[Verbatim] Les priorités du nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace française
(B2) Deux mois après sa prise de poste, le général d’armée aérienne Jérôme Bellanger partage ses réflexions. De quoi se faire une idée de ses priorités pour les deux années à venir, dans un contexte géopolitique toujours plus tendu.
Nommé à ce poste le 16 septembre 2024, Jérôme Bellanger a commencé sa carrière comme pilote de Mirage 2000. Il a commandé le groupe de chasse 01.002 « Cigognes » entre 2005 et 2007, puis les bases aériennes 113 de Saint-Dizier de 2013 à 2015 et 701 de Salon de Provence, où il dirige l’École de l’air, entre 2018 et 2020. Entre ses affectations opérationnelles, il a multiplié les expériences en états-majors et dans des cabinets. De 2021 à 2024, il occupe le poste très sensible de commandant des Forces aériennes stratégiques (FAS), en charge de la dissuasion nucléaire française.
La supériorité aérienne, faute de masse
« J’observe en Ukraine une absence de supériorité aérienne, analyse le général Bellanger. Les belligérants n’ont jamais cherché à l’obtenir. Sans cette supériorité aérienne, on se retrouve avec un combat de tranchées coûteux sur le plan matériel et humain. Cette masse-là, nous, nous ne l’avons pas. C’est pour cela que nous devons aller chercher la supériorité aérienne. » Ces limites dans l’emploi de l’aviation n’empêchent pas les Russes de multiplier les vagues de frappes, mobilisant leurs appareils pour tirer des bombes planantes dont le nombre est passé de 900 par semaine en début d’année à 1800 ces derniers mois, selon des chiffres ukrainiens. Pour le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace (CEMAEE), jamais un conflit dans laquelle la France serait engagée ne doit impliquer un renoncement à la conquête de cette supériorité aérienne, au risque de trop grands sacrifices.
Le champ électromagnétique, longtemps délaissé
Le général Bellanger constate de nombreuses fragilités dans les différentes capacités liées à la guerre électronique. « Le renoncement, explique-t-il, est le résultat d’années à faire face à des environnements permissifs. » Ayant perdu l’habitude d’opérer dans des zones grouillantes de défense sol-air, les aviateurs n’en ont pas fait une priorité. Aujourd’hui, à l’aune des affrontements entre Ukraine et Russie, mais aussi Israël et Iran, elle le redevient. Le CEMAEE évoque la question des munitions de brouillage offensif, destinées à neutraliser les radars adverses lors de raids aériens. Un produit uniquement disponible sur les étagères américaines pour l’instant, mais dont il espère que MBDA puisse à très court terme proposer un équivalent.
La très haute altitude, une zone de non droit
« Cette zone est un véritable Far West. » Pour le CEMAAE, les altitudes situées entre 20 et 100km sont un terrain qu’il va falloir prendre en compte. Il se réfère en particulier au ballon chinois abattu par un F-22 en 2023 alors qu’il survolait les Etats-Unis. L’officier évoque le besoin de capacités pour opérer dans cet espace, notamment pour des missions de renseignement et de liaison, avec des programmes comme le ballon Stratobus, en cours de développement par Thales Alenia Space ; mais aussi pour opérer vers cet espace et y détecter des intrusions. L’une des pistes : prendre l’habitude d’adapter les hauteurs de surveillance des satellites d’observation du système GRAVES pour regarder, en plus du sol, les tranches intermédiaires de la très haute altitude.
Le Rafale F5, en attendant le SCAF
Le général Bellanger a rencontré ses homologues allemand et espagnol, il y a une quinzaine de jours, pour échanger sur les avancées du SCAF, le programme commun d’avion de combat du futur. La tranche de contrat en cours engage à la réalisation d’une maquette en soufflerie pour définir les formes des aéronefs. En attendant, Dassault a d’ores et déjà annoncé travailler sur un projet de drone de combat… qui pourrait venir concurrencer les briques du SCAF accordées à Airbus. « Je ne le vois pas comme cela, nuance le CEMAAE. Nous avons besoin en 2035 d’un drone pour accompagner le Rafale F5. Il s’agit notamment de renforcer notre dissuasion nucléaire : le Rafale emportera les missiles ASN4G (air-sol nucléaire de 4ème génération) et ces drones ont vocation à faciliter la pénétration du raid nucléaire. Le SCAF, lui, prendra la relève à l’horizon 2045. » Nombreux sont ceux à y voir également un plan B pour la France, si le projet SCAF tombait à l’eau.
Alléger les normes pour être plus opérationnels
Le général appelle de ses vœux à une simplification des normes et des pratiques administratives pour rendre son armée plus opérationnelle. Il évoque par exemple le maintien en conditions opérationnelles (MCO), qu’il souhaite fluidifier : « Nous devons passer d’une logique de gestion administrative à une gestion du risque, dans une logique opérationnelle. » Même réflexion pour l’instruction, en particulier des pilotes de chasse : « J’ai demandé une proposition pour alléger leur formation, pour disposer plus vite de pilotes de chasse et éviter qu’ils nous quittent. » Chaque année, l’armée de l’air et de l’espace doit renouveler un quart de ses effectifs, principalement des militaires du rang, qu’elle peine à fidéliser.
Ces réponses ont été obtenues lors d’un échange entre l’Association des journalistes de défense (AJD) et le général Bellanger, le 21 novembre 2024, à l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace.
(Romain Mielcarek)