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Mes six mois à la tête d’EUTM Mali. Le général Gracia Herreiz se confie

(B2 - exclusif) Ces derniers mois au Mali n'ont pas été de tout repos pour le général espagnol, commandant la mission européenne de formation des FAMA. Entre le coup du 24 mai, l'élargissement de la mission vers le Burkina Faso et le Niger, la transformation attendue de Barkhane, le début des missions d'accompagnement exécutif. Le général espagnol Fernando Luis Gracia Herreiz fait un point avec B2. Entretien

Les généraux espagnol F. L. Gracia Herreiz (à gauche) et allemand J. Deuer (à droite) en visite de passation des consignes au camp de Koulikoro (EUTM Mali)

En prenant le commandement de la mission en janvier, vous aviez la charge de lancer le mandat V de la mission. Avec une priorité : relocaliser les bases, et intensifier la présence d'EUTM dans le centre du pays. Avez-vous réussi malgré les événements ? 

— Du point de vue de l'objectif de relocalisation, il y a deux projets principaux. Concernant la construction d'une base à Bamako [pour loger les personnels de conseil et force de protection], le projet est déjà consolidé. Il est très ambitieux. Le travail est en cours, à Bruxelles, pour terminer l'appel d'offre. Si tout va bien, la construction commencera l'an prochain. Quant à la construction d'une base [pour former les forces armées maliennes (FAMA)] à Sévaré [dans le centre du pays], les contacts sont en cours. Le projet est bien avancé et nous espérons l'engager dans peu de temps, de sorte que l'on puisse également commencer les travaux l'an prochain. En attendant, nous avons mis en place des solutions provisoires. Aujourd'hui, nous avons une capacité de 150 places à Sévaré, dont 110 sont occupées. L'idée est d'arriver à une capacité de 250 places d'ici la fin de l'année.

Comment se passe le travail à Sévaré  ?

— Très bien. Les FAMA apprécient beaucoup l'élan que nous donnons pour changer le centre de gravité de notre action. Pour eux, il est beaucoup plus facile de déplacer des unités à Sévaré qu'à Bamako. Le rythme de la formation est très élevé. Nous avons eu de nombreuses compagnies. Et la mission va continuer à grandir au cours du second semestre, puisque les forces armées maliennes ont avancé dans le processus de recrutement.

Quelles formations se dérouleront à Sévaré ? Les mêmes qu'à Koulikoro ?

— La formation n'est pas spécifique à une région. Nous formons de la même manière à Sévaré, à Kati ou à Ségou… Nous travaillons surtout avec des unités déjà constituées, composées d'environ 100 personnes. Mais nous réalisons aussi des formations plus spécifiques, comme celles avec les quartiers généraux.

Et le projet pilote pour accompagner les FAMA ?

— Vous parlez du concept d'accompagnement non exécutif. Ce que nous voulons faire, c'est placer certains de nos effectifs dans des unités et suivre leur propre préparation et formation. Il s'agit d'apporter conseil et suivi. Nous avons commencé au niveau du régiment, avec les moyens dont nous disposons actuellement pour ce qui est de la protection des forces et dans des zones dans lesquelles nous pouvons nous déplacer. Cela se passe très bien. Lorsque nous pourrons aller plus loin, plus en profondeur, nous commencerons à aller dans les compagnies pour voir ce qu'elles font, comment elles s'améliorent.

Qu'est-ce que cela a permis de mettre en lumière ? 

— Un problème des plus importants, que Barkhane a également détecté, est le besoin d'améliorer considérablement le concept de leadership aux niveaux inférieurs du commandement. Si les officiers supérieurs sont très bien préparés et savent ce qu'ils veulent, au niveau inférieur (sergents, caporal...) il y a un besoin de capacité de leadership plus élevé. Il y a aussi la question de l'instruction au tir, où les possibilités d'amélioration sont considérables. Et ils n'ont pas beaucoup de munitions pour s'entraîner, ce que nous devons corriger. Et une fois que nous seront capables de résoudre ces deux petits détails, un saut qualitatif très important sera fait.

La seconde priorité claire du nouveau mandat de EUTM est sa régionalisation. En décembre, vous parliez de simples contacts avec les autorités du Burkina Faso. Depuis, une première formation a eu lieu. Cela a été plus rapide que prévu. Quelles perspectives pour le futur ?

