[Entretien] Les Européens doivent prendre l’initiative en matière de désarmement (Pekka Haavisto)
(B2) Le ministre finlandais des Affaires étrangères Pekka Haavisto est un personnage intéressant. Fidèle à la légende des gens du Nord, il n'a pas un mot plus haut que l'autre. Sa parole est douce. Mais quand il critique le refus d'ouvrir les négociations avec les Balkans, le propos est ferme. Idem sur la nécessité de poursuivre l'accord avec l'Iran ou les sanctions contre la Russie. Entretien

Vous avez milité pour le lancement des négociations avec la Macédoine du Nord et l'Albanie qui n'ont finalement pu être lancées en octobre (1). C'est important pour vous ?
Lancer les négociations est un signal politique important. Et cela ne peut être reporté. La négociation prendra du temps ensuite. Mais cela ouvre au pays et à la population la perspective d'être, un jour, membres de l'Union. En Serbie, au Kosovo, au Monténégro, les jeunes sont demandeurs, déjà tournés vers l'Europe. Ce n'est pas le moment de perdre les Balkans maintenant.
Il y a un risque de perdre les Balkans ?
L'Europe a beaucoup fait lorsque la Yougoslavie s'est effondrée. Elle a participé aux efforts visant à réaliser la paix et à la conclusion d'accords. Mais nous avons perdu la perspective de cette région. Or nous risquons davantage de problèmes, encore davantage de conflits si nous ne prenons pas l'intégration de ces pays au sérieux. Il existe un vrai risque de déstabilisation. La situation en Bosnie-Herzégovine (2) nous lance une forme d'avertissement.
De déstabilisation dites-vous ? C'est à dire ?
On peut observer déjà des jeux de pouvoir dans les Balkans. Avec l'arrivée d'investissements chinois. Au Monténégro, par exemple, la Chine investit beaucoup. La Russie s'intéresse aussi aux investissements et aux sociétés en Serbie et ailleurs. Nous prendrions donc vraiment une très mauvaise décision en n'augmentant pas notre engagement envers les Balkans.
Que pensez-vous justement de la proposition d'Emmanuel Macron de revoir les relations avec la Russie. L'heure de lever les sanctions est-il venu ?
Les sanctions ont été décidées du fait de la situation du Donbass et en Crimée. Pour pouvoir lever les sanctions, les Russes doivent faire le job. Toute solution doit être basée sur l'accord de Minsk, pleinement mis en œuvre. Il est important que les pays européens restent unis sur ce point.
... Il n'y a donc pas de nouvel accord de sécurité possible avec Moscou ?
La fin du traité sur les armes nucléaire de portée intermédiaire (FNI) et les menaces sur le traité 'Ciel Ouvert' nous concernent. Cela touche à notre sécurité à venir. Nous avons besoin d'impliquer les superpuissances, la Russie, la Chine. Mais l'Europe doit devenir un acteur plus important sur les restrictions d'armes, en particulier sur le développement des armes nucléaires, qui peuvent devenir des armes tactiques. L'Europe doit avoir un rôle. On doit être une partie prenante de ces accords.
Autre champ de bataille international, comment jaugez-vous le retrait américain de l'accord sur le nucléaire iranien, le JCPOA. Peut-on avoir un autre accord ?
C'est une grosse déception. La reprise de l'enrichissement de l'Iran est condamnable (3), tout comme l'attaque sur les installations pétrolières en Arabie saoudite. Mais nous devons tout faire pour que l'Iran reste engagé dans le dialogue international. Le JCPOA est le seul deal sur la table. Le processus mené par E3 était vraiment de grande valeur. Nous devons donc rester engagés dans ce processus. Nous devons développer Instex [l'entreprise commune mise en place par les E3 pour faciliter le commerce]. Si on n'applique pas cet accord, on n'obtiendra rien de plus.
Dernier point, vous avez été missionné sur le Soudan. Quel est votre sentiment concernant l'évolution dans cette partie de l'Afrique ?
Souvent on perçoit l'Afrique comme source de problèmes. Mais quand on voit les processus politiques entamés, en Éthiopie comme au Soudan, c'est plutôt réjouissant. Le Soudan a franchi des étapes vers la démocratie en particulier, pour les femmes et les nouvelles générations. Et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a beaucoup soutenu cela. C'est positif.
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien réalisé dans la salle de la délégation finlandaise de l'UE au Justus Lipsius, en anglais, en compagnie de quelques journalistes européens
- Lire : Les 28 en désaccord sur l’ouverture de négociations à la Macédoine du Nord et à l’Albanie. On en reparle plus tard
- Lire : Les 28 appellent la Bosnie-Herzégovine à mener les réformes
- Lire : Téhéran enrichit, les Européens regrettent, l’accord sur le nucléaire iranien vacille
Lire aussi : Élargissement : Un rendez-vous manqué de l’Europe avec elle-même (Entretien avec Andrej Plenković)