Nicolas Pascual de la Parte (crédit : Parlement européen)
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[Interview] Si Trump l’emporte, la guerre est finie ! (N. Pascual de la Parte)

(B2, à Strasbourg) C'est ce que redoute l'eurodéputé Nicolas Pascual de la Parte (PPE). Cela serait aussi un mauvais coup pour la défense européenne, estime l'ancien ambassadeur. Aujourd'hui, rapporteur sur la PSDC, il compte mettre à profit cet exercice pour faire bouger le cadre et débloquer des verrous, notamment financiers. Sans cela ? Pas d'Europe de la défense !

Vous venez de présenter votre projet de rapport de la PSDC aux groupes politiques. Avec le parti pris de le concentrer sur quelques priorités. Quel est l'enjeu ? 

— Je souhaite faire en sorte que ce rapport soit le plus synthétique possible. Qu'il puisse être lu et compris par tout le monde et pas seulement les spécialistes. Et qu'il nous serve à identifier les priorités que nous nous fixons. En nous limitant à quelques unes. Le gros défaut de ces rapports est qu’ils deviennent trop souvent des arbres de Noël. Où chacun ajoute une décoration, une boule ici, une autre là-bas.

Vous avez vous-même identifié trois priorités ?

—  Oui. Premièrement, il faut créer une base industrielle et technologique de défense européenne. Deuxièmement, il faut identifier et mobiliser des ressources financières, car nous n’avons pas prévu de ressources suffisantes d'ici 2028. Quatre ans sans financement... ! Or, les choses vont très vite, en Ukraine, au Moyen-Orient, au Sahel. Il y a des possibilités de financement, à travers les budgets européens, à travers des collaborations internationales, à travers des coopérations...

Comme la PESCO ?

— Tout le monde aime la PESCO. Ou presque. Le gouvernement polonais avait, lui, publiquement expliqué qu'il intégrait la PESCO pour la détruire. Grâce à Dieu, le gouvernement a changé. Mais la PESCO a perdu son esprit de coopération renforcée entre des pays qui sont prêts, disponibles et capables d’avancer plus rapidement. Parce qu’elle a été ouverte à tout le monde. Trop de monde. Cela reste une bonne idée, lancée à l’origine par les Allemands. Mais elle a perdu de la force et de l’élan.

Faut-il alors une révision stratégique du Fonds européen de défense ?

— Évidemment. Il a prouvé son efficacité, mais ses ressources sont très limitées. Nous ne disposons que de 1,5 milliard d'euros pour les trois prochaines années. Ce n’est rien à l'échelle de l’Europe. Mais nous sommes limités tant qu'un nouveau cadre financier pluriannuel n'est pas adopté. Je pense que nous pourrions gagner du temps à travers des bonds européens, aller vers les marchés...

Mais les États sont-ils prêts à ce type de financements ? 

— Je sais que les pays frugaux, comme l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, ne sont pas favorables à une mutualisation des dettes pour financer la défense. Pas encore. Mais le recours à une forme de mutualisation à la suite du COVID a aussi commencé avec une proposition espagnole et italienne. Et finalement, nous avons réussi à y parvenir. Il n’y a pas de financement prévu pour la défense et la sécurité dans le budget européen. Nous devons donc être innovants et créatifs jusqu’en 2028, si nous voulons identifier et mobiliser des ressources financières. Sinon, nous n’aurons pas de défense européenne.

Être innovant, c'est ouvrir la Banque européenne d’investissement à la défense ?

— Nous n'avons pas besoin d'ouvrir la BEI, ni de modifier les statuts. Si vous les appliquez sagement, vous pouvez déjà faire beaucoup de choses. Parce que la BEI peut financer la recherche et le développement, dans tous les secteurs. La plupart des technologies sont duales. Prenez l'intelligence artificielle ou l’informatique. Cela commence par de la R&D, ce n'est qu'ensuite, que l’application est civile ou militaire. Nous pouvons également trouver des incitations positives, de sorte que la plupart des États membres seraient intéressés à participer. L’achat conjoint a très bien fonctionné pour les munitions destinées à l’Ukraine. Tout le monde y participe désormais.

Et la troisième priorité ?

— La coopération public-privé. Une coopération étroite entre le public et le privé est nécessaire et incontournable. Car aujourd’hui, la plupart des technologies sont dans le domaine privé. 85 % de tous les développements technologiques sont réalisés par des entreprises privées. Il faut donner à l’industrie la garantie d’une demande soutenue de la part du secteur public. Cela signifie que si je suis Dassault, Lockheed Martin, Rheinmetall ou Indra en Espagne, si on me dit que je dois développer un tel produit technologique, j'ai besoin d’avoir la garantie d'un gouvernement qu'il y aura une demande pendant 10 à 15 ans. Parce que les seuls consommateurs d'armement sont les gouvernements. Sinon je ne fais pas l’investissement. C'est clair.

Ce sont des pistes dont vous pensez qu'elles pourront inspirer le prochain commissaire à la Défense ?

