(B2 - exclusif) Discrète, la mission de conseil aux forces de sécurité intérieure centrafricaines est la dernière née des missions de la PSDC. Son chef, le colonel portugais Paulo Soares, en trace les contours à B2
Présentation formelle de Paulo Soares auprès du président centrafricain, en février 2020 (Crédit : EUAM RCA)
Vous n'avez pas pu démarrer votre mission en juillet au lieu du printemps comme prévu. Un effet coronavirus ?
— Oui Tout était prêt de notre côté pour démarrer au printemps. J'ai été nommé le 17 décembre 2019. J'ai tout de suite participé à la planification et accompagné le processus de recrutement. En février, je suis venu à Bangui et ai pu faire ma présentation aux autorités centrafricaines comme chef de mission. Avec le noyau de l'équipe, notre départ était prévu le 13 mars. [En pleine vague de la montée de l'épidémie du coronavirus.] La veille, on nous a dit de rentrer chez nous, pour le confinement. C'est une expérience que je n'aimerais pas recommencer. Nous sommes finalement arrivés en juillet. Et... nous n'avons eu aucun cas de Covid-19.
Cette mission n'est pas une totale inconnue. Vous avez dirigé le pilier 'interopérabilité' de la mission EUTM RCA depuis mars 2019. Le prédécesseur d'EUAM RCA. Pourquoi deux missions au lieu d'une ?
— Le pilier interopérabilité, qui visait à élargir le mandat d'EUTM au ministère de l'Intérieur et aux forces de sécurité intérieure (FSI), n'a jamais atteint sa pleine capacité. Des seize membres prévus, nous avons été au maximum sept, moi y compris. Nous avons bien travaillé pendant neuf mois, en dressant un tableau exhaustif des besoins des forces de sécurité intérieures. Nous nous sommes aperçus qu’il manquait beaucoup de choses. J'ai pu en prendre connaissance en première main, établir des contacts, des liens avec les partenaires centrafricains et les autres acteurs internationaux actifs dans ce domaine. Mais il était clair que davantage de moyens étaient nécessaires. Le format de EUAM, sur deux ans, avec des équipes qui restent, pour des rotations plus longues... cela fait toute la différence. Au sein d'EUTM, avec les rotations de six mois, lorsqu'un conseiller stratégique est pleinement opérationnel, il s'en va. Et un nouveau arrive.
Comment évaluez-vous justement les besoins des forces de sécurité intérieure ?
— Le ministère de l'Intérieur et les forces de sécurité intérieure ont besoin d’une révision des textes : loi, décrets, règlements, plans. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de loi en Centrafrique. La gendarmerie, la police ont des lois organiques, des règlements. Cependant certaines évolutions n'y sont pas reflétées. Actuellement, il y a 4000 effectifs sur le pays. Mais on a 1000 personnels qui sont formés et intégrés chaque année. Cela nécessite d'avoir des règlements adaptés. Il faut assurer un suivi, être capable de les payer, de leur offrir une progression de carrière. C'est là que se trouve le besoin. Il n'y a pas, par exemple, de loi de programmation.
Ce sera une des priorités d'EUAM ?
Oui, Une priorité de EUAM est donc d'apporter un conseil stratégique et d'aider les autorités centrafricaines à rédiger et planifier une loi qui puisse être approuvée par l'Assemblée nationale. Un calendrier a été établi avec les partenaires, pour une adoption en mars. C'est très concret et très important.
Revenons aux FSI alors. Qu'en est-il de leur déploiement ?
— C'est le second volet, très important, de la mission. Compte tenu de la situation sécuritaire dans le pays, les FSIne sont pas présentes partout aujourd'hui. EUAM travaille donc, à travers le conseil aux autorités centrafricaines, au soutien à la planification du redéploiement dans la durée.
Vous parlez de redéploiement. Mais la situation est-elle différente de ce que l'on observe avec les forces armées (FACA), qui n'a jamais été une armée de garnison, mais centrée à Bangui, et pour laquelle il faut donc tout construire ?
