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[Pendant ce temps] La Tunisie reste un pays fragilisé par la faillite de la Libye (Kamel Akrout)

Kamel Akrout (Ipass)

(B2) Ancien conseiller à la sécurité nationale du président tunisien, l'amiral Kamel Akrout, tient à renvoyer aux Occidentaux la faillite libyenne. Un problème fondamental pour la rive Sud de la Méditerranée, la Tunisie en particulier.

  • Amiral à la retraite, Kamel Akrout a été le premier conseiller à la sécurité nationale du président tunisien Béji Caïd Essebsi jusqu'à sa mort en juillet 2019.
  • Formé dans les écoles militaires de Tunis (Institut de défense nationale et école d'état-major), de Hambourg, d'Athènes (Académie navale) et de Washington (College of International Security Affairs), il a été directeur général de la sécurité militaire puis attaché militaire de la Tunisie à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis). Il quitte le Palais de Carthage à l'investiture du président Kaïs Saïed (1). Il préside aujourd'hui le think tank IPASS
  • Il était l'invité des Rencontres Stratégiques de la Méditerranée, organisées par le FMES, fin septembre, à Toulon.

Une rupture stratégique majeure avec la faillite libyenne

Toute la zone du Nord de l'Afrique est aujourd'hui secouée. On assiste à « une rupture stratégique depuis le début des années 2010 » indique Kamel Akrout. Avec trois éléments principaux. Premièrement, « la déstabilisation de pays stables en interne qui tenaient leurs frontières terrestres et maritimes de façon sûre », la Libye en particulier. Deuxièmement, « l'intervention de puissances étrangères selon des méthodes datant du XIXe siècle avec des méthodes de prédation ». Troisièmement, « la montée vers le Nord des "troupes" subsahariennes qui ont franchi l'obstacle du désert et de la Méditerranée ».

L'inexistence de l'État libyen, un facteur de danger

« L'État libyen n'est plus en capacité d'exister et donc de contrôler tout l'espace entre la Méditerranée, le  Tchad et le Soudan. » La Tunisie a « 6000 km de frontières et des milliers de kilomètres sans même un poste frontalier ». Cette absence de frontières marquées a profondément « déstabilisé l'État tunisien ». Elle « permet une circulation de tous les trafics : d'êtres humains, d'armes, de drogues ou de groupes terroristes ».

Le chaos laisse la place à des puissances non désirées

Ce vacuum n'a pas été occupé par les Occidentaux. « Washington [notamment] n'a pas intégré ces pays dans un dispositif, comme pour l'Est européen après la chute du Mur de Berlin. » Les Européens non plus. « La fin des régimes a donné lieu à une réorientation des axes de chaque pays selon des vues idéologiques. [...] Chaque puissance poussant ses intérêts dans une zone. » La Libye en particulier est devenue « l'objet de convoitises et d'actions de puissance n'intervenant pas habituellement dans la zone ».

Un interventionnisme régional dangereux

Cet « interventionnisme étranger », notamment de la Turquie et du Qatar, est dangereux. Il favorise une « forme de déstabilisation des sociétés ». Ces pays « viennent pour aider les pauvres, construire les mosquées... Mais il y a des idées derrière ». Et cela conduit à « l'envoi de djihadistes » vers les zones de combat (NB : la Tunisie est le pays qui a envoyé beaucoup de djihadistes vers les groupes de type Daech en Irak ou en Syrie). Ce type de financements étrangers « sous couvert d'aide caritative ou politique devrait être interdit et criminalisé » par une charte internationale interdisant toute ingérence, souligne Kamel Akrout.

La détérioration de la situation africaine

Des relations au Sud également compliquées

Les « mauvaises relations entre les pays du Sud ont conduit à des tensions, avec l'invitation de puissances extérieures ». Une situation qui ne s'améliore pas. Cela devient « de plus en plus difficile, avec ce qui se passe avec l'Algérie et le Maroc, la Libye », etc. Il est donc impératif de « davantage développer ces initiatives ». Et de préférence, en se « limitant au bassin occidental » de la Méditerranée. Cela permet « d'éviter les problèmes [politiques] du Moyen-Orient entre Israël et Palestine » ou ceux de la Méditerranée orientale, « entre Grèce, Chypre et Turquie ».

Le 5+5 : une initiative à relancer

L'initiative 5+5 (2) a non seulement permis un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, mais surtout entre les pays du Sud. Un dialogue indispensable. Durant ses années en fonction, l'amiral s'en rappelle fort bien. « Je n'avais pas eu l'opportunité de siéger avec les Algériens, les Libyens, les Marocains. Nous nous sommes rapprochés, nous avons discuté, parlé de thématiques normalement confidentielles. Nous avons travaillé ensuite ensemble, fait des exercices, trouvé des solutions dans le bassin occidental ».

Au final, « nous sommes condamnés à trouver des solutions pour les problèmes de tous ».

(Nicolas Gros-Verheyde, à Toulon)

  1. Voir aussi son portrait dans Jeune Afrique
  2. Né dans les années 1990, à Rome, le dialogue 5+5 réunit côté européen l'Espagne, la France, l'Italie, Malte, le Portugal et, côté Sud, l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie. Il se décline en réunion au sommet et en différents formats avec une présidence alternative Nord / Sud (Maroc en 2022 et Portugal en 2023). Le format Défense a été lancé par la France en 2004. Mais les réunions ministérielles ont été limitées durant la période 2020-2021 du fait du Covid-19.

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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