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[Entretien] A Agadez, pour renforcer les forces locales face à l’immensité du désert (Philippe Pons)

(B2 - exclusif) Le Français Philippe Pons * est le nouveau chef d'antenne à Agadez de la mission de soutien aux forces de sécurité intérieure du Niger (EUCAP Sahel Niger). Un secteur qu'il connait bien puisqu'il était, depuis juin 2018, adjoint au chef d'antenne. Un point stratégique dans la présence européenne dans le Sahel. Entretien

(crédit : EUCAP Sahel Niger)

Quel est l'objectif de ce poste d'Agadez situé au nord du pays ?

Le poste à Agadez a été ouvert il y a trois ans, en avril 2016, pour porter au plus loin l'action d'EUCAP Sahel Niger. C'est une nécessité compte tenu de la géographie, de l'étendue du territoire. Il est difficile de se projeter au Nord à partir de la capitale Niamey (NDLR : deux heures d'avion si les conditions météo s'y prêtent, trois jours par la route, six jours en transport en commun). C'est aussi un carrefour touristique bien connu, avec des populations différentes de Niamey. Enfin, il a une organisation politique spécifique. Outre les autorités administratives classiques, les forces de sécurité, on y trouve un des deux sultanats historiques du Niger avec la présence d'un sultan, le sultan Oumarou, un personnage extrêmement important.

On aurait pu penser que le Niger serait impacté par le conflit qui ne semble pas éteint chez son voisin malien. Cela ne semble pas s'être produit. Comment l'expliquez-vous ?

Les problèmes qui ont affecté le Mali depuis 2012 n'ont pas impacté le Niger, en effet. Le retour du MNLA [NDLR : le mouvement national de libération de l'Azawad, d'obédience touareg] n'a pas causé de trouble. Il s'est contenté de traverser le pays. La raison, il faut la chercher dans le positionnement du pays, différent. Il y a une place reconnue pour les Touaregs et les Haoussas dans le pays. Ils sont au cœur de l'État. Le Premier ministre, lui-même, est issu de leurs rangs, c'est un Touareg. L'État n'est pas failli. Les forces de sécurité sont mobilisées et travaillent. On est, en fait, sur un terreau sain. On a des entités commandées, structurées...

... Si les forces de sécurité sont présentes, quelle est votre fonction ?

Notre fonction, c'est de leur apporter un 'plus', de leur offrir l'opportunité de se spécialiser dans certains domaines. Nous visons le renforcement capacitaire. Il s'agit de contribuer à la montée en puissance des forces locales et de renforcer le niveau de connaissances. Cela comprend les techniques d'intervention, la procédure pénale, le renseignement criminel, la lutte contre le trafic de drogues et d'armes. Nous faisons de la formation et apportons des équipements en complément. Nous avons plusieurs projets pour fournir du matériel de communication — radios, téléphones... —, des moyens de mobilité — que ce soit des motocyclettes qui sont très utilisées ici ou véhicules tous terrains —, du matériel bureautique et pédagogique, ou pour fournir les échelons techniques permettant d'entretenir leur parc automobile. Nous formons aussi des formateurs. Car notre objectif n'est pas de rester ici.

Dans cette région qui est une plaque tournante du commerce, il y aussi des trafics de drogues, d'armes, est-ce considéré comme un problème par les Nigériens ?

Le problème de la drogue est bien réel. Il est double. Au niveau de la consommation tout d'abord. C'est un défi important pour le pays car il touche des jeunes adolescents aux jeunes adultes. Un phénomène plutôt nouveau. On a une jeunesse désœuvrée, qui souffre du manque d'emploi, car il n'y a plus le tourisme qui existait il y a encore une vingtaine d'années. Elle peut être tentée d'entrer dans le cycle infernal de la consommation de drogues de synthèse (NDLR : Le Niger vient ainsi d'inscrire le Tramadol au tableau des stupéfiants). Il y a aussi un second niveau de problèmes : le trafic (cocaïne, haschich ...) qui concerne non seulement le Niger, mais toute la sous-région : du Golfe de Guinée au Tchad en passant par le Mali ou la Mauritanie. Nous avons soutenu une caravane itinérante du comité régional de la jeunesse, qui a visité durant une semaine les endroits les plus reculés à Arlit, pour sensibiliser les jeunes, avec un message essentiel : la prévention des trafics. Cela a suscité beaucoup d'intérêt. Beaucoup de jeunes se sont sentis concernés, ont participé aux discussions.

... et le trafic d'armes

C'est aussi une priorité pour les Nigériens. Les armes sont bien présentes même si elles ne sont pas visibles. Les coupeurs de route agissent avec des armes de guerre. Le Niger a été en proie à plusieurs rebellions armées dans le passé. Il y a la proximité de la Libye (avec différents trafics). Les caravanes parcourent le désert. Les opérations du général Haftar [dans le sud de la Libye] ont provoqué des mouvements de population. Malgré tout, c'est une région assez calme. A la différence du Mali, il n'y a pas de remise en cause l'autorité de Niamey.

(Nicolas Gros-Verheyde)

* Lieutenant-colonel de gendarmerie, Philippe Pons a fait un parcours plutôt classique entre gendarmerie mobile et départementale, jusqu'au poste de commandement de groupement. Il s'oriente assez vite vers un parcours international. Il a servi dans les missions de l'ONU (Monusco et Monuc à plusieurs reprises), en Afghanistan (OTAN), en RCA au niveau de l'Union européenne (avec EUFOR RCA) ou en Côte d'Ivoire.


Le poste d'Agadez

L'équipe d'EUCAP à Agadez comprend aujourd'hui une trentaine de personnes : un tiers composé de staff local (Nigériens) et deux tiers d'experts internationaux venant de cinq pays essentiellement (France, Italie, Allemagne, Roumanie, Portugal). Le poste est autonome. Il dispose d'une branche logistique, administrative, opérationnelle et d'experts dédiés par domaine au profit des forces de sécurité intérieure nigériennes (formation, entraînement) ou de projets (FSI et société civile). Parmi ceux-ci, on trouve deux types de profils : des experts issus des forces de sécurité, parfois sur des profils très aiguisés (technique d'intervention professionnelle, lutte trafic d'armes ou de drogues) et des experts issus de la société civile (juristes de haut niveau, le trafic d'êtres humains, etc.). Tous les experts ne sont pas à Agadez. Certains experts montent de Niamey, sur des domaines précis, par exemple sur le trafic d'armes, les drogues, la gestion des ressources humanitaires ou formation des formateurs.

Agadez sur la carte - un point stratégique des routes africaines entre Afrique du Nord et Sahel (crédit : Google)

Entretien réalisé par téléphone le 11 avril

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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