(B2 à Pristina) Nichée dans quelques bureaux de EULEX, se trouve une petite unité de trois personnes à peine. Objectif : faciliter les échanges d'informations entre les différentes autorités policières. Des questions de haute sensibilité politique...
Ylva Carlsson, Desk Officer et Vinicio Ceola, chef de l'unité 'International Police Cooperation' au QG de EULEX à Pristina (Photo : AP/B2)
Article corrigé à 15:00 le 10.03.21, dont sur Europol, sur la coopération avec l'Espagne
Les échanges d'informations policières avec la Serbie florissent
Depuis 2018, les échanges d'informations policières continuent d'augmenter, selon les chiffres de la mission de l'Union européenne pour l'état de droit au Kosovo. Cette tendance s'applique aussi (et surtout) dans les échanges Serbie-Kosovo, et Kosovo-Europol (*).
Alors qu'en 2018, l'échange d'informations passait surtout par Interpol, les demandes via cet intermédiaire ont un peu augmenté, passant de moins de 868 demandes au Kosovo et 849 sortant, à 880 dans les deux sens en 2020. Le canal avec la Serbie a vu les requêtes, venant des deux côtés, tripler en deux ans. D'à peine 101 demandes entrant et 107 en sortant en 2018 à, en 2020, 348 demandes entrant et 354 sortant. Cette tendance ne va pas s'arrêter de sitôt, assure Vinicio Ceola, chef de l'unité pour les échanges d'informations de police : « Les échanges avec la Serbie augmentent, augmentent et continuent d'augmenter. Nous commençons l'année 2021 et nous avons déjà eu beaucoup de messages ».
Il en va de même avec les requêtes passant par Europol étaient autour de 120 requêtes par an en 2018, contre 340 en 2020.
Comment cela fonctionne ?
Pour faire ce travail, au sein de EULEX se trouvent l'IPCU(International police cooperation unit) et l'unité nationale suédoise auprès d'Europol. Ce sont eux qui viennent à la rescousse du Kosovo quand il s'agit d'échanger des informations de police.
Une petite équipe
Chacun un rôle bien défini. L'IPCU fait le lien avec Interpol et les Serbes mais laisse la main aux Suédois pour traiter avec Europol. Ils sont donc trois dans l'équipe : deux desk officer pour l'IPCU, une personne dédiée à Europol — Ylva Carlsson —, plus un chef d'équipe, incarné par Vinicio Ceola.
Des accords avec tous les partenaires importants
Pour mettre cela en marche, EULEX a signé des accords avec différentes institutions :
Interpol, au travers de la MINUK (la mission des Nations Unies au Kosovo) qui héberge le bureau de liaison d'Interpol au Kosovo ;
Europol, à travers le bureau suédois d'Europol au Kosovo ;
La police du Kosovo (KP), en particulier avec l'ILECU (International law enforcement coordination unit) ;
Le ministère de l'Intérieur de Serbie.
Des échanges dans les deux sens
Quand la police du Kosovo a besoin d'une information, c'est eux qui choisissent par quel canal passer pour envoyer une demande : Europol, Interpol, Serbie... Ces derniers aussi peuvent demander des informations au Kosovo. L'unité de coordination de EULEX (IPCU) n'est en aucun cas un 'hub' d'information, ou un fournisseur, mais un lien entre différents interlocuteurs.
Pristina n'est pas obligé de passer par EULEX pour faire ces demandes d'informations auprès de chaque pays. Le Kosovo peut opérer de manière bilatérale, comme d'autres. S'il le désire, il choisira entre Interpol, Europol ou la Serbie.
Avec des priorités définies
De même, en faisant une demande, l'institution demandeuse de l'information choisit la priorité de la demande (urgent, normal, non urgent...) — par exemple si une personne est déjà en détention, et qu'il faut réagir immédiatement, ce sera une demande "flash".
Le pays propriétaire de l'information peut refuser de la donner au Kosovo
La classification (confidentiel, secret....) est, elle, décidée par la personne qui possède l'information. Il peut arriver que le Kosovo demande une information, par exemple à l'Italie, qui mène une enquête sur les mêmes personnes. Les Italiens ont trois options : partager l'information avec EULEX mais pas avec la police kosovare, ne pas partager du tout, ou alors partager, explique Vinicio Ceola. « C'est courant qu'un pays veuille partager une information avec les cinq pays qui sont mentionnés dans le message uniquement », rajoute Ylva Carlsson, « c'est au propriétaire de l'information de décider avec qui il la partage ». Vinicio Ceola précise : « Ils n'ont pas à se justifier. Juste dire "nous ne répondons pas à cela, point". »
Cela étant dit, « EULEX ne décide pas. Nous sommes neutres. Mais nous devons bien sûr vérifier et nous assurer qu'il est possible de transmettre le message », tient à rappeler le chef de l'unité.
