(B2 - exclusif) Les présences russe et chinoise, la place géographique, l'instabilité chronique... Tout devrait pousser l'Union européenne à davantage s'affirmer dans la zone de l'Est de l'Afrique, si stratégique. Encore faut-il qu'elle change d'attitude, adopte une démarche plus égalitaire, soit plus à l'écoute, et surtout soit plus présente. Le cri d'alarme de l'eurodéputé 5 Étoiles italien.
(crédit : Parlement européen)
Fabio Massimo Castaldo (M5S/NI) travaille sur un projet de recommandation, toujours en négociation avec les groupes politiques, sur les pays de la Corne de l'Afrique. Le rapport doit être adopté en commission Affaires étrangères (AFET) le 13 juillet, et en plénière le 12 septembre.
Pour le préparer, l'eurodéputé a rencontré les ambassadeurs de presque tous les pays de la région, à la seule exception du Sud-Soudan, avec qui il n'a pas pu fixer de rendez-vous, et l'ambassadeur de l'Union africaine auprès de l'UE.
Des eurodéputés de la commission AFET prévoient de se rendre dans la région en septembre.
La Corne de l'Afrique était en débat au conseil des Affaires étrangères (du 18 juin). Vous espériez que cela mette en avant la région. Êtes-vous satisfait ?
— C'est un verre à moitié plein et à moitié vide. Les 600 millions € promis à la région pour faire face aux conséquences immédiates de l'insécurité alimentaire accrue due à l'agression criminelle de la Russie contre l'Ukraine sont un bon début. On peut en dire autant de la nouvelle approche positive de la Somalie après les élections. En outre, la médiation de l'Union européenne pour débloquer le blé ukrainien aurait également un impact positif. Toutefois, certaines choses restent hors de notre portée immédiate, comme la recherche d'une solution négociée au conflit éthiopien.
Le rapport met justement l'accent sur la résolution du conflit en Éthiopie. Pourtant, l'Union européenne n'est pas la plus engagée dans ce dossier...
— Il est certain que la réponse de l'Union européenne dans la guerre du Tigré n'a pas été décisive. Elle n'est pas absente pour autant. Au contraire ! Elle a (notamment) suspendu son soutien budgétaire à l'Éthiopie jusqu'à ce que les humanitaires puissent accéder au Tigré.
Les Européens restent donc spectateurs ?
— Comme l'a dit l'envoyé de l'Union africaine Olusegun Obasanjo [Nigeria], il n'y a pas de solution militaire au conflit et la victoire sur le champ de bataille ne peut pas garantir la stabilité politique en Éthiopie. L'Union européenne devrait soutenir tous les efforts diplomatiques et les efforts du gouvernement dans la reprise de la santé, de l'éducation et d'autres installations et services publics. Et continuer à insister sur l'importance du dialogue national lancé par le Premier ministre Abiy Ahmed. Qu'il soit aussi inclusif, large et transparent que possible.
Vous préconisez une approche conditionnelle sur le principe de "donner plus pour recevoir plus". Est-ce que ce n'est pas déjà un principe à l'œuvre, qui guide déjà la répartition des moyens dans le cadre du programme NDICI Global Europe ?
— La conditionnalité est un outil politique de longue date de l'Union européenne. Il est en effet déjà été intégré dans le nouvel instrument financier, le NDICI. Ce qu'il est important de mettre en évidence, c'est que ce principe n'est pas punitif, ni destiné à ne réglementer que l'aide financière et la coopération au développement. C'est pourquoi j'ai voulu l'inclure dans les principes généraux de cette recommandation.
Dans un cas concret comme celui de l'Éthiopie, que faut-il faire ?
— Nous devrions prendre des mesures supplémentaires en cas d'aggravation de la situation. De même qu'être prêts à rétablir progressivement l'aide budgétaire et l'assistance de l'UE si certaines conditions sont remplies. Notamment la cessation des hostilités, un accès humanitaire total et sans entrave y compris dans la région du Tigré, et le retrait des troupes érythréennes du pays.
Vous posez la question de l'avenir de l'opération maritime EUNAVFOR Atalanta au large des côtes de la Somalie. Quel est votre verdict ?
— La valeur ajoutée démontrée par l'opération Atalanta au cours des 13 dernières années est indéniable. Nous devons donc trouver des moyens pour continuer à avancer sur cette voie. Si nous ne le faisons pas, la piraterie [maritime] et l'instabilité se renforceront de plus en plus. Et nous risquerions de voir d'autres acteurs nous remplacer.
Cela vaut pour les autres missions sur place, comme la mission militaire de formation ?
— Nous devrons aussi renforcer notre mission de formation sur place pour EUTM. Et contribuer, par le biais d'une assistance financière et technique, à la nouvelle mission de transition de l'Union africaine en Somalie (ATMIS) et soutenir pleinement l'Union africaine et ses composantes régionales dans leurs efforts pour instaurer la sécurité et la stabilité dans le pays (1).
