Opérations

[Entretien] Comment les missions EUTM vont se redéployer ? Comment la MPCC se prépare au grand saut

(B2 - exclusif) Face à la crise du coronavirus, les missions de formation de l'UE (EUTM) ont été contraintes d'arrêter une bonne partie de leurs activités. Comment va se dérouler le redémarrage ? Le directeur adjoint de la capacité de planification et de conduite militaire de l'UE (MPCC), le général portugais Hermínio Maio, fin connaisseur de la situation pour avoir commandé la mission EUTM en RCA, répond à nos questions

Herminio Maio lors d'une de ses dernières visites sur le terrain, en RCA, en janvier dernier (crédit : EUTM RCA)

La crise du coronavirus et les missions EUTM

La crise du coronavirus a eu de forts impacts sur les missions...

— Oui. C'est vrai. Nous avons dû suspendre les activités d'entrainement et de formation. Ce sont des activités où les contacts et une proximité avec les troupes locales sont nécessaires. Ce qui a impliqué une réduction des effectifs de façon substantielle. Mais nous avons tenu à maintenir à un certain niveau l'activité de conseil de ces missions. C'est important pour maintenir la liaison avec les autorités locales et les militaires, et pouvoir retourner aussi vite que possible à la situation antérieure. Nous avons gardé aussi une bonne partie des activités essentielles (protection de force, soutien vie et soutien médical).

Vous parlez de réduction d'effectifs, de combien ?

— En Somalie (Mogadiscio), nous avons réduit de 30% les effectifs. A Bangui (Centrafrique), de 45%. Au Mali (Bamako et Koulikoro), de 48%. Nous avons également limité les rotations du personnel au personnel essentiel, en supprimant les périodes de congés. Cela a permis de maintenir un minimum d'effectif sur place. Aujourd'hui il reste toujours 120 militaires européens en Somalie, 130 en RCA et 350 au Mali.

Sur quels critères allez-vous décider de reprendre l'activité ?

— Nous devons faire une évaluation complète, pour bien comprendre l 'évolution de la pandémie en Afrique, de façon à s'engager dans des plans de redéploiement. Pour cela, nous avons mis en place plusieurs benchmarks (indicateurs) sur le terrain. Ils sont de cinq sortes essentiellement : 1) la situation épidémiologique (NB : nombre de cas, mortalité, etc.), 2) les conditions de mobilité interne et externe (ouverture ou non des aéroports, état des liaisons internes) ; 3) la situation socio-économique (couvre-feu, manifestations) ; 4) la sécurité ; 5) la situation en Europe et la disponibilité des pays contributeurs à revenir rapidement. Tous ces indicateurs, une fois évalués, permettront au directeur de la MPCC (Capacité militaire de planification et de conduite) (1) de proposer une date pour le redéploiement.

À quelle date les missions pourraient-elles reprendre ?

— S'engager avec une date est risqué. Nous devons être crédibles dans la relance de l'activité. C'est une décision très importante. Nous devons avoir une bonne base pour le faire. Nous ne pouvons pas risquer une faille dans ces missions. Il faut bien analyser toutes ces situations avant de donner le feu vert. Et, pour l'instant, force est de reconnaitre que nous n'avons pas de perspective très claire de l'évolution de la pandémie dans ces pays (2). Cette décision doit de plus être consensuelle avec un engagement coordonné des États membres, des pays contributeurs et des pays accueillants (3). Le tout est une mécanique assez complexe.

Une fois cette décision prise, combien de temps faudra-t-il pour revenir sur le terrain ?

— Nous estimons avoir besoin de trois mois environ pour revenir à la pleine situation antérieure. Il faut monitorer la situation, préparer les troupes (la plupart des troupes qui étaient sur place ont été rapatriées et ont terminé leur mission) et ensuite les insérer dans la mission. Tout cela va être fait progressivement. Il faut prendre en considération que nous devons préserver la sécurité sanitaire de nos troupes comme celle de nos partenaires.

La MPCC installée sur ses bases

C'est ici, à la MPCC (4), la nouvelle structure de conduite et commandement de l'UE au sein de l'état-major, que sont désormais prises la plupart des décisions opérationnelles. Comment cela se passe-t-il ?

— Nous avons pris nos marques pour les missions non exécutives (NB : de formation). Ces dernières semaines la MPCC a assuré les différentes orientations face à la crise du Covid-19, les divers plans d'adaptation des missions EUTM. Nous avons planifié les évacuations stratégiques de personnel, environ 500 personnes. Et maintenant, nous préparons les plans de redéploiement. Toute la planification de la nouvelle mission, en particulier le nouveau format d'EUTM Mali (lire : En route vers une EUTM Mali II en attendant une EUTM Burkina ou une EUTM Sahel) a été planifié ici, à MPCC.

D'autres développements sont à attendre d'ici la fin de l'année  ?

— Oui. La MPCC devra pouvoir planifier et conduire une mission exécutive de la taille d'un battlegroup (lire : Le QG militaire de l’UE (MPCC) va se renforcer et devenir un peu plus autonome). Cela fait partie de l'exercice Integrated resolve, exercice multilatéral à différents niveaux (politique et militaire), qui se déroulera à la fin de l'année, pour évaluer la capacité de la MPCC pour planifier et conduire toutes ses missions. En même temps, il y aura une révision stratégique [au niveau politique] pour définir les phases ultérieures de la MPCC [NB : jusqu'à 2025] (4).

Disposez-vous des effectifs demandés ?

— Pas encore tout à fait. Mais nous avons déjà une bonne base. L'objectif à terme est d'avoir 60 personnes en permanence (45 selon l'objectif accordé) et 90 de renfort (avec un engagement précis des États membres pour les fournir). Soit 150 personnels en tout.

Comment se passe cette montée en puissance ?

— Nous avions tout planifié pour le renforcement de la MPCC : la documentation, les infrastructures, les communications sécurisées, etc. pour le core staff (effectif permanent), comme la capacité de monter en puissance (les renforts). Mais la situation du Covid-19 a beaucoup changé la donne. Ceux qui était prévus début mars ne commenceront à arriver que début juin ou juillet. Il reste peu de temps.

(propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le directeur de l'état-major de l'UE actuel est le Finlandais Esa Pulkkinen. Il sera relayé par le Français Hervé Bléjean à compter du 30 juin.
  2. Outre un certain manque de fiabilité des statistiques, il y a un effet 'retard' de la pandémie en Afrique. La transmission du virus semble plus lente selon l'OMS et le pic pas encore atteint dans la plupart des pays. Au Mali, la situation augmente tous les jours. Plusieurs dizaines de casques bleus sont atteints au sein de la Minusma (deux sont décédés récemment). La situation est similaire à Bangui où plusieurs cas de Covid-19 ont été détectés au sein de la Minusca, des forces locales et même du gouvernement.
  3. Certains pays ont mis en place des mesures draconiennes. La RCA avait demandé aux Européens de suspendre leur activité. Outre une période de préquarantaine en Europe et des tests en Europe, le gouvernement centrafricain impose une quarantaine de 21 jours à l'arrivée sur place. Ce qui limite d'autant la réactivité.
  4. Lire aussi sur la MPCC :

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.