en Norvège, ils annoncent qu'ils sont prêts à accueillir des gens. En Lituanie, les gens s'inscrivent sur des listes, moi-même je m'y suis inscrite et j'accueillerai des gens chez moi. Des milliers de lituaniens feront la même chose, et beaucoup de personnes dans les autres pays européens.

Le Parlement européen se réunit mardi, que proposerez-vous ? À qui le Parlement doit il s’adresser ?

— Nous devons avoir une résolution forte, nommer ce qui se passe avec des mots forts et décrire la situation telle qu'elle est, sans blabla. Nous devons dire qui est Poutine, nous devons remercier les Ukrainiens et nous devons mentionner leur héroïsme, nous devons parler des besoins des Ukrainiens et d'abord du soutien militaire à ces pays, et, le plus important, nous devons regarder vers l'avenir et bien sûr dire que l'Europe et l'Ukraine seront ensemble, et nous les invitons à faire partie de notre communauté. 

Vous avez été ministre de la Défense, que feriez-vous si vous étiez ministre aujourd'hui ? 

— La même chose que ce que fait le ministre de mon pays. Nous avons fourni des équipements militaires, avant l'attaque, nous savons que l'un des chars russes a été détruit par ces armes que l'Ukraine a obtenu de la Lituanie. Je suis fière de mon gouvernement.

(Propos recueillis par Emmanuelle Stroesser)

Entretien réalisé par téléphone, samedi 26 février,  en anglais (traduction par nos soins)

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