La France et l'Estonie signent pour un achat conjoint de canons Caesar. (©DGA)
Export d'armes

[Reportage] Eurosatory 2024, les dernières tendances techniques et géopolitiques

(B2) Cette édition du salon de l’armement terrestre, qui s’est tenue du 17 au 21 juin à Paris, est marquée par la recrudescence des grands conflits internationaux. Les changements induits par la guerre en Ukraine et à Gaza sont désormais intégrés par les acteurs étatiques : tout le monde cherche à acheter… et à vendre.

Une géopolitique de l’armement qui évolue

Les industriels français en confiance

Jouant à domicile, les constructeurs français ont globalement tous passé un bon salon. Profitant des efforts initiés par l’économie de guerre réclamée par le président français Emmanuel Macron, tous se sont dotés d’une capacité à répondre rapidement à la demande, en hausse. « C’est une bonne nouvelle, se félicite-t-on dans l’entourage du ministre des Armées. Nous commençons à reprendre des parts de marché. » Ce rééquilibrage de la clientèle française est en réalité bien amorcé depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel président, qui coïncide avec une augmentation des dépenses d’équipement des pays membres de l’Union européenne. À noter, entre autres : une signature avec la France, la Belgique, Chypre, la Hongrie et l’Estonie, pour 1500 missiles sol-air Mistral 3 (MBDA) éligible à un financement EDIRPA, à laquelle l’Espagne pourrait se joindre ultérieurement ; une signature pour des canons Caesar achetés en commun, dans le nombre reste à préciser, avec la Croatie et l’Estonie (12 pièces) ; des canons Caesar, également, pour l’Arménie (36 pièces, selon l’AFP) ; ou encore 6000 radios logicielles de Thales aux Irlandais.

Confirmation du partenariat France-Estonie

L’intérêt de l’Estonie pour les Mistral 3 et les Caesar vient compléter la relation stratégique entre les deux pays, initiée sur le plan opérationnel avec la participation des Estoniens à Barkhane au Sahel en 2017, et aux prépositionnements français sur le territoire de l’Etat balte. La Direction générale de l’armement (DGA) va ainsi se charger des négociations contractuelles avec les industriels, au profit de la France et de l’Estonie, avec l’objectif d’obtenir des prix avantageux. Une rencontre a eu lieu le 20 juin entre le directeur de cabinet de Sébastien Lecornu, Patrick Pailloux, le secrétaire permanent du ministère de la Défense estonien, Kusti Salm, et le numéro 2 de l’état-major des armées, l’amiral Pierre Vandier, qui doit prochainement prendre le Commandement allié Transformation de l’Otan (NATO ACT).

Les Tchèques espèrent déployer leur offre aux Etats-Unis. ©CSG)

Les petits à la conquête des grands

La France, désormais deuxième exportateur mondial d’armement, n’est pas la seule à bénéficier du contexte géopolitique global. Des challengers se lancent dans la course. A noter par exemple les Tchèques, qui officialisent sur le salon la coopération entre leur entreprise d’exportation Czechoslovak Group et leur ministère de la Défense. Au programme, des partenariats avec KNDS France pour un pont mobile avec Tatra ou encore le Turc Aselsan pour des systèmes sol-air. Les Tchèques, dont le résultat a augmenté de 71% pour arriver à 1,73 milliards d’euros en 2023 ambitionnent de se développer sur le marché américain et de miser sur l’aéronautique de façon ambitieuse, au-delà des simples pièces détachées. Une pénétration massive du marché qui interpelle les autres producteurs européens.

Les Coréens à la conquête de l’Europe

Les Sud-Coréens sont très bien représentés sur le salon. Hanwha, qui a vendu des pièces d’artillerie à la Pologne, la Norvège, la Finlande et l’Estonie, signe avec la Roumanie pour 54 canons K9 Thunder. Hyundai, qui a vendu plusieurs centaines de chars K2 à la Pologne, continue de négocier avec la Roumanie, où l’engin a été présenté en mai, pour un projet de 300 blindés. Sur le stand de ce dernier, un intéressant concept de char du futur qui lance la réflexion là où le MGCS franco-allemand reste bien discret : motorisation hydrogène, robotisation, furtivité… Autant de pistes à creuser.