Ce qui suppose de maintenir la facilité européenne pour la paix ?
— La Facilité a déjà utilisé beaucoup plus de fonds que ce qui lui avait été attribué pour cette année en raison du besoin urgent et clair d'aider l'Ukraine. Mais nous recommandons de continuer à fournir les fonds et l'assistance technique prévus pour les Africains avant cet événement tragique. Cela sera nécessaire pour la Corne de l'Afrique comme pour toute autre région.
La Somalie fait-elle partie des pays trop négligés par les Européens ? À l'exemple de l'EUTM Somalia, où vous dites que les États membres n'assurent pas leurs engagements ?
— Au Parlement européen, nous avons toujours appelé à un engagement plus cohérent des États membres pour chaque mission PSDC, y compris celle de formation des forces armées EUTM Somalia. Si nous voulons une Union européenne plus forte dans le monde, nous devons lui donner les moyens de le devenir. Tant que cette possibilité dépendra de la volonté des États membres de fournir des moyens et du personnel, nous continuerons à plaider en ce sens.
Avez-vous constaté dans les discussions avec vos interlocuteurs africains que le fossé se creuse ? Que la guerre en Ukraine fragilise une relation que le sommet UE-Afrique a cherché à renforcer ?
— Il existe une intention concrète de collaborer avec l'Union européenne. Cela dit, tout n'a pas parfaitement fonctionné par le passé dans les relations entre Europe et Afrique. Certains pays ont déploré l'approche paternaliste de l'Union européenne, l'absence partielle de dialogue constructif avant le lancement de certains projets. D'autres acteurs comme la Russie et la Chine ont su exploiter ces incompréhensions, accroître leur influence et renforcer leurs liens avec la région. Cependant, malgré ces quelques différences de position vis-à-vis de la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine, il existe une volonté mutuelle de redynamiser les relations entre l'Union européenne et l'Afrique.
Quel est LA recommandation que vous voulez faire passer, s'il ne fallait en retenir qu'une ?
— Il y en a deux si vous voulez bien et non pas seulement une. Les deux servent de fil conducteur à l'ensemble du document, en sont le leitmotiv. La première consiste à appeler l'Union européenne à s'éloigner de l'approche paternaliste, pour adopter une approche plus égalitaire et mutuellement bénéfique. La seconde concerne l'objectif principal de l'engagement de l'UE dans la région. Au lieu de se concentrer sur de grands projets et des macro-thèmes, l'Union devrait mettre au centre de son intérêt la population locale, dans le but d'améliorer de manière cohérente et tangible ses conditions de vie.
Ce rapport a été décidé avant la guerre en Ukraine. Change-t-elle le fond des recommandations ?
— La guerre aura avant tout un impact dramatique sur la sécurité alimentaire de la région, car environ 90 % des importations de blé et de céréales provenaient de Russie et d'Ukraine. Par conséquent, dans le rapport, la nécessité d'éviter la famine dans la région se traduira par une demande à la Commission européenne et au Conseil d'intensifier l'aide humanitaire dans l'immédiat. À long terme il sera essentiel de renforcer la production locale afin de réduire les dépendances vis-à-vis de l'étranger. En outre, le conflit risque de renforcer les liens déjà existants entre Moscou et certains pays de la région, comme l'a partiellement démontré le vote de la résolution de l'ONU du 2 mars dernier condamnant l'invasion russe, qui n'a été soutenue que par la Somalie et le Kenya. Tandis que le Soudan, le Sud-Soudan et l'Ouganda se sont abstenus, que l'Éthiopie était absente et que l'Érythrée a voté contre.
Craignez-vous que l'influence russe s'accentue ?
— L'influence croissante de la Russie dans la région n'est certainement pas une tendance nouvelle. Cela s'est accompagné d'investissements considérables dans le domaine militaire, visant à sécuriser les avant-postes et les bases susceptibles de garantir un rayonnement continental et le contrôle de zones stratégiques et de points d'étranglement, comme l'accord pour la construction d'une base navale au Soudan conclu en décembre 2021.
Ce qui installe une présence à long terme ?
— Les routes maritimes de la mer Rouge et du golfe d'Aden comptent déjà parmi les plus importantes au monde, et l'importance de la région augmentera de manière exponentielle, compte tenu de la nécessité pour l'Europe de s'approvisionner en énergie auprès d'acteurs autres que la Russie. Par conséquent, nous pouvons dire que, bien que les difficultés opérationnelles en Ukraine obligent la Russie à déplacer certaines de ses unités militaires et paramilitaires d’autres théâtres vers l’Ukraine, son engagement en Afrique ne diminuera pas.
(Emmanuelle Stroesser)
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Entretien réalisé par écrit, en français, avec plusieurs échanges de questions/réponses, entre la mi et fin juin 2022.