— C'est en effet un point vraiment sensible. Il y a un changement à faire, d'abord dans l'identification des FSI. EUTM est plus avancé sur le changement de concept de garnissons des FACA. Nous regardons donc ce qui est fait mais on ne pourra pas faire quelque chose de similaire. Bien sûr, il faut également des infrastructures, moyens roulants, moyens de communication... mais avec des spécificités pour les FSI. Sur la question des logements par exemple. Car il faut que policiers et gendarmes viennent avec leurs familles. Ce n'est que comme cela que les forces resteront dans la durée.
Au-delà du conseil, il faut du soutien matériel. Comment allez-vous répondre aux demandes centrafricaines ?
— Ces besoins que les autorités centrafricaines mettent en évidence, c'est une réalité qui n'est pas nouvelle. La solution, c'est d'avoir ce qu'on appelle en Europe l'approche intégrée. Il existe déjà un mécanisme de coordination entre les partenaires internationaux qui soutiennent le secteur de la sécurité. Il faut faire plus. Notre mission peut apporter un vrai soutien pour que les donations et les fonds mis à disposition du gouvernement centrafricain soient bien employés.
Êtes-vous suffisamment dotés pour avoir un impact ?
— Nous étions d'abord onze. Et aujourd'hui nous sommes 45 ... sur 66. Le processus de recrutement est en cours. Et nous espérons être au complet d'ici la fin de l'année. Selon mon expérience et vu comment cette mission civile est pensée, c’est adapté. Notre mission est conçue pour agir sur la durée, pas dans l'urgence. Il y a d'autres acteurs pour cela. Nous sommes déjà capables de développer un travail concret sur le terrain. Nous avons des conseillers stratégiques pour différents interlocuteurs : au ministère de l'Intérieur, au sein des directions générales de la police et de la gendarmerie, des écoles de formation, des inspections mais aussi des droits de l'homme.
Vous ne parlez pas des autres forces de sécurité comme les douanes, la justice ?
— Pour ce qui est des Douanes, de la Justice et aussi des Eaux et Forêts [qu'on a tendance à souvent oublier], EUAM travaille plutôt sur la notion d'interopérabilité, afin que ces acteurs et les FSI puissent travailler ensemble. La mission, pour l'instant, n'a pas la capacité de faire des révisions structurelles pour ces forces.
Vous vous occupez de la formation des FSI ?
— Pour le moment, c’est principalement la responsabilité de la mission de l'ONU, la Minusca, et de sa composante police (UNPOL). La mission EUAM agit surtout pour le conseil aux écoles, dans le développement de la formation des gradés et des officiers.
Peut-on penser à une évolution vers d'autres fonctions d'EUAM à terme ?
— Je suis sûr que si cela marche bien, dans le futur, nous pourrons faire de nouvelles propositions pour faire évoluer la mission vers un format EUCAP, avec une composante formation. Il y a des besoins de formation qui ne sont pas remplis par la MINUSCA.
N'aurait-il pas fallu commencer directement par ce format ?
— Il est toujours prudent d'agir par phases. La situation sécuritaire n'est pas toujours idéale. Nous sommes en plein processus de paix dans ce pays. Un processus qui cherche toujours à réussir. Je suis donc très à l'aise avec ce mandat, qui s'inscrit dans la durée.
Vous semblez optimiste...
— À partir du moment où on arrive à avoir des relations de confiance avec les autorités locales, on y arrive vite. Comme attaché militaire de l'ambassade portugaise au Mozambique, pendant quatre ans, j'ai vu l'évolution. Avec l'engagement et la bonne organisation des acteurs internationaux, et une bonne coordination, avec les autorités locales, on peut arriver au développement désiré.
Votre mandat prend fin le 8 décembre. Allez-vous rester ?
— Quand je suis arrivé, en mars 2019, je ne connaissais pas la RCA. C'est un projet auquel j'ai beaucoup travaillé. Si on me propose de renouveler le mandat, oui je resterai.
(Propos recueillis par Leonor Hubaut)
Entretien réalisé le 26 octobre, par téléphone, en français