Le FAMOUS2, projet FED porté par Patria, annonce un transport de troupe blindé capable de manœuvrer sur des terrains extrêmes. (©Patria)

Occuper les niches

Le Finlandais Patria a de son côté présenté son projet FAMOUS2, financé par le fonds européen de défense, dans sa sélection de 2021. Il vise à développer un blindé de haute mobilité. Le concept mis en avant revendique une capacité à se déplacer efficacement sur des terrains glacés ou marécageux, pour un coût qui doit rester abordable.

Techniquement : la quête de masse

Le retour des poids lourds

L’une des tendances marquantes est la prise de masse des véhicules blindés, chez les fabricants de toutes origines. Qu’il s’agisse du tout nouveau MAV’RX du français Arquus, de l’ARX NS-II de l’émirien TAG Dynamics ou de l’AMPV du britannique BAE Systems, tous ont significativement augmenté en taille par rapport aux générations précédentes d’engins. Des blindés qui auront plus de mal à manœuvrer en ville et qui sont plutôt destinés à des affrontements de haute intensité. « La taille des blindés raconte ce que sont les besoins d’emport, explique le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, à B2. Nos demandes sont d’embarquer des groupes de dix soldats, avec un armement de plus en plus lourd et volumineux. Il faut ajouter le besoin de protection. »

Vers un retour des chars français ?

Autre signal de durcissement, KNDS France se montre ambitieux et optimiste sur les projets de chars, longtemps marginalisés. L’industriel espère désormais positionner une version « Evolution » du Leclerc pour la décennie 2030, en attendant le MGCS. Le chef d’état-major de l’armée de terre manifeste de son côté un intérêt pour une telle approche, à condition qu’elle soit particulièrement efficiente en termes de coûts. Il compte de plus sur un intérêt des Emirats Arabes Unis, pour contribuer à moderniser ce matériel. KNDS propose également un nouveau modèle de canons, l’Askalon, qui a été testé juste avant le salon et permet un changement de tube en 30 minutes. De quoi alléger la logistique et offrir une flexibilité entre des modèles 120, 130 et 140mm.

Un monde de drones…

Les drones sont toujours plus nombreux, d’édition en édition. Avec comme spécificité une très grande variété de concepts. Sébastien Lecornu a signé un « pacte drones aériens de défense » qui permet la constitution d’une équipe chargée de coordonner les solutions pour la gamme de moins de 150 kilos. Tout l’enjeu est d’« identifier les briques technologiques spécifiques aux besoins de défense », selon une note d’orientation industrielle dédiée. Le général Schill remarque ainsi qu’il faut se méfier de l’effet Ukraine et distinguer ce qui est contextuel, générant un avantage tactique temporaire sur ce champ de bataille très spécifique, de ce qui est structurel et implique des évolutions durables. La DGA a également attribué un marché à KNDS Ammo France et Delair pour la fourniture des futures MTO CP, les munitions téléopérées de courte portée, pour 460 munitions et 115 segments sol.

… et de robots

Les robots terrestres aussi, sont présents chez de plus en plus de fabricants. La stratégie de l’estonien Milrem et de son désormais incontournable THeMIS consiste à multiplier les partenariats avec d’autres fabricants pour diversifier l’offre et l’adapter aux besoins des clients nationaux. Une coopération de ce type est engagée avec KNDS France, qui développe des charges dédiées à embarquer sur une base de THeMIS. Le général Schill note de son côté qu’à moyen terme, lorsque ces technologies seront mures, elles pourraient occuper une place encore plus importante sur le champ de bataille que celle des drones, qui seront de plus en plus neutralisés par la multiplication des systèmes de défense sol-air.

(Romain Mielcarek)

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