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[Entretien] L’OTAN doit gérer les achats d’armes en commun (Julianne Smith)

Julianne Smith à Sarajevo (© US Embassy)

(B2 au QG de l'OTAN) Pour Julianne Smith, l'ambassadrice américaine auprès de l'OTAN, l'Alliance atlantique est l'enceinte idéale pour coordonner non seulement les envois vers l'Ukraine mais aussi le réapprovisionnement des stocks des Alliés. N'en déplaise aux Européens qui se sont déjà beaucoup investis dans ce domaine.

  • Son propos s'inscrit dans les pas du ministre américain de la Défense Lloyd Austin, début septembre (Lire : Les Alliés veulent réorganiser leur BITD, sous direction US).
  • Les rendez-vous se sont enchaînés ces trois derniers jours : à la conférence des directeurs d'armements nationaux (CNAD) de l'OTAN, mardi (27 septembre) ; à 40 au groupe de contact pour l'Ukraine (Ramstein) mercredi (28 septembre) ; entre les 27 à l'Union européenne jeudi (29 septembre).
  • Le déroulé des étapes ressemble au travail accompli par les Européens à partir de mai (cf. encadré).

Une question vitale : les lacunes des États

À chaque fois, les directeurs d'armements des « amis de l'Ukraine » se sont réunis avec un sujet pressant sur la table. Chaque format a amorcé l'identification des lacunes et besoins en armement de ses membres, première étape pour trouver une solution à la vaste question : comment coordonner la production d'armes, à la fois pour remplir les stocks qui s'épuisent, continuer les livraisons à l'Ukraine, tout en s'assurant que l'industrie sera en capacité de produire ?

Première étape : identifier les besoins

La première étape « consiste à mieux comprendre les trajectoires et la direction que nous prenons. Où sont les plus grandes lacunes ? Quels seront les principaux manques à gagner dans les mois à venir ? » détaille Julianne Smith. En particulier, il faut penser ensemble, juge t-elle, et voir si « il y a des domaines que nous pourrions identifier collectivement ». NB : c'est le travail qui est également fait côté européen par l'Agence européenne de défense (EDA), suite à la proposition de mai (lire : [Entretien] Regrouper les États autour d’équipements concrets, une nécessité (Jiří Šedivý).

Deuxième étape : faire face au vidage des stocks

Tâche qui s'avère compliquée, cependant. Car selon l'analyse de l'Américaine, suite aux rencontres de la semaine, « chaque pays est confronté à un défi différent ». « Tout le monde n'est pas confronté à une grave diminution des stocks, cela dépend de la nation. »

... une diminution qui varie selon les pays

La diplomate démontre : « Certains pays ont commencé à fournir une assistance juridique plus tard, d'autres plus tôt. Certains ont commencé par un petit filet d'eau, puis, vous savez, ont ouvert le robinet. D'autres sont sortis de l'ombre en fournissant tout ce qu'ils pouvaient. »

Une attitude qui semble différer sensiblement de celle des Européens qui ont identifié des priorités à plusieurs reprises comme étant urgentes et similaires (1).

Troisième étape : acheter en commun

Pour Julianne Smith, la solution est dans des achats en coordination internationale. « Quelles type de solutions multilatérales ou multinationales pourraient exister, de sorte que nous puissions aider à traiter tous ces problèmes simultanément, qu'il s'agisse de munitions ou de défense aérienne ou autre chose ? ». Par exemple, « pourrions-nous envisager des choses comme les achats en commun ? » fait mine d'interroger l'Américaine, car « c'est une question qui mérite une réponse. » Réponse qui peut être multilatérale (entre États directement) ou multinationale (via une organisation).

L'OTAN, la solution pour le multinational

Et « si quelqu'un est adapté à la nature de ce défi, je crois vraiment que c'est l'Alliance de l'OTAN », juge la diplomate, en réponse à une question sur le lien avec le mécanisme de l'Union. L'OTAN « excelle dans l'identification des lacunes en matière de capacités, puis dans la recherche rapide de moyens de les combler ». NB : selon nos informations, ce serait la NSPA (Nato Support and Procurement Agency) qui devrait être le bras armé de cette coordination.

... un acquis irremplaçable

L'Alliance a « une grande expérience dans le domaine », elle « a l'habitude de traiter toutes sortes de capacités et de défis liés à la défense », défend la représentante de Washington. Prenant à témoin « des années passées à aider certains des nouveaux membres dans les années 90 à se sevrer des équipements de l'ère soviétique ». Ou encore, « des périodes où, des pays ont été aux prises avec un problème de stock ou un déficit de capacité », ou les fois où l'Alliance a « réuni des pays pour leur dire que leurs ressources seraient utiles en tel lieu, ou que leur chaîne de production pourrait aider tel pays ».

Commentaire : une remise à zéro des compteurs

Un travail déjà entamé au sein de l'Union européenne

L'Union européenne a commencé à répondre à la question des stocks, au printemps. On assiste aujourd'hui à une reprise en main par les Américains. Ou plutôt à ce qu'on appelle une « convergence » ou une « rationalisation » (streamlining) des efforts. L'Union européenne a déjà produit une analyse des lacunes capacitaires de ses États membres (lire : Les lacunes capacitaires révélées par la guerre en Ukraine) et proposé un mécanisme pour l'achat d'équipements en commun (lire : Vers un mécanisme d’acquisition conjointe d’armes).

Reprise en main logique, au vu des États impliqués 

Début septembre, c'est au tour des Américains, dans le cadre du Groupe de contact pour l'Ukraine, d'appuyer sur l'importance d'organiser l'industrie pour faire face aux problèmes de stocks (lire : Les Alliés veulent réorganiser leur BITD, sous direction US). Cette reprise en main a une certaine logique, vu le poids des Alliés non membres de l'Union européenne (Américains, Canadiens et Britanniques, sans oublier les Turcs) dans le soutien aux forces armées ukrainiennes (financier, formation et équipements)

La convergence des efforts est donc nécessaire entre les différents formats et organisations qui ne réunissent pas les mêmes États, comme le fait remarquer un observateur du dossier à B2. Car tous les États membres de l'UE fournissant des équipements létaux font ou feront bientôt rapidement partie de l'Alliance, une fois la Suède et la Finlande officiellement acceptées.

Vers un partage des tâches ?

L'OTAN pourrait-elle donc prendre la part militaire, et l'Union européenne le matériel non létal, avec un fonds pour inciter aux achats en commun auprès d'entreprises européennes ? L'ambassadrice américaine se garde bien de donner une solution : actuellement, « le travail est en cours », répète Julianne Smith. En effet, certains pays, dont les Pays-Bas notamment, sont à la manœuvre pour trouver un sens entre toutes les options, avec une idée en tête : éviter les duplications et créer le maximum de convergences.

(Aurélie Pugnet, avec Hugo de Waha, st.)

Propos de l'ambassadrice américaine à l'OTAN recueillis jeudi (29 septembre), lors d'un entretien avec quelques journalistes de la presse internationale dont B2, dans les locaux de l'Alliance, en anglais.

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