— Andrius Kubilius [commissaire candidat] est face à un grand défi. Certains veulent faire de lui un simple directeur général de l’industrie européenne de l'armement. Pour moi, il doit être bien autre chose. [...] La politique de défense est évidemment une compétence nationale [...], avec un financement national, une priorité nationale et un plan national. C'est normal. Mais le commissaire devrait avoir la possibilité de coordonner la planification de ces politiques nationales de l’armement. Par exemple : identifier les vulnérabilités des industries de défense nationales.

Est-ce qu'on ne connait pas ces vulnérabilités ?

— On a découvert par surprise que nous n’avions pas de munitions. Merci à la guerre en Ukraine ! C’est ridicule. Personne ne le savait ? Évidemment que si ! Mais personne ne le disait. Nous avons donc besoin d’une cartographie globale (mapping out) des vulnérabilités des pays. Pour cela, il faut aussi un échange d'informations. Or, les pays n’échangent pas d'informations. [...] Si nous ne sommes pas capables pas d'identifier les vulnérabilités, nous ne le sommes pas non plus pour identifier les ressources nécessaires en Europe pour corriger ces vulnérabilités.

Vous posez là les conditions de l'autonomie stratégique ?

— Nous achetons encore 80 % américains ! Si nous continuons à acheter américain, il n’y aura jamais d’industrie européenne de défense. Et il n’y aura plus jamais d'Europe de la défense. Et jamais d'autonomie. C'est une bonne chose d’avoir des coopérations ouvertes avec les Américains. Mais en sachant que l’argent européen doit aller aux produits européens, et non pas aux produits américains. Tout cela il faut l’assumer, c'est une tâche énorme. Mais il faut commencer. C’est maintenant ou jamais ! Si ce n’est pas maintenant avec la crise en Ukraine, alors quand aurons-nous des conditions plus favorables pour convaincre les Européens ?

Le rapport PSDC traite aussi des missions et opérations de l'UE. Quel avenir faut-il leur réserver ?

— Il faut redéfinir la plupart d’entre elles ! Mali, Sahel… Les Chinois et les Russes sont là maintenant. Il faut un exercice de révision totale. Nous avons décidé quoi faire, sans écouter les pays concernés. Cela ne marche pas, d'autant qu'il existe désormais des alternatives avec les Russes, Chinois ou Turcs. Nous devons donc d'abord écouter attentivement, et voir s'il y a un terrain commun d’intérêt entre eux et nous. C'est seulement alors que nous pourrons déployer une mission. Et avec un calendrier.

Pour le même type de missions qu'aujourd'hui (formations militaires, etc.) ?

— C’est justement ce qu’il faut négocier avec les pays. S’ils ont besoin de formation des soldats, d'un appui macro-économique, d’entrainer des soldats chez nous en Europe, ou de faire des alliances régionales ? Tout doit dépendre des intérêts communs et non de projets unilatéraux.

Vous dites qu'il faut faire attention aux mots et ne plus seulement parler de défendre l’Ukraine mais de gagner la guerre. Craignez vous une fatigue de la guerre en Ukraine ?

— Jusqu'à présent, nous nous sommes limités à aider les Ukrainiens à se défendre. Mais cela ne signifie pas gagner une guerre. Pour gagner, vous devez attaquer. Il faut avoir une stratégie de victoire, pas de défense. Gagner une guerre, c'est détruire les bases militaires d’où les attaques russes partent. Nous devons permettre que l’armement européen puisse être utilisé pour cela. Il faut donner des armes offensives, et pas seulement défensives. Le problème est que je ne sais pas si nous avons encore le temps de le faire. Si [Donald] Trump l’emporte [aux élections américaines], la guerre est finie ! C’est une promesse qu’il a faite et qu'il accomplira dès le début.

Les Européens ne seront pas en mesure de réagir ? 

— Il y a du matériel américain qui ne peut pas être remplacé. C’est aussi simple que cela. Les satellites, le renseignement sont US ou Britanniques.

Le Royaume-Uni... Peut-on aujourd'hui espérer quelque chose en matière de défense ?

— Nous verrons. Nous nous y rendons [une délégation de la commission AFET] la semaine prochaine. C’est à eux de nous dire ce qu’ils entendent par un « reset » de nos relations. Parce que ce sont eux qui ont quitté l’Union européenne. Ce sont eux les demandeurs. Ce n'est pas à nous de nous précipiter pour leur demander ce que nous pouvons faire pour eux.  Ils font leur propre avion du futur avec les Italiens et les Japonais, on ne peut pas dire que cela soit la meilleure façon de collaborer. Non ? Alors, écoutons-les d'abord. Restons ouverts et très pragmatiques. Nous sommes intéressés sans doute, mais pour quoi faire ? Cela dépendra.

(Propos recueillis par Emmanuelle Stroesser)


Entretien réalisé à Strasbourg, lundi 21 octobre 2024 en français, en face-à-face.

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