L'adjudant Denis présente les projets au général Pulkinnen, chef du MPCC, lors de sa dernière visite (Crédit : EUTM RCA)
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[Reportage] Reportage à Bangui 3. EUTM RCA, chef d’orchestre de la reconstruction de la structure de défense

(B2 - à Bangui) Pour reconstruire les forces armées centrafricaines (FACA), la formation ne suffit pas. Il faut reconstruire toute la structure de défense du pays. C'est ce que fait le personnel du pilier particulièrement sensible de “conseil stratégique" de la mission européenne EUTM RCA, sous la direction du colonel français, Jean-Philippe Leroux. B2 a pu le rencontrer au camp "Ucatex Moana", QG de la mission.

L'adjudant Denis présente les projets au général Pulkkinen, chef de l'état-major de l'UE et de la MPCC, lors de sa dernière visite (Crédit : EUTM RCA)

Objectif : remettre à plat l'organisation du ministère

C'est un des volets de la réforme du secteur de la sécurité (SSR). La réforme de défense, mise en œuvre par EUTM, a pour objectif de « remettre en place tous les documents de base pour l’organisation des ministères » concernés, les structures de base et de « faire remonter en puissance tout cela, avec des équipements et des formations, afin de donner à l’État centrafricain, en quelques années, une capacité à reprendre la main sur le pays dans tout le spectre sécuritaire » explique le colonel Jean-Philippe Leroux.

Un travail main dans la main avec le ministère et l'état-major centrafricain

Les 16 membres du pilier "conseil stratégique" travaillent avec une soixantaine de personnes du ministère de la défense – la ministre elle-même, ses conseillers et subordonnés directs, l’inspecteur général de l’armée centrafricaine et les chefs des départements nécessaires – ainsi qu'avec l'état major des FACA (aux ordres du général N’Gaifei). Si la réforme de défense « est un processus gouvernemental, appuyé par la communauté internationale, d’abord et avant tout par la MINUSCA (la mission des nations-unies pour la Centrafrique) », EUTM a, en effet, la « maitrise d'œuvre ».

... surtout au niveau législatif pour l'instant

Les travaux sont guidés par la "feuille de route", définie avec le gouvernement de transition en 2015 et la mission EUMAM RCA. Au total, ce sont neuf groupes thématiques qui se réunissent une fois par semaine, avec un ou deux représentants de EUTM. Le gros du travail, pour l’instant, est d'accompagner les Centrafricains dans la mise à jour des textes, décrets, instructions ministérielles, documents d’emploi ou d'organisation… pour actualiser, mettre en vigueur et redonner de la cohérence.

Les ressources humaines, un chantier vaste et critique

Un des groupes de travail, défini comme une priorité par EUTM et le gouvernement centrafricain, est celui des ressources humaines. « Le champ d’action est beaucoup plus vaste et beaucoup plus important car il gère le devenir des personnes (soldes, avancements, primes…). » Le domaine est « vital » car il peut donner une perspective de futur aux personnes. « Si l’aspect des ressources humaines n’est pas complètement maitrisé, c’est là qu’il y a le plus grand risque d’échec moral et psychologiques pour les FACA. On peut avoir toutes les armes que l'on veut, s’il n’y a pas de perspective de formation, d’avancement, de couverture sociale des militaires, et pas de recrutement de jeunes... in fine, les gens perdent confiance. » Beaucoup de textes sont en chantier. Un contrat a été passé avec une entreprise pour créer un système informatique adapté et fournir le matériel informatique (et formation) aux FACA. De premiers progrès vers une gestion rénovée pourraient être visibles dès 2018.

Processus de départ au sein des FACA

Aujourd'hui, les FACA regroupent environ 7000 personnes. L'objectif est d'atteindre les 9800 militaires. Mais il faut d'abord « apurer une structure déséquilibrée ». A EUTM, on se refuse à parler de « nettoyage » en raison de la connotation négative. Le colonel Leroux mentionne plutôt un « processus de départs à la retraite ». Sont principalement visés des officiers et sous-officiers anciens. Le processus est long et compliqué. « C'est difficile à organiser, mais ils sont conscients de la nécessité. » Une première vague de départ est ainsi attendue début 2018.

Un retard de paiement chronique apuré... par les États-Unis

L'exemple des errements passés est toujours présent. « Il y a eu des mois, voire des années entières, pendant lesquelles de nombreuses personnes n’ont pas reçu leurs soldes ». Selon nos informations, ces retards chiffrés à trois millions $, qui pourraient être payés par la communauté internationale, notamment les États-Unis. Cela permettra aussi de libérer, à terme, des crédits pour le recrutement. « En faisant partir à la retraite quelques centaines de colonels, lieutenant-colonel…, on devrait permettre de recruter et former 500 à 600 soldats dès 2018 et autant en 2019. »

Redéfinir le budget, via la loi de programmation militaire

C'est le groupe sur la loi de programmation militaire qui s'occupe des aspects financiers. « Il s’agit de déterminer, sur une échelle de cinq ans, les besoins de reconstruction, de structures (construire des casernes, avoir des bataillons opérationnels, acheter des véhicules, équiper les FACA…) et de formation, puis d'estimer leur coût et ainsi programmer, année par année, une trajectoire financière et les investissements à réaliser pour arriver aux objectifs. » Est-ce réaliste ? Oui, « si la communauté internationale continue d’appuyer largement le gouvernement centrafricain et si lui-même arrive à avoir une bonne gouvernance ». Dans ce domaine, le pilier "conseil stratégique" manque d'un officier spécialisé. Si cela est très important, « la réalité montre qu’il y a déjà une programmation et une exécution budgétaires efficaces » juge le colonel Leroux. « Dire si la gestion du budget est optimale, c’est très compliqué. » L'important, explique-t-il, est que le ministère de la Défense centrafricain engage et contrôle ses dépenses. Il y a un processus décisionnel au sein du cabinet de la ministre pour répondre aux besoins.

