OTAN

[Reportage] 24h avec la présence avancée de l’OTAN. L’humain et l’interopérabilité

(B2) Ensemble, jusqu’à la fin. C’est la mission des troupes alliées stationnées sur le flanc Est de l’OTAN. Pour s’assurer de bien la remplir, il faut d’abord apprendre à travailler ensemble. 

Au loin, un char se cache dans la clairière. Il s'apprête à tirer (AP/B2)

L’interopérabilité est souvent vue du point de vue des équipements utilisés : quel véhicule peut être remorqué par qui, est-ce que je peux utiliser le chargeur de mon camarade, est-ce que toutes les citernes sont les mêmes ? C'est une phase bien sûr importante. Essentielle même mais pas uniquement. Le point central est aussi humain. Les troupes sont-elles capables de s’insérer dans la manoeuvre ? Élaborer un ordre, le comprendre, le partager et l’exécuter ? Exemple sur la base Tapa, en Estonie.

Estoniens, Britanniques, Danois et Français. Des hommes et femmes. Des équipements stationnés ici et là. À première vue, ils n’ont que très peu en commun. Les troupes sont facilement distinguables dans leur treillis aux couleurs différentes. Chacun sa salle de réunion, sa salle de repos, son dortoir, et bien sûr sa langue. Au-delà des apparences, ils ont en fait un point important en commun. Tous ces soldats au badge de l’OTAN sont sur la base de Tapa pour apprendre à se connaitre. C’est essentiel. Car la Présence avancée de l’OTAN n’a pas que vocation de dissuasion, mais aussi de défense. Et pour une défense efficace, il faut pouvoir se comprendre entre différentes nations. C’est le fond de l’ « interopérabilité » des troupes. 

Comment puis-je être utile ?

Toutes les troupes à Tapa sont là pour apprendre et s’entrainer ensemble, faire face à des nouvelles armes, menaces…

Qui fait quoi ?

Le battlegroup, sous commandement britannique est composé de plusieurs unités britanniques avec des chars, l’unité danoise a elle aussi des chars. Les Français apportent l’infanterie, et des véhicules blindés légers (des VHB puis des VHM). Chaque unité et chaque nation est donc complémentaire. L’interopérabilité c’est aussi savoir comment utiliser et imbriquer chacun de ces éléments, et prendre en compte les avantages et contraintes de chacun.

Le terrain, explique le commandant de la force, est un immense marécage avec des axes de cloisonnement de véhicules, des terrains enneigés où des blindés ont des difficultés à passer. C’est là où les véhicules plus légers français ont un grand avantage, relèvent les Français, car « il peuvent manoeuvrer et mailler le terrain, ce que des chars ne peuvent pas faire », décrypte-t-on à B2.

Prendre patience

Cela dit, il faut pour chacun prendre conscience que chaque avantage a ses contraintes. L’infanterie française, avec ses véhicules léger ou à pied, est, pour des raisons pratiques moins rapide que les cavaleries britanniques et danoises en chars. Un fait qui n’était pas logique au début pour ces derniers : « Nous avions besoin de comprendre pourquoi ça prenait autant de temps pour eux de faire un kilomètre », se rappelle Zylle.

C’est gros, un char

À l’inverse, la première fois que les Français se sont retrouvés face aux chars britanniques et qu’ils n'avaient pas pris leur mortier, ils ont été quelque peu surpris, raconte un responsable goguenard, avec un sourire en coin. « On nous avait dit qu’il n’y en aurait pas besoin », se souvient un fantassin désormais méfiant…

Risk assessment

Autre grosse surprise pour les Français : les Britanniques font du « risk assessment », avec les chaufferettes pour tenir chaud aux mains, les sur-bottes parce que la température a baissé. Une « sur-protection » des troupes qui fait sourire les Français pour qui « quand il fait froid, vous mettez votre bonnet, c’est votre responsabilité, personne n’a besoin de vous le dire », relèvent, avec une pointe d’ironie plusieurs interlocuteurs de B2.

Objectif de mission

L’interopérabilité, c’est donc aussi s’habituer à ce que les troupes des autres nations travaillent différemment. Les troupes françaises sont entrainées avant leur déplacement, le mieux possible, au froid qui peut attendre -20°C. Surprise pour eux, quand ils se sont rendus compte que les Britanniques, eux, utilisent leur temps en Estonie pour justement se former à cet environnement là. Les Français de la 15e rotation de la mission Lynx auront eux deux autres objectifs : s’entraîner au combat en forêt et en zone urbaine.

