Un exemple d'unité employée dans le cadre de Unified Vision 2018 : des marines américains ont récolté du renseignement biométrique sur la base de Yuma, en Arizona. (©NATO/A. Melendez)
OTANRenseignement

[Reportage] Unified Vision 2018 : l’Otan poursuit ses efforts de renseignement interalliés

(B2 – à Tromso, Norvège) Le renseignement reste la clef de toute opération militaire. Mais pour travailler en coalition, encore faut-il trouver comment faire fonctionner ensemble les géants, armés de drones et de services titanesques… Avec les petits poucets dont les capteurs sont parfois des plus rustiques. C’est tout le défi de l’exercice otanien Unified Vision 2018 qui vient de se terminer

Un exemple d'unité employée dans le cadre de Unified Vision 2018 : des marines américains ont récolté du renseignement biométrique sur la base de Yuma, en Arizona. (©NATO/A. Melendez)

L’ISR, pour Intelligence, Surveillance & Reconnaissance, est un domaine qui regroupe l’ensemble des disciplines propres au renseignement moderne. Cette spécialité implique, au sein de l’OTAN, cinq étapes clefs : désignation de l’objectif par les décideurs politiques et militaires ; collecte des données par différents capteurs ; transmission de ces données à travers les réseaux jusqu’aux analystes ; exploitation des données par les spécialistes ; remise des résultats aux membres de l’Alliance. Un exercice complexe en lui-même, qui devient d’autant plus difficile lorsque des acteurs de multiples pays s’intègrent à la manœuvre (Joint-ISR).

ISR : Une interopérabilité nécessaire

25 services de renseignement impliqués

Cette édition de Unified Vision, qui s'est déroulée du 11 au 26 juin, a été la première depuis le lancement de l'exercice en 2012, à échapper aux frontières de la Norvège, où se sont tenues les versions précédentes. Cette fois, les 17 pays de l’Alliance, ainsi que la Suède et la Finlande, ont opéré depuis une multitude de points du globe. Pour entraîner les spécialistes du renseignement à améliorer leur coopération sur l’ensemble de la boucle, des capteurs très divers ont envoyé toutes sortes de données dans les tuyaux, récoltées par des commandos au sol, des drones, des avions ou encore des navires. En tout, 25 services de renseignement et 10 organismes de l’OTAN ont été impliqués.

Un entraînement en commun un peu négligé jusqu'ici

« Lorsque nous avons lancé Unified Protector, il n’y avait aucune méthode pour des opérations ISR interalliées », se souvient un haut gradé de l’OTAN spécialisé dans ce domaine, rencontré à Tromso en Norvège. L’entraînement commun sur des procédés partagés avait été négligé depuis la fin de la Guerre Froide. Les Alliés n’y voyaient plus une priorité. L’interopérabilité est un besoin qui a été notamment ressenti au cours d’opérations internationales, comme en Libye. Elle pourrait également l’être en cas d’un affrontement plus sérieux avec la Russie. Dans un cas comme dans l’autre, pas question de passer plusieurs jours à chercher comment intégrer tel pays ou tel capteur dans le dispositif.

Arriver à travailler sur des matériels différents : pas évident

Si la plupart des Alliés ont bien intégré les processus de travail, la principale difficulté porte sur les écarts matériels, comme l’explique le même militaire : « il faut que nous arrivions à travailler ensemble avec une multitude de générations d’équipements ». Unified Vision est l’occasion de tester de nouvelles technologies, comme les drones sous-marins par exemple. La sécurisation des réseaux d’échange de données est également l’un des grands 'challenges', dont les détails sont dépouillés pendant de longs mois après l’exercice. L’objectif est que chacun puisse apporter sa pierre à l’édifice et connecter un ou plusieurs capteurs ou analystes n’importe où dans la boucle, selon les capacités et les besoins.

Un effort politique et stratégique

Un engagement pris à Chicago en 2012

Cet effort en faveur de l’interopérabilité de l’ISR est un engagement pris au cours du sommet de Chicago, en 2012, rappelle son secrétaire général adjoint en charge de l’investissement, Camille Grand. Depuis 2016, l’OTAN est capable de déployer immédiatement des moyens interopérés de renseignement. « C’est un aboutissement conséquent », estime Camille Grand. « Créer une telle connexion entre Alliés, c’est un gros travail. Cela démontre de progrès tangibles dans cette direction. »

Échanger et partager : un signe de confiance

Le renseignement est l’un des domaines les plus sensibles qui soient. Échanger et partager des informations est le signe d’une très forte confiance entre partenaires. Le recul de la coopération en la matière au sein de l’Otan était l’un des symptômes d’une prise de distance, comme le confirme notre haut gradé : « les pays de l’Alliance ont évolué en étant moins centrés sur l’OTAN. Nous en sommes conscients ». Mais si l’on en croit Camille Grand, la prise de conscience a été faite au plus haut niveau : « parce que le monde est de plus en plus imprévisible, nous avons une demande croissante d’informations de la part des décideurs ». D’où un effort à plus de coopération.

Les deux pays nordiques non Otan très actifs

Pour cette édition 2018, la Finlande et la Suède ont pleinement participé à l'exercice. « Ils ne sont pas là par hasard », confirme Camille Grand. « Ils sont très intéressés pour être pleinement interopérables avec les pays de l’Alliance. » Le haut gradé de l’OTAN précise : « ils participent comme les autres. Ils n’ont pas accès à tout. Mais ce sont des partenaires très proches. Leurs méthodes aussi ». Stockholm et Helsinki ont multiplié les rapprochements avec l’OTAN depuis une paire d’années, inquiets des intentions perçues du côté de la Russie.

Douze États membres aux abonnés absents

Douze des 29 membres de l’OTAN n’ont pas participé. Ils seraient soient trop occupés par d’autres activités militaires, soit ne disposent pas de suffisamment de moyens dans le domaine du renseignement pour prendre part à un tel exercice. Une réponse qui peut étonner pour certains pays qui n’ont pas spécialement à rougir de leurs capacités, comme le Portugal, la Roumanie ou la Bulgarie, parmi les plus notables absents. Ils devraient cependant tous bénéficier d’un retour d’expérience afin de pouvoir eux aussi intégrer les conclusions dans la définition de leurs standards ISR.

(Romain Mielcarek)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.