Industrie de défense

[Entretien] En tirant le meilleur de ce que nous avons, nous ferons vraiment la différence (Timo Pesonen)

(B2 - exclusif) Timo Pesonen, le directeur général de la DG DÉFIS, a du pain sur la planche. En ce début d'année, depuis son bureau — coronavirus oblige — il nous explique ses projets et attentes, notamment sur le Fonds européen de défense

Timo Pesonen lors de notre entretien, par Webex (AP/B2)

Une direction générale Industries de la défense et de l'Espace à créer de A à Z, un budget critiqué, des programmes qui attendent d'être approuvés, une crise économique... Malgré ces difficultés, le Finlandais, ne perd pas le nord, ni sa positive attitude.

Une nouvelle DG à mettre en place

Vous avez dit à plusieurs reprises que vous manquiez de ressources pour la mise en place de la DG DÉFIS. Le travail a néanmoins pu débuter comme vous le souhaitiez ?

Je suis en phase de consolidation de la DG DÉFIS, c'est-à-dire sa mise en place, avec toute la structure organisationnelle, une chaîne de commandement, des cadres supérieurs, une équipe de direction. Nous sommes environ 240 personnes, couvrant l'ensemble du programme de défense, le Fonds européen de défense (FEDef), tous les programmes préparatoires et tout l'espace. Franchement, nous sommes petits, mais vous savez, nous sommes une jeune DG. Je ne suis pas du genre à me plaindre partout en disant « donnez moi plus, donnez moi plus ! ». Bien sûr, je veux des experts, je veux mettre en oeuvre nos programmes.

Quand serez-vous au complet ?

Dans un ou deux ans nous aurons la masse critique de personnel pour couvrir toutes nos tâches. En ce moment, nous recrutons des experts nationaux, environ 20 et 30 cette année. Car la défense est un domaine sur lequel la Commission européenne ne s'est jamais penchée auparavant. Elle a besoin de ce genre de compétences. Actuellement, nous essayons aussi de tirer le meilleur parti des synergies avec la DG Move, la DG Connect. Nous avons des équipes communes et des personnes qui travaillent en étroite collaboration. Je viens d'un petit pays [la Finlande], et je peux dire que c'est une question de qualité et non de quantité. Par exemple, sur le FEDef. Nous devons tout réaliser nous-mêmes. Et donc disposer du personnel nécessaire pour le faire. Il ne s'agit pas seulement d'identifier les technologies critiques, la concurrence, choisir et soutenir l'industrie européenne pour former les bons consortiums, mais il s'agit aussi d'avoir un groupe de personnes pour faire en sorte que cela se fasse.

La sécurité est un sujet qui vous tient à coeur ?

Traditionnellement, la Commission européenne a été dans une certaine mesure naïve sur les questions de sécurité. Ici, nous insistons sur l'habilitation de sécurité de tout le personnel. Nous sommes très rigoureux sur les questions de la sécurité, physique et informatique. Je veux faire de la DG DÉFIS un point de référence. Cela va avec les risques liés à la nature de notre travail, sensible, sur la défense et l'espace.

Vous partagez également l'espace avec la DG Grow ?

Nous sommes à l'intérieur de la DG Grow. Dans l'idéal, nous aurions notre propre espace. Ce n'est donc pas l'idéal, mais ça fonctionne. Nous avons un étage séparé, des portes fermées et une entrée restreinte.

La mise en oeuvre du Fonds européen de défense

Le Fonds européen de défense doit être mis en œuvre à partir de janvier 2021, comment vous organisez-vous pour cela ?

Le Fonds européen de défense, c'est nouveau. Nous n'avons en effet jamais rien fait de tel auparavant en Europe. C'est pourquoi je trouve cela très, très, intéressant. Nous avons de l'expérience dans la mise en œuvre du programme de réglementation, nous avons les structures nécessaires prêtes. Nous avons encore la deuxième phase de l'EDIDP à mettre en place. Nous travaillons avec les États membres pour identifier les priorités de l'année, le programme de travail pour toute la période du budget pluriannuel 2021-2027. Nous adopterons le programme de travail en mars 2021. Une étape importante. Bien sûr, nous devons aussi avoir la flexibilité nécessaire pour nous adapter aux futurs défis. Je n'ai pas envie de tout fixer dans le marbre. Mais l'industrie a également besoin de prévisibilité, c'est pourquoi nous avons besoin de ce cadre.

La pandémie de coronavirus a-t-elle une incidence ?

Bien sûr. Nous voulons avoir une réponse médicale. Nous voulons aussi lutter contre les armes chimiques, radiologiques, dans le cadre de nos activités. Nous discutons avec la DG Santé, parce qu'ils ont une expertise dans ce domaine. Nous devons renforcer notre résilience face à une prochaine pandémie.

