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EUCAP Sahel Niger : une mission décalée avec la réalité ?

(B2) Le mandat d'EUCAP Sahel n'est pas adapté à la situation sur le terrain. C'est l'avis d'un chercheur de la fondation Robert Schuman. Il décortique les principales défaillances de la mission

Le commandant des opérations civiles de l'UE (CPCC), Vincenzo Coppola, en visite au Niger, en octobre 2019 (crédit : EUCAP Sahel Niger)

Pour Léonard Colomba-Petteng, chercheur au CERI-Sciences Po-CNRS, la mission a besoin de davantage de réflexion d’ensemble et de fond. Il appelle également à moins de technicité et à « une stratégie de sortie de la mission EUCAP Sahel [Niger] » plutôt que de continuer à étendre « le mandat initial ». Un document intéressant, selon nous, mais qui manque d'une certaine précision scientifique.

Décalage avec la réalité sur le terrain

Le décalage principal qui filtre est lié aux conditions de sécurité pour le personnel de la mission. « Respect d’un couvre-feu, partage des logements, mise en commun des véhicules blindés, port systématique de radios, voire d’armes à feu », parfois « cantonnés » dans leur locaux. Toutes des « mesures restrictives » qui contrastent avec les consignes données aux membres de la délégation de l'UE dans la capitale, bien plus souples. D'ailleurs, le personnel local attaché à la mission ne doit pas appliquer ces mesures de sécurité. Cela résulte en une « séparation nette » entre la mission et la société environnante, avec des experts qui n'ont que des « connaissances sommaires » de celle-ci.

Former pour le fait de former

« Les experts européens ont surestimé l’attractivité de la fonction de formateur aux yeux des membres des forces de sécurité du Niger. » La compensation financière associée aux formations, les per diem, est devenu un problème. Celle-ci « attire au moins autant pour le complément de revenu associé que pour leur contenu pédagogique. La question de l’impact des formations et du devenir des individus formés n’est jamais véritablement considérée ». Une suggestion que la mission forme... pour former.

Pas de réponse aux besoins réels

Il y a un besoin « impératif pour les experts de pouvoir présenter un bilan chiffré », de prouver qu'ils sont « visibles », qui se fait parfois « au détriment de considérations plus en phase avec les problèmes concrets auxquels font face les forces de sécurité nigériennes (manque de carburant, infrastructures vétustes, déficit de personnel) ». Les « difficultés auxquelles font face les forces de sécurité du Niger [qui] sont d’ordre logistique et opérationnel » ne sont donc pas prises en compte par la mission.

Une accaparation européenne et française qui passe mal

Une « trop grande propension à agiter le drapeau européen » gêne. Dans un pays où une grande quantité des programmes de coopération sont présents et travaillent ensemble, « l'appropriation européenne » des résultats semble « exagérée ». « Certains vont jusqu’à considérer que la communication régulière et dynamique d’EUCAP Sahel [Niger] conduirait Bruxelles à surestimer l’efficacité, voire l’utilité, de la mission. » Du côté français ce n'est pas beaucoup mieux : des « crispations » se sont formées aux vues des « postes de formateurs ou conseillers les plus proches des autorités nigériennes [qui] sont accaparés par la France ».

Une reconversion limitée des passeurs

Alors que « les dispositifs financés par le fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne ont porté un coup d’arrêt aux flux migratoires en direction de la Libye », les programmes de reconversion des passeurs ont des « effets limités ». Seul « 10% des acteurs impliqués » auraient réussi à se reconvertir  ce qui sur le long terme suggère une réapparition du problème sécuritaire de trafic d'être humains et de circulation de produits illicites.

Une densité mal anticipée

Enfin, l'Union européenne n'aurait pas anticipé « la densification du paysage de la coopération sécuritaire au niveau local, au point que des programmes finissent par entrer dans des logiques concurrentielles ». Ceux-ci se développent en « tuyau d’orgue », s'enchevêtrent et demandent aux responsables sur le terrain du travail supplémentaire afin « d'éviter les doublons ».

(Clara Gantelet, st.)

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