Première possibilité : via Interpol (l'organisation internationale)
Des pouvoirs hérités de la MINUK
Après la guerre, la mission des Nations unies (MINUK) a reçu un mandat exécutif pour bâtir les institutions du Kosovo. À l'époque étant donné la « nécessité » d'établir une connexion, Interpol et la MINUK ont signé un protocole d'accord (MoU).
Une nécessité pour EULEX
En février 2008, lorsque EULEX a pris les pouvoirs exécutifs de la MINUK, il s'est passé la même chose, raconte Vinicio Ceola, étant donné que le Kosovo n'a pas obtenu l'adhésion à Interpol — qui reste une question politique (1) — et que la mission enquêtait, le besoin de partager des informations était « très élevé ». Un accord a donc été signé en décembre 2008 entre EULEX et Interpol par le biais de la MINUK, qui agit en tant que centre national d'Interpol au Kosovo.
Un accès direct aux centres nationaux
La MINUK a donné un accès direct au système d'Interpol, donc l'IPCU peut envoyer les demandes d'informations et être en contact direct avec les centres nationaux, que ce soient les États-Unis, la Turquie... La MINUK en est informée, car la base de données est mise à jour.
Deuxième possibilité : La coopération policière européenne (Europol)
En passant par les Suédois
Les Kosovars peuvent également utiliser le canal d'Europol. Pour communiquer, la police du Kosovo et Europol passent par le bureau national (national unit) de la Suède présent à Pristina, qui a la connexion sécurisée utilisée par Europol (SIENA, Secure Information Exchange Network Application) pour le faire.
En termes pratiques, le bureau suédois incarné par Ylva Carlsson reçoit les messages et vérifie les demandes — parce que toutes les informations ne peuvent pas être échangées. Une fois le message approuvé, le bureau suédois envoie le message à l'IPCU qui le transfère aux Kosovars. Et inversement.
Un working arrangement avec Europol
À l'été 2020, le Kosovo et Europol ont signé un working arrangement (2). Cela offre aux Kosovars la possibilité d'avoir une sorte de bureau aux Pays-Bas, pays siège de Europol. Cela est « très important », assure Vinicio Ceola, car parfois, « en cas de problèmes, ils peuvent régler ça là-bas, sans avoir à passer par les canaux diplomatiques ».
Il y a une différence entre les agreement et arrangement. Alors qu'un working agreement donne un accès complet à Europol, un working arrangement est le « premier pas » vers un futur agreement, donc vers une autorisation de travail complète avec Europol.
EULEX « est toujours important pour échanger des informations », car quand une unité nationale d'Allemagne a besoin d'une information de la police kosovare ils l'envoient à EULEX, explique Vinicio Ceola, qui précise que l'impact de cet arrangement est pour l'instant « très limité ».
Troisième possibilité : Directement avec la Serbie
Un protocole signé...
Pour que la police du Kosovo et la Serbie puissent échanger des informations policières, EULEX a signé un protocole sur la coopération policière avec le ministère de l'Intérieur de la Serbie en 2009. Si la Serbie a besoin d'informations du Kosovo, elle envoie une demande à l'IPCU qui vérifie que sa conformité avant de la passer à la police du Kosovo. Et inversement. « Ils ne peuvent pas demander n'importe quoi, par exemple rien sur les procédures civiles, où nous refusons de répondre », explique Vinicio Ceola. Par contre, la Serbie peut demander des documents, comme les casiers judiciaires, les passeports, des anciens permis de conduire...
... qui marche bien
Entre les deux pays, « ça fonctionne bien, personne ne se plaint », assure le Team leader. Ce système est important, car le Kosovo n'est pas reconnu par la Serbie, qui refusera d'échanger directement des informations.
En pratique
(crédit : EULEX Kosovo)
Mettons que le Kosovo a besoin d'une information venant de l'Espagne. L'Unité de la police kosovare (ILECU) décide par quel canal demander l'information. Par exemple, à Interpol, donc EULEX examine et envoie la demande à Interpol Espagne. Normalement, ils répondent, assure Vinicio Ceola. Seulement, « s'il s'agit d'une affaire sensible — impliquant des politiques, des crimes de guerre, parce que l'enquête est en cours ou autre — , l'Espagne peut ne pas répondre. Car il appartient alors au pays destinataire de répondre ou non ». Dans cet exemple, l'Espagne, qui n'a pas reconnu le Kosovo comme État souverain, « répond et coopère pour les questions de police », assure Vinicio Ceola. La police du Kosovo peut aussi choisir de passer par Europol, donc par le bureau Suédois, qui entre en contact avec les Espagnols.