[Entretien] Mozambique. Réflexion lancée pour une EUTM. Il faut agir vite avant d’avoir un État islamique en Afrique centrale (Santos Silva, Portugal)
(B2 - exclusif) Sous pression de la montée en force des groupes terroristes dans le nord du pays, c'est vers l'Union européenne que le Mozambique se tourne. Le ministre portugais des Affaires étrangères, Augusto Santos Silva, revient de Maputo. Il insiste sur l'importance d'aller vite
Le Mozambique, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a envoyé, le 16 septembre 2020, une lettre au Haut représentant de l'UE, Josep Borrell, décrivant la situation dans la région de Cabo Delgado. Après trois ans d'insurrection et l'augmentation de la menace terroriste, le gouvernement de Maputo souhaite un soutien européen. Demande qui a rapidement reçu une réponse positive des Européens (lire : L’Union européenne prête à former les forces armées du Mozambique). Le Portugal, pour qui le Mozambique est une ancienne colonie, est particulièrement en avant sur ce dossier. C'est à son ministre des Affaires étrangères, Augusto Santos Silva, que Josep Borrell a demandé d'aller à Maputo pour une visite au nom de l'Union.
En décembre, l'Union européenne a répondu positivement à la demande de soutien envoyée par le Mozambique. Quelle est la situation ?
En premier lieu, la situation est difficile sur le plan humanitaire. Avec 600.000 personnes déplacées qui ont dû fuir, abandonner leurs villages et propriétés pour éviter d'être tuées, massacrées, décapitées, ce sont en tout 3000 civils qui sont morts. Il y a un groupe d’insurgés avec plusieurs liaisons, dont une fondamentale avec le réseau de terreur islamiste, africain et peut être aussi du Moyen-Orient, qui se revendique d’un projet d’établir un État islamique en Afrique centrale. Enfin, certaines infrastructures de transport sont menacées. Par exemple, un port est occupé depuis août par des insurgés. Cette menace pèse sur un des principaux atouts du Mozambique aujourd’hui : le gaz et son "méga projet" 'Mozambique LNP' (1).
Vous étiez à Maputo la semaine dernière, en représentation du Haut représentant de l'Union. Quelles demandes et besoins sont formulés par les autorités mozambicaines ?
D’abord, un appui en termes de formation et d'entrainement des forces spéciales dans les forces armées mozambicaines. C’est vraiment la demande la plus importante. Heureusement, le Mozambique est en paix depuis 1992. Mais l'expérience militaire des soldats n'est pas si consolidée. Ils ont aussi demandé un appui logistique, en termes de santé et d’équipements.
Comment l'Union envisage d'y répondre ?
Pour l’UE, le triple nexus (entre aide humanitaire, aide au développement et sécurité) est très important. Nous avons déjà des projets en cours dans le Nord du Mozambique en terme d’aide humanitaire, pour une valeur de 7,5 millions €. Le Nord du pays est défini comme la première priorité pour la grande région 'Afrique australe et Océan indien'. Nous avons aussi d'importants projets d'aide au développement en cours (pour 25 millions €) et un nouveau projet doit bientôt commencer dans la province de Cabo Delgado dans la formation de 800 jeunes pour travailler dans le secteur du gaz. La dimension sécuritaire est donc aujourd'hui la plus faible de la coopération européenne avec le Mozambique. C’est celle qui doit augmenter. Avec probablement une mission de formation militaire, une mission non exécutive. Il est clair pour l'Union et le Mozambique qu'il ne s'agit pas d'avoir des troupes sur le terrain.
C'est une mission de type EUTM qui est envisagée ?
Peut-être. Ce n'est pas décidé. Le processus est complexe comme nous le savons. Le travail technique entre experts européens et mozambicains a commencé. Dans les semaines prochaines, nous achèverons le cadre politique (PFCA) (2) que l'on doit approuver afin que les ministres de la Défense et les ambassadeurs du COPS puissent travailler sur des tâches concrètes.
Avez-vous l'impression qu'il y a une volonté de l'ensemble des 27 sur ce sujet ?
Oui. La mission politique que j'ai conduite la semaine dernière était la concrétisation, au niveau politique, de la réponse positive de l'Union à la demande de soutien du Mozambique. J'ai présenté les résultats de cette mission au Conseil des Affaires étrangères lundi (25.01) et je crois que mes collègues les ont très bien reçus.
Qu'est-ce qui justifie une mission européenne ?
Au nord du Mozambique, l'Union européenne peut s'engager. Il n’y a pas de calcul précis du nombre d’insurgés au Nord du Mozambique, mais les estimations les plus crédibles signalent moins de 2000 personnes. Il faut intervenir, appuyer les autorités mozambicaines et travailler avec les acteurs de la région, dont la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), avant que le problème ne prenne une autre dimension... Il est de notre intérêt d’éviter la contamination régionale des réseaux terroristes et des liaisons de ses réseaux avec toutes sortes de trafics. Je pense que l’action européenne peut produire des résultats. La situation au Mozambique peut se résoudre si notre intervention se fait aussitôt que possible.
Quelles sont les estimations des effectifs qui devraient être formés ? De combien de formateurs européens parle-t-on ? Seront-ils localisés à Maputo ou dans le nord ?
Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Il faut voir avec les Mozambicains quelles sont les formes concrètes qui permettront de traduire leurs priorités sur le terrain. Il faut avancer sur le travail technique pour envisager un calendrier, les dimensions de la mission, les modalités… Il faut répondre soigneusement aux questions concrètes qui se posent : quelle serait la responsabilité de l'Union européenne, comment s’articule-t-elle avec la responsabilité africaine, comment travailler avec le Mozambique, comment engager les formateurs, comment articuler cela avec le volet humanitaire et développement, comment traiter les questions des droits humains ?
Êtes-vous confiants sur la capacité des 27 à aller assez vite ?
Il faut discuter du cadre politique général, que les ambassadeurs du Comité politique et de sécurité (COPS) travaille, que le service diplomatique européen (SEAE) prépare les documents. Je sais qu’il y travaille déjà. C’est un processus complexe et long. Il faut essayer de le comprimer, car le timing est essentiel. Il y a des formes d'appui qu'on peut faire aussi tôt que possible. Je compte sur la conscience des États membres au sujet de la complexité et de l’urgence pour le Mozambique. Je compte aussi sur le Parlement européen. Il faut accélérer le mouvement.
Un accord avant la fin de votre présidence est envisageable ?
J’espère des progrès pendant la présidence portugaise. Mais je resterai ministre après et continuerai de pousser pour au sein du conseil des Affaires étrangères.
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde et Leonor Hubaut)
Entretien réalisé en face à face, en français, jeudi 26.01, à Bruxelles dans toutes les règles de précaution sanitaire
- L’immense projet gazier, lancé en 2019 avec un budget de plus de 23 milliards € et piloté par le groupe français Total, doit faire du Mozambique l’un des principaux exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié. Mais l’insécurité met à mal ce projet ambitieux principalement implanté dans la province de Cabo Delgado.
- Le Political Framework for Crisis Approach est la première étape obligatoire d'une mission PSDC permettant d'envisager toutes les options nécessaires à la résolution de crise (lire notre fiche : La planification d’une opération ou mission de la PSDC).