Les conséquences de la pandémie vont être dures, y compris pour le secteur de la défense et de l'espace, le plan de relance pourra-t-il jouer un rôle ? 

Le fonds de relance est, en ce moment, le principal instrument dont nous disposons. Et j'encourage vivement les États membres à inclure la défense, l'espace et l'aéronautique dans les programmes nationaux de relance. Il faut garder à l'esprit l'intérêt à long terme de l'Europe. Nous devons nous créer un bouclier pour nous protéger d'une autre pandémie. Il y a beaucoup de travail à faire.

En défense, nous ne percevons pas immédiatement les conséquences de la pandémie, parce que la chaîne de production est longue. Nous verrons donc les conséquences négatives dans des années si nous ne soutenons pas l'industrie dès maintenant. C'est pourquoi il faut utiliser le FEDef, mais aussi le fonds de relance pour renforcer le soutien à l'industrie européenne de la défense.

Concernant les budgets, celui de 7 milliards pour le FEDef vous suffit-il ?

Ce que le Conseil européen a décidé est plus bas que ce qui avait été proposé. C'est la réalité. Mais en même temps, nous aurons un milliard d'euros par an. Quand on regarde les coupes budgétaires que le Conseil européen a dû faire dans ces circonstances difficiles, je pense que l'espace et la défense s'en sont relativement bien sortis. Si nous tirons le meilleur parti de ce que nous avons, nous pouvons vraiment faire la différence. Et je pense que nous pouvons mettre en œuvre les programmes avec ce dont nous disposons. Nous devons trouver les meilleures idées et les plus créatives, et construire des consortiums autour de ces idées. L'EDIDP a été un encouragement positif à cet égard. Maintenant, je pense aussi que nous devons faire davantage pour sensibiliser aux opportunités disponibles.

Qu'avez-vous en tête ?

Tout le monde n'a pas conscience des opportunités qui existent. Nous avions donc l'idée d'aller dans les États membres, organiser des événements avec l'industrie et sensibiliser les gens. Maintenant, nous devons organiser des webinaires... C'est faisable, mais ce n'est pas pareil. La communication fait aussi partie de mes défis. Les ministres doivent prendre la parole, les députés européens dans leurs circonscriptions, et créer des discussions sur l'opportunités des programmes.

Les États membres peuvent-ils agir de leur côté pour promouvoir les fonds européens ?

Certains sont actifs. Par exemple, les Pays-Bas ont un "envoyé pour le Fonds européen de défense", un ancien général, qui a un lien avec l'industrie, avec le ministère, sensibilise et encourage les entreprises à être actives. Autre exemple en République tchèque, un pays de taille moyenne, mais très actif qui essaye de promouvoir ses intérêts, y compris auprès des PME, sur la défense et les programmes spatiaux.

Forces et faiblesses du Fonds européen de défense

Quelles sont les conditions de la réussite du Fonds européen de défense ?

Il faut de la concurrence, de la coopération, des consortiums avec le plus grand nombre possible d'entreprises de différents États membres, et de l'inclusion, c'est-à-dire que tous les États membres participent parce qu'alors seulement nous pourrons parler d'un programme "européen".

Vous avez dit que le Fonds européen de défense ne doit pas devenir la banque de la coopération structurée permanente (PESCO), que voulez-vous dire ?

Les grands projets de l'EDIDP sont des projets de PESCO. Il y a un renforcement mutuel entre les programmes. Mais le financement de la PESCO par le Fonds européen de défense n'est pas une automaticité. Il ne faut pas qu'il y ait un traitement de faveur de certaines entreprises.

Comment ressentez-vous la pression de la concurrence venue de l'extérieur de l'Union ?

Je pense qu'une concurrence saine est toujours bonne pour nous, et pour les entreprises. Je pense que nous pouvons apprendre les uns des autres. C'est la force de l'Europe, d'une société ouverte. Mais il ne faut pas être naïfs et il faut protéger les industries stratégiques et l'autonomie technologique.

Quelles sont vos préoccupations pour l’année à venir ?

Ma préoccupation immédiate, ce qui me vient à l'esprit chaque matin, c'est protéger la santé de mon personnel à cause du Covid-19. Puis, comment utiliser les moyens du Fonds européen de défense et du plan de relance pour lutter contre la pandémie. Bien sûr, il y a la mise en place du FEDef et du programme spatial, que l'on ait une bonne coopération avec les partenaires et une gouvernance très claire. Chacun doit savoir ce qu'il fait et les rôles doivent être bien définis. Par ailleurs, il faut encourager le personnel et toutes les parties impliquées à communiquer sur les opportunités du programme spatial et du FEDef auprès des citoyens.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisée par vidéo, vendredi 11 septembre, en anglais

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