— Nous sommes très satisfaits. En effet, nous avons déjà organisé une première formation (un cours d'intelligence) à Ouagadougou. Trois autres formations sont prévues pour le second semestre, sur les transmissions, le droit international humanitaire et une pour les tireurs d'élites. Et l'idée est de continuer à préparer plus d'activités pour l'année prochaine. D'ailleurs, je vais faire un dernier déplacement au Burkina Faso, avec l'amiral Bléjean [le directeur de l'état-major de l'UE], pour rencontrer le chef d'état-major des armées, afin d'approfondir cet aspect. Les progrès ont été étonnamment rapides et les résultats seront, je pense, très satisfaisants.

En 2022, peut-on imaginer une présence plus pérenne de EUTM au Burkina ?  

— La première formation a duré deux semaines. Pour les suivantes, nous prévoyons des cours de trois ou quatre semaines. Pour l'instant, nous sommes en mesure de travailler dans le domaine de la capitale, ce qui est important. Mais effectivement, nous verrons ce que l'avenir nous réserve. Mais pour entreprendre des projets de plus grande envergure, comme la formation d'unités, nous aurions besoin de moyens tels qu'une évacuation médicale aérienne, ou des forces de protections, dont nous ne disposons pas actuellement au Burkina Faso. Toute décision sera en fonction de l'évolution des activités et des besoins des forces burkinabés et de la sécurité de nos effectifs.

Quels sont les besoins de l'armée burkinabé ?  

— C'est très similaire au Mali. Et la prédisposition est extraordinaire. Je pense que ce que nous pouvons faire ici peut être très fructueux.

L'autre élément régional concerne le Niger. Où est-on de l'intégration de la mission allemande Gazelle dans EUTM ? 

— L'intégration de Gazelle dans EUTM Mali a déjà été décidée. L'annexe au plan de mission de l'EUTM a été rédigée afin de concrétiser cette adhésion. Du point de vue de la planification, c'est déjà fait. Bien sûr, il faut maintenant que tous les détails nécessaires soient réglés pour qu'il se concrétise. Il est nécessaire d'établir le commandement et le contrôle, les moyens de communication entre le Niger et Bruxelles, les officiers de liaison, le cadre juridique de la part des autorités nigériennes pour permettre, en tant qu'Union européenne, le séjour de personnel militaire dans le pays. Les détails doivent encore être finalisés.

Combien de temps cela prendra ? 

— Les choses bougent. Je ne pense pas que ce sera très long. Un officier de liaison allemand est venu ici récemment, pour examiner les possibilités.

Faudra-t-il des effectifs supplémentaires ?

— Tout dépendra des différents rapports, des différents besoins et objectifs, et du niveau d'ambition de la participation de l'Union au Niger. Pour le moment, l'objectif est de former un bataillon des forces spéciales.

Et pour le Tchad et la Mauritanie, rien en préparation ? 

— Non. Pour l'instant, il n'est pas envisagé d'intervenir dans la formation au Tchad ou en Mauritanie.

Pendant votre mandat, le président français a pris une décision importante pour la présence française au Mali, en annonçant la transformation de l'opération Barkhane. Avec l'idée que EUTM puisse prendre le relais. Quel impact pour la mission européenne ?

— La présence française sera transformée, essentiellement pour donner aux FAMA un rôle moteur dans le développement des opérations et à la France un rôle de conseil et de support. Nous devrons en effet voir comment nous pouvons coordonner la formation, et éviter le chevauchement. EUTM Mali ne changera pas.

Après le nouveau coup d'État de mai, vous êtes-vous interrogé sur l'utilité de la mission ? Est-ce que des progrès et réformes suffisantes ont été mis en place dans l'armée malienne ?  

— Je ne pense pas qu'il faille identifier ce qui s'est passé à un soulèvement des forces armées maliennes dans sa globalité. Eux-mêmes parlent d'un coup de force. Il s'agissait d'un différend politique et c'est ainsi qu'ils le comprennent et l'expliquent. Les FAMA, en général, n'ont pas été impliquées. En outre, ils ont essayé par tous les moyens d'exprimer et de maintenir une position de neutralité et de défendre l'idée que la stabilité dans les zones chaudes devait être protégée. Est-ce qu'il y a encore des choses à améliorer ? Bien sûr. Mais il ne doit pas y avoir le moindre doute : le conseil que nous apportons servira, à moyen terme, à améliorer substantiellement les structures et le mode de fonctionnement des FAMA.

(Propos recueillis par Leonor Hubaut)

Entretien réalisé par téléphone, le 2 juillet, en espagnol et traduit par nos soins

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