Industrie de défense

[Entretien] Nicomatic, une PME et ses filiales à la conquête de l’Europe

(B2) Fabricant français de connectiques électroniques, avec un réseau d’une douzaine de filiales (Etats-Unis, Chine, Inde, Allemagne, Angleterre, Turquie, Corée du Sud, Japon, Singapour, Canada, Taiwan, EAU), Nicomatic reste méconnu. Le groupe multiplie pourtant les performances, porté par le secteur de la défense. Et pour ce fabricant, le marché européen est perçu comme riche en opportunités. Entretien avec Pierre Lang, responsable du marché « défense et aviation civile ».

Des connecteurs de Nicomatic sont présents dans plusieurs équipements optroniques et dans le radar du Gripen du Suédois Saab. (©CC/Milan Nykodym)

Un marché européen attractif

Quelle est l’activité de Nicomatic ?

Pierre Lang, responsable du marché « défense et aviation civile » chez Nicomatic.

— Nicomatic est un groupe familial français qui a été fondé par Paul Nicollin en 1976. Aujourd’hui, il est dirigé par ses deux fils, Olivier et Julien, qui alternent à la tête du groupe tous les trois ans. Il y a entre 500 et 600 salariés dans le monde, dont 300 en France, qui touchent presque tous au secteur de la défense. Nos connectiques connaissent une progression fulgurante. Nous avons fait +30% de chiffre d’affaires en 2022 et nous sommes pour l’instant à +40% cette année. La défense représente plus de 60% de notre activité. Dans les équipements de défense, nous touchons à tout : ce qui est au sol, sur et sous l’eau, embarqué en vol et nous sommes sur le spatial dans des applications civiles. Les produits Nicomatic, ce sont des connecteurs qui permettent de faire la liaison entre des circuits imprimés et l’extérieur de la carte mère.

En termes de marché, que représente l’Europe pour vous ?

— C’est un marché attractif, du fait des crises et des tensions actuelles. La crise russo-ukrainienne attise ce marché. Notre position, c’est d’être à l’écoute de nos clients, que ce soit pour fournir des produits sur catalogue ou pour développer des solutions sur mesure. Ce marché, Turquie incluse, représente normalement 60-70% de notre activité dans la défense. Une grosse commande sur une autre région bouscule en ce moment cet équilibre mais cela reste à plus de 50%.

Pour vos clients européens, y a-t-il une frilosité à contractualiser avec un fournisseur français ?

— Cela dépend de la nature du projet. Lorsqu’il y a un aspect sécurité nationale, on sent les portes qui se referment, même si nous sommes Européens. Nous n’avons pas toujours accès à toutes les informations. Nos donneurs d’ordres font attention à tout ce qui pourrait venir perturber le déroulement de leurs affaires. Nous retrouvons cela dans d’autres pays. Notre filiale en Turquie, par exemple, s’est spécialisée dans le câblage de certains de nos connecteurs. Certains pays nous disent : nous voulons bien vous confier notre câblage, mais il ne passe pas par la filiale turque. Donc en début d’année, nous avons ouvert une activité de câblage en France.

Les outils de financement européens, comme le Fonds européen de défense (FEDef), sont-ils des opportunités pour vous ?

— Le FEDef n’a pas encore beaucoup d’effets pour nous. Nous restons à l’affut pour pouvoir nous agréger à un consortium, afin de pouvoir apporter notre contribution. A ce stade, plutôt de manière indirecte. Nous sommes encore vus comme un fournisseur de composants par grand nombre de clients et d’entités. Nous avons testé avec un groupe français le co-design et la co-construction. Nous reproduisons cette expérience avec un groupe suédois. Ils ont intégré le fait que Nicomatic montait dans l’échelle de valeur.

Pour les petites et moyennes entreprises (PME), l’Europe fait souvent peur. Comment l’expliquez-vous ?

— Ce qui fait peur, c’est l’administratif. Un grand groupe a les moyens de déployer des personnes sur ces aspects. Quand on voit tout ce que le FEDef peut publier sur les besoins, il faut une personne à temps complet pour suivre. Les documents à remplir au fur et à mesure du projet, cela demande du temps. Pour ma part, je commence à m’intéresser à ces marchés, mais j’avoue que j’y vais petit à petit, avec le temps qui me reste sur mon temps de travail.

Des composants Nicomatic sont également présents dans le radar EASA, plusieurs capteurs et systèmes optroniques du Rafale du français Dassault. (©Thales)

La stratégie de Nicomatic

L’export joue un rôle clef dans votre activité. Pourquoi ce positionnement ?

— Nicomatic a toujours été tournée vers l’export. Nicomatic est positionnée dans ce que l’on appelle la vallée du décolletage [NDLR : la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie], c’est-à-dire l’usinage de pièces micro, que ce soit pour l’industrie automobile ou pour la connectique. Paul Nicollin a commencé son activité aux Etats-Unis. Dans les années 2000, alors que l’on commence à se préoccuper des normes ITAR, il a eu l’idée de commencer à fabriquer des connecteurs pour le marché européen. Son ainé, Olivier, a eu comme responsabilité de développer l’export, d’abord dans les pays limitrophes de la France.

Ces connecteurs, parfois développés sur mesure, font le lien avec les cartes mères dans les systèmes électroniques de défense. (©Nicomatic)

Comment vous implantez vous sur un nouveau territoire ?

— Nous commençons par avoir un bureau dans le pays, afin de comprendre le marché local, de rencontrer les principaux acteurs et de commencer à entrer sur le marché. La difficulté, c’est qu’entre les donneurs d’ordre, les équipementiers, les sous-équipementiers, Nicomatic arrive tout en bas de l’échelle. Il y a tout un travail de « lobbying » à faire pour se faire connaître et faire connaître nos produits, auprès du donneur d’ordre. Ce qui permet de proposer au sous-équipementier nos produits afin qu’il intègre nos connecteurs dans son produit à lui. Une fois que cette phase commence à porter ses fruits, nous faisons rentrer le service « custom » : un ingénieur et de la technique qui vont pouvoir répondre au plus proche des marchés locaux. Généralement, nous créons la filiale lorsqu’un bureau couvre un chiffre d’affaires annuel de plus d’un million d’euros.

Vous appuyez vous sur des locaux ?

— Lorsque l’on touche aux questions de défense, il y a souvent un problème de nationalité. Nous commençons par une force de vente, locale de préférence. Pour avoir des profils déjà formés, il nous arrive d’aller chasser chez les distributeurs de concurrents. Un distributeur, c’est une force de vente locale qui connait déjà son marché, ses habitudes, et qui a les contacts.

Une fois une filiale implantée, comment est-elle pilotée par la maison mère ?

— Nicomatic est un groupe décentralisé. Nous n’avons pas vraiment une maison mère qui pilote des filiales mais des entités qui fonctionnent en réseau et qui vont chercher les forces de chacune lorsque nous en avons besoin. Par exemple, aujourd’hui, j’ai des projets que je cherche à codévelopper avec notre filiale en Israël parce qu’ils ont des capacités spécifiques. De temps en temps, on va demander aux Etats-Unis, en Suède, à Dubaï, en fonction des spécialités qu’ils ont développées. Jusqu’à il y a deux ans, tout était fabriqué en France, dans la maison historique, qui fournissait le monde entier. Mais les fortes croissances font que nous n’arrivions plus à suivre la demande. Donc nous avons dupliqué de la fabrication dans les filiales les plus avancées : les Etats-Unis et l’Inde.

(Propos recueillis par Romain Mielcarek, le 6 septembre 2023)

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