Rotations sans fin

Les personnels qui passent sur la base de Tapa ne restent pas éternellement. Quatre mois pour les Français. Six mois pour les Britanniques et les Danois. Un temps qui peut paraître court, mais ce sont autant d’entre eux qui « connaissent l’environnement, les procédures et le travail entre Alliés », relève le commandant de la force.

Qu’est ce qu’un ordre ?

« Block »

Cela commence avec la compréhension d’un ordre. Par exemple, « Block ». Vu comme ça, ça a l’air assez simple. Mais ce n'était pas certain au début. « Maintenant, oui, ça veut dire la même chose pour tout le monde ! » rigole un homme du terrain. L’ordre sera ainsi compris de manière uniforme à travers toutes les unités.

Pas de méthodo OTAN

C’est aussi s’adapter à la manière de travailler des uns et des autres. En passant par la définition d’un plan de mission. « Les Britanniques s’installent tous autour d’une table et discutent ensemble de l’élaboration d’un plan de mission », s’étonne encore le commandant d’unité avec qui s’est entretenu pour B2. Lui, comme plusieurs personnes rencontrées ont un air plus que perplexe ; les Français ont leur méthodologie apprise consciencieusement au cours de leur formation pour créer un plan de mission conforme aux attentes du commandement, en fonction de la mission donnée, le terrain, le délai. « Chez nous c’est normé », raconte l’un d’eux, et sans débat. « Chez eux c’est plus collégial »… Mais « au final on arrive au même résultat ! » Les voilà ainsi rassurés...

Des troupes s'entraînent au combat en zone urbaine, au Soviet Camp (AP/B2)

Communiquer

La technique française 

Une fois un plan de mission établi, tout le monde doit rester sur la même longueur d’onde. 

Les Français ont choisi comme option d’intégrer un officier de liaison au centre opérationnel du battlegroup, qui est britannique, pour faire la liaison avec l’unité française. Son rôle est autant de faire redescendre la situation tactique à l’unité Française, que dans l’autre sens au bénéfice des Britanniques. 

Une autre option aurait pu être de s’intégrer au réseau radio britannique. Mais c’est trop difficile à mettre en oeuvre pour les Français, expliquent-ils : il faut comprendre l’anglais, puis l’ordre en lui-même notamment. « Déjà que à la radio en français on comprend un mot sur deux… » En plus, c’est que les Britanniques ne leur facilitent pas la tâche. « Ils utilisent beaucoup d’acronymes », par exemple « bpt » ou « fpol ». On traduit gentiment pour nous, aussi perdus que les Français ont dû l’être la première fois : « be prepared to » et « foreign passage of line ». « Ah ben oui quand on vous le dit comme ça, de suite, ca prend plus de sens », rigole notre interlocuteur. À chaque nouvelle rotation de la mission Lynx, s’allonge donc la liste des acronymes et définitions à apprendre pour les nouveaux.

Chacun son style !

Se connecter au système de radio britannique, c’est pourtant la technique privilégiée par les Danois. Zylle explique à B2 avoir bien essayé avec un officier de liaison britannique à ses côtés, mais ça n’a pas fonctionné. Il demandait aux Britanniques s’il « pouvait avoir » (ask for) une information au lieu de la « demander » (request) ! Alors on lui répondait 'Non'. « Mais, nous, on en a besoin de l’information ! » Ce jour là, le Danois est tranquillement installé sur une table de la salle de repos. Mais quand il raconte, il est visiblement encore choqué et frustré. Pour aller plus vite et éviter ce genre de problème de politesse, exit l’officier de liaison, place à la radio directe. Il est encore surpris quand B2 lui apprend que les Français, eux, préfèrent leur officier de liaison.

L’anglais, mais pas que

Visiblement, sur la base de Tapa, c’est l’anglais qui est utilisé pour communiquer. Cela dit, tout le monde apprend quelques mots dans la langue de ses collègues. En cas d’urgence. « Quelqu’un de stressé utilisera peut être le mot dans sa langue maternelle. Il faut donc apprendre quelques mots en Français au cas où » explique Zylle.

(Aurélie Pugnet à Tapa, Estonie)

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