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Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

Florence Parly aux universités d'été de la Défense (© B2 / NGV)
'OuvertDéfense UE (doctrine)

Florence Parly veut mettre fin au ‘Club med de la bureaucratie’ et faire revenir l’ambition. Ça décoiffe

(B2 à Paris) « L'Europe était un rêve, une ambition. Et nous l'avons laissé devenir un Club Med de la bureaucratie. » La phrase est forte et ne sera sans doute pas tout à fait appréciée dans les couloirs européens. D'autant qu'elle n'émane pas d'un opposant déclaré à l'Europe, mais d'une de ses partisanes affichées, la ministre française de la Défense, Florence Parly.

Pour la Française, qui clôturait ainsi les universités d'été de la Défense à Paris le 11 septembre, cette formule choc est surtout destinée à 'réveiller les consciences', à constituer une alarme permanente, afin de conserver intacte la volonté d'une ambition en matière de défense européenne. Mais il ne faut pas s'y tromper, ce n'est pas qu'une formule de circonstance. Tout au long de son propos transparait une certaine acrimonie contre les lourdeurs institutionnelles.

Florence Parly aux universités d'été de la Défense (© B2 / NGV)

Nous rêver seuls ou nous battre pour redonner un sens à l'Europe

« Nous sommes à la croisée des chemins. Une chose est sûre : cela ne peut pas continuer comme avant. » Il y a deux choix selon la ministre : « suivre la voie des vendeurs de haine, suivre le chemin de ceux qui nous rêvent seuls, menacés, affaiblis et s’épanouissent dans ce sublime isolement ». Ce n'est pas celui-ci qu'elle préconise. « Nous devons nous battre pour redonner un sens à l’Europe, une portée et un élan, lui donner le visage de projets concrets, d’avancées tangibles. » Et de dénoncer ceux qui crient haro sur l'Europe. « L'Europe est en réalité une solution et non pas un problème. » Mais — reconnait-elle aussitôt — « c'est à nous d'en faire la preuve ».

Face à Trump, l'Europe une nécessité

« L'Europe de la défense est une nécessité. Je ne le dis pas seulement par conviction, je le dis par constat. » Un constat objectif. Il suffit d'écouter « les déclarations de Donald Trump (le président américain). Lisons ses tweets. Le message qui nous est envoyé est sans ambiguïté ». N'y voir qu'une « posture de circonstance » serait une erreur, met-elle en garde. Cela « ne tient pas qu’à une personne, un contexte. Nous ne sommes pas juste victimes d’un mauvais alignement des planètes. C’est un mouvement de fond, bien plus large, qui s’opère lentement. » Certes il reste un axiome : « Les États-Unis sont nos alliés et nos amis, et ils le resteront ». « Mais le doute s’est installé : pourrons-nous toujours compter, en tous lieux et en toutes circonstances, à un soutien américain ? Et que se passera-t-il si, demain, l ’Europe se retrouve seule pour assurer sa propre défense contre telle ou telle menace ? » La solution est claire pour Florence Parly : elle est européenne. « Nous ne pouvons pas nous reposer exclusivement sur les autres. Nous devons compter sur nous-mêmes, réagir, bâtir une 'Europe qui protège', bâtir une autonomie stratégique européenne. »

2018, l'année de l'éveil des consciences

La ministre termine ce constat en demi-teinte par un vent plus optimiste. « L'année 2018 a, sans doute, été (celle de) l'éveil des consciences. L'Europe de la défense, plus que jamais, a avancé parce qu’elle s’est construite autour de projets concrets, bénéfiques à tous. » Trois éléments sont à mettre en avant : le Fonds européen de défense qu va donner « un souffle à notre innovation et notre recherche capacitaire »; deuxièmement, la coopération structurée permanente — qui « a su fédérer les États avec une liste de projets impressionnante. Leur mise en œuvre donnera une ambition et un souffle nouveau à l’Europe » –; enfin l'initiative européenne d'intervention (IEI).

L'IEI pour sortir des cadres trop rigides institutionnels

Cette initiative voulue par la France — qui regroupe neuf États « capables militairement et volontaires politiquement » — « sort des cadres parfois trop rigides des institutions ». « Résolument pragmatique, adaptable », l'IEI va permettre « de bâtir une culture stratégique européenne et de favoriser les déploiements communs avec nos partenaires ».  Le prochain rendez-vous est fixé en novembre, avec une réunion des ministres des pays de l'IEI pour donner des « orientations politiques aux premières discussions » entre états-majors, qui auront lieu « dans la foulée » (1). Ce type de partenariats permettent de « continuer à avancer en évitant lourdeurs et blocages institutionnels, avec un seul objectif : l’efficacité sur le terrain ».

Quatre défis pour le futur

La ministre a conclu ce chapitre Europe en donnant quelques principes d'action

  1. Au niveau stratégique : « Entamons une réflexion sur l’Europe et notre sécurité et réfléchissons au principe de solidarité et à l’article 42.7. Soyons créatifs, ambitieux pour bâtir une architecture européenne de sécurité ».
  2. Au niveau industriel : « Créons des industries européennes de défense fortes, plus stables, plus dynamiques, plus incontournables ».
  3. Au niveau capacitaire : « Faisons la promotion de la préférence européenne. Favorisons l’autonomie de nos équipements. C’est le but de nos projets communs, de la CSP (PESCO), du fonds européen de défense, de nos projets d’équipements européens ».
  4. Au niveau politique : « Restons unis, c'est l'indispensable condition de notre succès. [...] L’Europe est riche d’États aux langues, aux tempéraments et aux cultures diverses. Et pourtant les mêmes menaces et les mêmes doutes la traversent. Le poison de la division est celui qui nous empêchera d’avancer, qui nous empêchera de nous rassembler et de bâtir une Europe de la défense forte, quand nous en avons cruellement besoin ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

Télécharger le texte complet du discours de la ministre (FR)

(1) NDLR : soit un léger décalage par rapport au planning indiqué en juin

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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