Sahel : si la France se tourne vers la Russie, elle pourrait trouver une oreille réceptive (Vladimir Chizhov)
(B2 - exclusif) Dans l'interview accordée à B2, l'Ambassadeur russe Vladimir Chizhov a parlé de coopération entre les Européens et son pays dans le domaine du maintien de la paix. Des propos qui méritent d'être placés à part
Parlant des mesures restrictives européennes contre la Russie, Vladimir Chizhov affirme que « les évènements » de la Crimée n'ont « pas été un motif, mais un catalyseur des évolutions négatives qui ont suivies, car nous avions perçu certains signaux négatifs bien avant ». Parmi ces signaux, il cite la coopération en matière de maintien de la paix.
— Nous avons rejoint une opération menée par l'Union européenne dans un pays, appelé le Tchad. C'était sous la présidence française en 2008, du Président Nicolas Sarkozy. Nous avons envoyé un contingent d'hélicoptères, ce qui a été très utile. Mais nous ne pouvions le faire qu'au cas par cas. Car notre Constitution prévoit que tout déploiement de forces armées à l'étranger, même s'il s'agit d'un seul officier, nécessite une décision parlementaire approuvée par le Président. Cela prend du temps. Dans le cadre de l'opération [EUFOR] Tchad, les hélicoptères n'ont pu rejoindre l'opération que lorsque celle-ci battait déjà son plein.
Nous avons donc proposé à l'Union européenne de conclure un accord-cadre qui couvrirait toutes les options possibles, comme la participation de la Russie à une opération dirigée par l'UE, la participation de l'UE à une opération dirigée par la Russie, ou la participation des deux à une opération des Nations unies. Mais l'UE a dit non, arguant qu'elle ne peut travailler que sur la base de l'adhésion de la Russie à une opération dirigée par l'Union. Il faut donc qu'il y ait un drapeau de l'UE en haut. Mais ce n'est pas suffisant pour nous.
Emmanuel Macron a récemment appelé à une sorte de nouvelle architecture pour les intérêts de sécurité entre l'UE et la Russie. Qu'en pensez-vous ?
— Nous avons écouté et l'avons lue avec intérêt. Nous y sommes ouverts. En fait, nous avons entamé des discussions bilatérales avec la France, à Paris et à Moscou. Nous pouvons en discuter aussi avec l'Union européenne, mais, de ce que je comprends, les États membres ne sont pas tous d'accord...
Seriez-vous prêt à travailler avec les Européens sur les terrains où vous êtes déjà présents ? Vous êtes également présents en Libye et en RCA, bientôt au Mali...
— Dans quel sens 'nous sommes présents' ? Nous n'avons pas de troupes en Libye. Nous avons 173 conseillers militaires en République centrafricaine, sur la base d'un accord gouvernemental intérimaire avec ce pays. Et nous travaillons avec la mission de l'UE sur place.
Pas tant que ça, pour ce que j'ai entendu ...
— Peut-être l'UE souhaiterait-elle que nos hommes soient subordonnés à sa mission...
Mais alors, travailler ensemble sur ces terrains est une option ?
— Oui, bien sûr. Nous sommes ouverts.
Même au Sahel ?
— Oui, pourquoi pas. J'ai lu que la France se sent isolée au Sahel ou au Mali... seule, abandonnée par les autres. Si la France se tourne vers la Russie, elle pourrait trouver une oreille réceptive.
(Propos recueillis par Leonor Hubaut)
Entretien réalisé en anglais (et traduit par nos soins) le 28 novembre, en face-à-face dans les locaux de la mission russe auprès de l'UE. Soumis à relecture.
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