[Entretien] Avec les lunettes de réalité virtuelle, le futur de la simulation s’annonce passionnant (Henrik Höjer, RUAG)
(B2 - exclusif) Avant de partir sur le terrain, les forces armées, partout dans le monde, s’entraînent. Le PDG de la filiale Simulation & Training de l’industriel RUAG, Henrik Höjer, explique comment la technologie aide la formation des troupes

Le Suisse Ruag a remporté l’appel d’offre, en consortium avec le Français Agueris, pour le développement, la production, la mise en service et le support de simulateurs de cabine avec un environnement réaliste et cinétique pour l'entraînement tactique sur les véhicules blindés de l'armée de terre, Scorpion. Ce face à Thalès.
Des outils de simulation pour s'entraîner et se préparer au pire
Vous êtes à la tête de la section Simulation & Training de Ruag. À quoi servent ces outils de simulation et d’entraînement que vous développez pour les forces armées ?
— Le travail [des forces armées] c’est de s’entraîner et se préparer au pire. Il est important qu’elles apprennent de leurs entraînements. Nous sommes là pour ça : rassembler le plus de données possibles lors de leurs entrainements et leur offrir un retour d’information sur ce qui s'est passé, ce qu’ils ont fait de bien et de mal lors de l’exercice.
Avec quels outils les forces armées évaluent-elles les exercices ?
— Nous avons deux cordes à notre arc : la formation en direct (live en anglais), en extérieur, et la formation virtuelle, à l’intérieur. Pour les entrainements live, nous remplaçons les balles et canons par des lasers. Car si vous vous entraînez avec vos copains et vous leur tirez dessus,… il est préférable de tirer avec un laser. Il est détecté par un réflecteur sur l’individu ou le char touché par exemple, qui enregistre les données : où il été touché, par qui, d’où vient l’attaque, etc. Les données sont ensuite soit traitées localement, soit dans des centres de contrôle de l’exercice qui peuvent rejouer les actions par la suite. Cela permet de montrer aux responsables de l'entraînement de pouvoir rejouer l’exercice : revenir en arrière, regarder certaines choses en particulier…
Et dans le virtuel ?
— Dans le cadre virtuel, on est à l’intérieur, il n’y a pas de soldats qui courent ou de chars qui bougent. C’est comme un jeu vidéo, sauf que ce n’est pas amusant : toute la réalité physique est représentée. On va d’une réplique d’un char taille réelle — tout à l'intérieur est exactement pareil, et vous vous déplacez sur une plateforme en mouvement —, à s’asseoir devant un ordinateur, avec un volant, des pédales et un partenaire en position de tir. Cela sert plutôt à répéter différentes procédures ou actions.
Dans les live trainings, à part les lasers pour remplacer les balles, qu’avez-vous en stock pour rendre les entrainements réels ?
— On ajoute des effets par exemple. S’il y a un bâtiment, vous pouvez mettre un détecteur pour que si quelqu’un tire dessus, ça génère de la fumée, du son, de la lumière, pour rendre la situation aussi réaliste que possible… Vous pouvez aussi imaginer la présence d'un kamikaze, et il lui faut un 'suicide kit', avec une fumée qui se déclenche quand elle entre en contact avec l’oxygène. En ce moment, dans beaucoup de pays, les menaces sont des bombes artisanales improvisées. Les forces armées veulent s'entraîner avec, alors nous créons des simulateurs de bombes artisanales.
C’est vraiment réaliste ?
— Oui. Par exemple, au centre de l'armée suisse la plupart des entraînements se font en terrain urbain — en ville simulée — et si vous tirez sur le bâtiment, il y a des simulateurs de fumée, de son, de lumière. Vous pouvez ouvrir et fermer les fenêtres à distance.
Le virtuel est moins risqué aussi ? Mais n'y a-t-il pas à un moment où il faut passer en réel ?
— En effet. Pour apprendre à un soldat sans expérience comment utiliser une arme, c’est moins cher et plus simple de le faire à l'intérieur, avec une réplique et un écran, plutôt qu’à l'extérieur, où vous risquez qu'il se tire une balle ou blesse quelqu'un. Puis, vous essayez en groupe, à l’intérieur. Mais ensuite vous voulez l'amener à l'extérieur, n’est-ce pas ? À un moment donné, il faut aussi utiliser de vraies armes ! Alors il part sur le champ de tir, et il réalise un scénario de live training. Il faut une combinaison des deux. C’est comme pour un pilote, vous pouvez faire beaucoup de simulations de vol. Mais, à un moment donné, le pilote doit voler. La simulation ne remplacera jamais la formation sur le terrain.
Le futur de la simulation
La technologie évolue constamment et très vite. Comment voyez-vous le futur ?
— En ce moment, la simulation est plus passionnante que jamais. Car la technologie évolue très vite. Nous voyons toutes sortes de lunettes de réalité virtuelle, des objets qui fonctionnent avec l’intelligence artificielle, de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée dans la vie de tous les jours, à la maison. Dans le futur, on ne s’entrainera peut-être pas sur la copie exacte de l'intérieur d'un tank, mais peut-être avec des lunettes simulatrices de réalité, des gants qui donnent la sensation de tenir un volant, des commandes de tir dans une main... Des simulateurs comme ça seront moins chers et n’auront pas besoin d’un grand bâtiment pour être hébergés. Est-ce que ça remplacera les répliques à l'échelle réelle ? C'est difficile à dire… Peut-être que le simple simulateur de bureau (desktop simulator) peut être remplacé par des lunettes très réalistes. C’est ce que j’imagine maintenant, mais je suis sûr que ce sera à nouveau obsolète dans quelques années. Tout va très vite.
Et ces lunettes, elles feront quoi ?
— Aujourd’hui, on peut tirer des lasers et simuler un tir de char, des sons, lumières. Mais, imaginons que dans le futur, on mette des lunettes virtuelles sur chaque soldat ? Au lieu de mettre des lasers sur le terrain, vous créez une vision du feu, de la fumée, du son, de la lumière devant ses yeux, dans les lunettes. Alors, bien sûr, ces lunettes seront moins chères et plus simples... Peut-être on mettra un avion de chasse à réaction arrivant sur le côté, lâchant des bombes. Faire cela dans la réalité est super cher. Produire une image dans les lunettes du soldat ne coûte rien. C’est plus sûr, plus rentable, et meilleur pour l'environnement.
(Aurélie Pugnet)
Ruag en quelques mots
RUAG Simulation & Training fait partie de la division MRO International, de la société Ruag international depuis 2020, aux côtés d’autres divisions, telles que Space (Espace), et Ammunitions (Munitions). RUAG Simulation & Training possède plusieurs sous-filiales, dont une en Suède, en France, en Allemagne et aux Emirats arabes unis. En tout, ce sont environ 500 personnes qui y travaillent. Elle s’inscrit parmi les plus grands joueurs sur la Simulation en Europe, aux côtés de Thales (France), Rheinmettall (Allemagne) et Saab (Suède).
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