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[Reportage] Eulex Kosovo 5. La qualité des prisons du Kosovo réputée l’une des meilleures des Balkans

(B2 à Pristina) Formations, monitoring et accompagnement, voilà le quotidien de l’Unité correctionnelle de la mission européenne pour l’État de droit au Kosovo. Objectif : aider les autorités kosovares à bâtir les meilleures prisons possibles

L'unité correctionnelle de la mission organise des ateliers sur la gestion des prisonniers souffrant de problèmes de santé mentale. Ici, pour huit agents correctionnels du centre correctionnel de Dubrava (crédit : EULEX Kosovo)

Ritva Hannele Vahakoski travaille dans les services correctionnels depuis 1984. Cette expérience permet à la Finlandaise d’avoir « une large perspective » de ce monde à part. Depuis 2019, elle dirige l’unité correctionnelle de la mission de l'UE pour l’État de droit au Kosovo. 

Une unité singulière

Cette unité créée dès le début de la mission en 2008 est unique. « Elle n’existe dans aucune autre mission européenne » précise Ritva Hannele Vahakoski. D'autres disposent bien d’experts, « mais pas d’une unité à part entière, capable de travailler plus sur le terrain, de conseiller (advisory) et de contrôler (monitoring) », avec des experts dans différents domaines : service correctionnel, probation, sécurité, travail des prisonniers, réhabilitation... 12 personnes composent l’unité.

Le motto : 'monitor, mentor, advise' (MMA)

À la prison de Dubrava, à Istok, au nord-ouest du Kosovo, comme dans les autres prisons du pays, la mission s'implique partout. Cela passe de la sécurité à l’unité économique, en passant par l’escorte de prisonniers de haut rang (high-profile) et les procédures de marchés publics (procurement). Le but est d'aider les autorités à bâtir un système durable.

La qualité des prisons s'améliore

Le Kosovo possède déjà « l'une des meilleures qualité en matière de service correctionnel dans les Balkans », assure Ritva Hannele Vahakoski. « Des progrès ont été réalisés, l’atteinte des standards européens est en bonne voie », se réjouit-elle. Ici la surpopulation carcérale « n’est pas un problème », comme elle peut l'être dans différents pays européens. Le Kosovo compte 1510 prisonniers, avec une capacité d'accueil de 2552 (au 5 mars 2021). C’est notamment ce qui a « aidé à garder le coronavirus hors des murs de la prison », car « il y a avait de la place pour faire des quarantaines ».

... voire dépasse certains standards européens

Des bâtiments sont en cours de rénovation à la prison de Dubrava à Istok, la plus grande du pays. À tel point que la qualité des prisons s'avère ici de « meilleure qualité que dans d’autres endroits en Europe », témoigne la Finlandaise, elle-même impressionnée.

Des projets ciblés, comme pour la prévention du suicide

La mission s'attache à accompagner la réflexion des acteurs locaux en leur faisant découvrir d'autres systèmes correctionnels et en les doublant de formation pour, qu'à terme, les kosovars puissent devenir autonomes, car la mission « ne sera pas là pour toujours », appuie la Finlandaise. 

Les Kosovars ont notamment demandé une formation pour réagir aux cas de suicide et tentatives de suicide. L'unité correctionnelle, avec le soutien de l'unité médicale (lire : [Eulex Kosovo 3] Une unité médicale parée pour les formations jusqu’aux interventions d’urgence), « a fourni son expertise pour la rédaction d'un plan d'urgence pour les cas de suicide et d'automutilation dans tous les établissements ». Sur cette base, l'unité correctionnelle a organisé des cours de formation pour le personnel identifié comme futurs formateurs, qui à leur tour ont formé d'autres membres du personnel des services correctionnels kosovars (KCS). L'unité correctionnelle continue d'assister à ces sessions, au cas où il y aurait besoin de clarifications précise la cheffe d'unité. « Jusqu'à présent, 120 agents correctionnels ont été formés », rapporte-elle.

Des formations médicales essentielles

Ces deux unités ont également organisé des formations médicales pour 552 des 800 membres du personnel du KCS, de soins de premiers secours dans les situations d'urgence notamment, ainsi que pour la mise en œuvre du protocole du Conseil européen de réanimation pour les soins de base.

Pour aller plus loin, la mission a commencé à étudier comment « soutenir le personnel des KSC avec un programme "Formation des formateurs" » (train the trainers), annonce Ritva Hannele Vahakoski. « S'il est approuvé, la formation sera axée sur les premiers secours et la réanimation cardio-respiratoire (RCR) pour les agents pénitentiaires ».

Un appui technique et logistique... 

À côté des formations, EULEX a mené d'autres projets. La mission a par exemple aidé à la création d'une base de données recensant les données personnelles et les évaluations de détenus. Elle a aussi fait des dons d’ordinateurs, pour permettre aux détenus de garder contact avec leurs proches malgré les contraintes liées au Covid-19.

... mais aussi éducatif pour l'insertion de détenus

La mission travaille avec la MINUK, la mission des Nations Unies, sur un programme de boulangerie éducative. La MINUK construira une boulangerie de production dans le centre correctionnel de Lipjan, exclusivement dédié aux femmes et aux jeunes. EULEX est en charge du programme éducatif. Cet été, le troisième étape sera la construction d'une boulangerie à l'extérieur de la prison, avec d'anciens détenus comme employés, en coopération avec une ONG. Comme l'explique notre interlocutrice, « l'objectif est à la fois économique et éducatif  ». Car il doit aider le personnel des services correctionnels kosovars à « prévoir des activités de réhabilitation et de réinsertion en mettant l'accent sur les femmes et les jeunes en tant que groupes les plus vulnérables ».

Priorité : les prisonniers malades mentalement

Des problèmes subsistent. Ritva Hannele Vahakoski en est consciente. Et s'il y a maintenant un sujet « hautement nécessaire » à traiter, c'est celui des troubles mentaux dont souffrent les détenus. Plus spécifiquement la mission a prévu en 2021 d'avoir « des formations dans toutes les facilités correctionnelles » pour les membres du personnel ainsi qu'au service de psychiatrie légale du centre clinique universitaire du Kosovo et au centre d'évaluation du centre de détention de Pristina. Les workshop (ateliers de travail) ont déjà débuté (1). D’ici la mi-juin, environ 240 personnes devraient avoir bénéficié de cette formation, selon la cheffe d'unité. Autre pathologie à prendre en compte : l’alcoolisme, « un nouveau problème qui date des dix dernières années ».

(Aurélie Pugnet, envoyée spéciale à Pristina)

  1. Lire le communiqué

Atelier de la déradicalisation en prison ?

En avril 2019, le Kosovo a rapatrié 110 personnes soupçonnées d’être impliquées dans l’organisation terroriste de l’état islamique au Levant. La radicalisation est donc un sujet. Cependant, dans le système correctionnel kosovar, « on ne sait pas encore comment aborder le problème », réalise Ritva Hannele Vahakoski. « Il n’y a pas de programme miracle à mettre en place, parce que l’on n’a pas de réponse au niveau international ». Simplement, « il existe différents outils que l’on peut utiliser pour traiter avec les détenus qui ont des problèmes pour soutenir un chemin sans radicalisation, comme l’approche motivationnelle en entretien. C’est de là qu’il faut partir », recommande la Finlandaise. Au Kosovo, les détenus radicalisés sont placés en prison à sécurité normale ou maximale, parfois ensemble, parfois séparés, il n'y a pas de choix unique, témoigne la cheffe d’unité. Cela étant dit, à ce jour, « seul un détenu a été condamné sur des charges de terrorisme », fait-elle remarquer.

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