Espace

[Entretien] Le spatial européen, un domaine très innovant, très stratégique… mais délaissé (Christophe Grudler)

(B2) L'eurodéputé Christophe Grudler a suivi son rêve d'enfant. Il s'occupe de l'espace. Un domaine qui ne retient selon lui pas assez l'attention, malgré les grandes compétences européennes dans le domaine. Il livre à B2 ses idées pour une politique spatiale plus affirmée, et ce qu'il faudrait changer pour rattraper nos concurrents, États-Unis et Chine

Christophe Grudler en sous-commission 'sécurité et défense' (crédit : Parlement européen)

Élu en mai 2019 au Parlement européen, Christophe Grudler (Renew/MoDem) est déjà rapporteur sur le programme spatial européen, et vice-président de l'intergroupe 'Sky and space', ainsi que vice-coordinateur de la commission ITRE (industrie, recherche, énergie), et membre de la sous-commission SEDE (sécurité et défense).

L'autonomie stratégique de l'Union passe par le spatial

Un domaine jusque là délaissé

« Très innovant, très stratégique... et un peu délaissée ». Voilà le constat de Christophe Grudler sur l'industrie spatiale dans l'Union européenne. Cela ne représente que « 50 000 emplois, soit pas grand chose en comparaison des grands secteurs de l'automobile, l'aéronautique, l'aviation pure » soupèse-t-il. Mais « c'est important, si on veut une vraie autonomie stratégique de l'Union européenne ». Il est aussi « très content » de la création de la DG Défis, qui prend en compte l'espace civil et militaire, « sans segmentation ».

Un manque d'autonomie

Ce qui manque dans le domaine spatial, c'est « une autonomie ». L'autonomie stratégique, « ce n'est pas un élément de nationalisme européen, ce n'est pas abandonner les autres, mais décider par nous-mêmes, ne pas dépendre des autres, et avoir son propre destin en main », défend t-il.

Favoriser la préférence européenne

Dans cette logique, le Français est « très attaché à ce que les articles 5 et 25, pour la préférence européenne, soient activés » dans le cadre de programme spatial européen. Et d'expliquer : « On ne peut pas avoir deux vis américaines sur un engin, et que les États-Unis nous interdisent de l'utiliser dans certains cas de figure. On ne peut pas dépendre d'autres gouvernements. »

Se défendre ne signifie pas 'arsenaliser' l'espace

Face aux réticences ou critiques, il insiste sur le fait que dans l'espace, « la notion de défense n'est pas celle d'une défense belliqueuse. Nous n'allons pas arsenaliser l'espace avec des bandes nucléaires ». « Que nous ayons des satellites espions militaires qui surveillent, ce n'est pas bien méchant, cela permet de lutter contre le terrorisme. » La défense spatiale, c'est aussi la surveillance du trafic de satellites pour éviter les risques de collision, le tracking des débris capables de détruire des satellites, autrement dit « nettoyer l'espace », « un projet à porter pour l'avenir ».

Des freins et menaces à lever

Attention à la fuite des cerveaux

Copernicus, Galileo, EGNOS sont trois projets spatiaux qui montrent le potentiel européen en matière spatiale, et donc que « nous avons des savoir-faires technologiques », se réjouit l'eurodéputé. Mais nous ne savons peut-être pas assez prendre soin de nos chercheurs. L'eurodéputé d'alerter : « nos chercheurs partent à l'autre bout du monde parce que là bas on les comprend ! ». Il tire la sonnette d'alarme : « il faut les épauler », en Europe.

Trop d'économies budgétaires...

Dans le cadre des négociations du prochain cadre financier pluriannuel (MFF 2021-2027), il soutient ardemment en tant que rapporteur du programme spatial européen la position du Parlement européen. « Nous avons chiffré à 16,9 milliards d'euros les besoins pour l'espace. Il manque deux milliards »calcule-t-il, en se référant à la première proposition de la Commission européenne (en 2018). Même constat pour le Fonds européen de défense, passé de 13 à 9 milliards d'euros, « ce n'est pas non plus acceptable en l'état, il nous faut nous rapprocher des 13 milliards ».

... un non sens

Baisser les budgets du spatial est un « non-sens total », reprend l'eurodéputé, plus encore après la crise du Covid-19 qui a remis en avant la notion d'autonomie stratégique. « On veut faire des économies de bouts de chandelles, et donc remettre en cause les programmes de développement spatiaux, ne pas renouveler les satellites de Galileo... Or je demande une politique européenne cohérente. Pour cela, il nous faut 16,9 milliards. » Le Français l'assure, à défaut, « il y aura un blocage complet au sein du Parlement européen » sur le budget.

Trois priorités

Selon Christophe Grudler, il faut commencer par « soutenir l'innovation ». Notamment « réfléchir aux futurs lanceurs réutilisables ». Il n'est pas trop tôt pour déjà penser aux générations d'après Ariane 6, prévue pour 2021.

Autre priorité : « une solidarité européenne dans les lancements ». « Les États doivent avoir une préférence européenne pour choisir les sites de lancement », comme en Guyane française par exemple, plutôt qu'aux États-Unis. En plus, « cela aidera le secteur, qui sera moins cher, parce qu'il y aura plus de débouchés. »

Enfin, après le « moment-Galileo », « notre plus belle réussite en matière d'autonomie », l'eurodéputé espère un « moment-constellation de satellites quantiques ». « C'est dans les tuyaux de la Commission européenne », nous apprend-t-il. Impatient. Car la physique quantique, c'est « un domaine ou l'Union européenne a de l'avance, sur les États-Unis et la Chine ». L'objectif : « des communications intergouvernementales sécurisées, sécuriser le data pour les entreprises, et avoir de la connectivité dans l'espace, donc Internet partout ». « Il faut faire vite, et ne pas attendre que les constellations américaines soient déjà installées », presse-t-il. Cela requiert des fonds européens. Selon ses calculs, 300 satellites représentent un projet de 6 milliards d'euros.

(Aurélie Pugnet)

Propos recueillis par téléphone, mardi 9 juin.


L'espace, du gamin jusqu'au Parlement européen

Pour le Français, travailler sur les questions spatiales, c'est « un rêve de gamin ». Enfant de Belfort, dans l'est de la France, une ville industrielle, il s'intéresse aux questions de « redéploiement industriel »L'attrait de l'industrie de l'espace lui est venu « naturellement ». Nouvel élu européen l'an dernier, il se réjouit d'avoir découvert « un vrai Parlement ». Qui sait dire non. « On peut refuser quelque chose qui ne convient pas, les parlementaires ne sont pas de bons petits soldats alignés ». Il vante les votes à "majorités d'idées", plutôt que « le doigt sur la couture du pantalon ». Il ne trouve en revanche « pas normal » que les députés n'aient pas le droit d'initiative. Il espère que cela pourra être un sujet de la conférence sur l'avenir de l'Europe.


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