Un appui technique sur l'embargo des armes 

EUTM intervient aussi comme conseil lorsqu'un pays tiers veut donner ou vendre des armes à la RCA. Une fois le protocole signé entre le pays donateur et la RCA, celle-ci doit lancer les procédures administratives auprès du Comité des sanctions de l'ONU. Ce sont alors les experts juridiques et logistiques du pilier "Conseil stratégique" qui apportent un appui technique dans la constitution des demandes d’exemptions et de levée des sanctions pour obtenir des Nations-Unies un agrément à ces donations ou ventes. EUTM peut servir aussi d'intermédiaire avec « l'équipe technique du Comité des sanctions [qui] est à Bangui. Nous [leur] servons de secrétariat » précise le général Blazquez.

Un membre de la mission EUTM échange avec ses interlocuteurs centrafricains sur le calendrier de préparation de projets (Crédits : EUTM RCA)

Des difficultés importantes

« Nous sommes dans un pays qui a vécu plusieurs décennies de crises. On ne part pas de zéro mais presque. » Les Européens du pilier "Conseil stratégique" rencontrent deux difficultés principales : le manque absolu de moyens de l'armée centrafricaine et le déficit de celle-ci en officiers bien formés disponibles.

Manque de personnel "capacités"

« Le système scolaire et académique ayant souffert, il y a certes des officiers de grande qualité, avec la capacité de produire des documents, de faire une programmation militaire ... mais il sont vraiment peu nombreux pour faire face à l’ampleur de la tâche à réaliser. » A cela s'ajoute une difficulté supplémentaire. Pour être formés, de nombreux cadres des FACA sont envoyés dans des écoles de pays partenaires (États-Unis, France, Chine, Russie, Mauritanie, Gabon, Cameroun, Afrique du Sud...). Ils reviennent avec les méthodes apprises dans ces pays. « C’est nécessaire, mais cela fragilise le fonctionnement en interne, et la cohésion d'ensemble ».

Un manque crucial de matériel et de logistique

Les groupes de travail dans lesquels il y a plus de difficultés, sont ceux des systèmes d’informations et de la logistique en particuliers. « Il y a un manque de matériel pour pouvoir agir » note le colonel Leroux. En logistique, tout est à faire. « Quand on reçoit du matériel par exemple, il faut bien les stocker quelque part. Il faut donc créer une zone de stockage avec une surface stabilisée. Ou alors il faut un bâtiment ventilé. Or, toutes les infrastructures ont été insuffisamment entretenues durant des décennies puis parfois dévastées en 2013-2014…. Par effet domino, on se retrouve à faire de l’acrobatie… Par exemple, ils ont du carburant, mais plus de camion citerne. S'ils doivent déployer une compagnie en province, il est impossible d’apporter alors ce soutien logistique. »

(Leonor Hubaut)


Une cellule "projets" pour soutenir, à petite échelle, les FACA

Si tout le conseil apporté par le pilier "conseil stratégique" concerne pour l'instant le corpus documentaire et la mise en place des organisations, un appui concret est apporté aux FACA au travers de la cellule "projets". « Ce sont de petits projets pour lesquels EUTM n’a pas d’argent en propre et doit solliciter des États ou organisations. L'objectif n’est pas de reconstruire l’armée nationale, mais d'aider les FACA à fonctionner mieux au jour le jour. »

Un des projets menés à bien, avec un financement espagnol, a été de faire travailler la menuiserie des FACA pour fabriquer des bancs, des tables, des chaises donnés ensuite à une école. Cela permet à la menuiserie de se développer mais aussi de travailler au profit de la population. Le Luxembourg a, lui, financé la réhabilitation d'une infirmerie, de toilettes et la construction de la "caisse à sable" dans le camp Kassaï.

Un projet pour la compagnie agro-pastorale

Un projet agro-pastoral a vu aussi le jour, afin d'apprendre un métier aux forces qui vont quitter l’armée. « On leur apprend des bases » explique l'adjudant belge Philippe Denis. Ce projet a ainsi permis la mise en place d'un poulailler, une porcherie, une chèvrerie, deux bassins de pisciculture pour leur apprendre à élever des poules, des cochons, des chèvres, des poissons. « Quand ils seront retournés dans le civil, ils partiront en sachant planter et élever des animaux. » Les animaux fournis devraient également permettre aux FACA d'être autonomes en produisant 300 kg de chèvres à l'année, et 500 kg de viande. Le tout est placé sous la responsabilité du capitaine vétérinaire de la compagnie agro-pastorale (100-120 personnes) basée à Kassaï.

Mais changer l'état d'esprit prend du temps, car les FACA pensent davantage à court terme. Certains projets ont tourné court, la création d'un champ de maïs, d'un demi-hectare, « a été un fiasco. Dès que le maïs a été récolté, ils ont totalement abandonné le champ. »

(Leonor Hubaut)

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