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[Entretien] La Russie n’est pas une menace, c’est une réalité ! Mais la Suède n’entend pas changer de doctrine et adhérer à l’OTAN (Peter Hultqvist, Suède)

(B2 - exclusif) La situation au Sahel et l'engagement dans Takuba. La dégradation sécuritaire et le positionnement de la défense suédoise suédoise. La menace russe et l'adhésion à l'OTAN, sans oublier le programme Tempest... Le ministre suédois de la Défense, Peter Hultqvist, répond, en détail, aux questions de B2

Le ministre de la Défense Peter Hultqvist à une réunion de la Coalition pour le Sahel le 10 mars (crédit : MoD Suède)

NDLR : Nous étions venus pour parler engagement suédois au Sahel, du renforcement de la défense suédois et des autres menaces, notamment russes... Très vite, à ce moment-là, la conversation a pris une autre tournure, le ministre s'est animé, a réagi. 'Non la Russie n'est pas une menace, mais une réalité'. Et il a approfondi ce sujet. Au point que notre interrogation de départ, pourtant importante, a paru devenir secondaire...

Des Suédois au Mali

Les forces spéciales suédoises arrivent dans la task-force Takuba. Pourquoi cet engagement en Afrique si loin du Nord de l'Europe ?

Nous pensons que la lutte contre les terroristes internationaux est très importante. Si nous ne faisons rien en Afrique — dans cette partie de l'Afrique notamment —, il y a un grand risque que ces terroristes aillent en Europe... donc en Suède. Il est donc intéressant d'équilibrer d'une certaine manière la situation au Sahel et au Mali. Durant cinq ans où les Suédois ont été impliqués dans la MINUSMA, nous avons vu que l'opération Barkhane est très importante en complément de la mission des Nations unies. Et la task-force Takuba est un complément à Barkhane, avec également un impact direct sur le fonctionnement de la MINUSMA. Nous prenons cela au sérieux. Nous avons donc engagé environ 150 forces spéciales et des hélicoptères qui vont rester pour un mandat de 12 mois. [NDLR : ils serviront notamment de Quick reaction force pour Takuba, en cas d'incident ou d'évacuation médicale]

... ils seront pleinement opérationnels [FOC] quand ?

Très bientôt. Avant la fin mars. Nous pouvons dire qu'ils sont opérationnels. Il n'ya pas d'hésitation à ce sujet. Je pense que l'on se trouve entre 90 et 100% opérationnels. Nous sommes à la fin de l'établissement des troupes.

Pourquoi ne faites-vous pas de formation avec les Maliens, comme les Estoniens ?

Il y a eu une préférence du côté des Français de rechercher différentes compétences. Nous fournissons les compétences dont nous avons convenu avec la France et l'équipe opérationnelle de Takuba. À côté, nous participons à la mission de formation de l'Union européenne (EUTM Mali). Donc nous formons en profondeur les forces maliennes.

Les pays européens doivent-ils s'impliquer davantage au Sahel ?

J'espère que de beaucoup de pays participeront à l'opération. C'est nécessaire. Je pense qu'il y a un besoin de davantage de soutien de la part des autres en pratique.

Comptez-vous impliquer la Suède dans d'autres missions en Afrique ?

Sur le continent africain, nous avons le plus haut niveau d'ambition. Mais il n'y a pas de projet de nouvel engagement pour l'instant.

La Défense suédoise

Vous êtes ministre de la Défense depuis 2014. Un des plus anciens en poste en Europe ! Le monde vous semble-t-il plus dangereux aujourd'hui qu'hier ?

Nous avons plus de nationalistes, davantage d'activités de désinformation, de cyberactivités. La Russie divise différents pays en Europe. Il est très important d'opérer ensemble entre les pays en Europe, entre les membres de l'Union européenne. Il y a un besoin d'équilibrer l'équation militaire que nous avons en Europe envers la Russie. Les sanctions que nous avons prises contre la Russie, en raison de la situation en Ukraine et en Crimée, sont importantes. Nous avons également besoin d'avoir des États-Unis forts. Nous avons également cette tension générale du monde qui oscille entre une voie plus autoritaire ou le développement de manière démocratique. Il y a donc plusieurs déséquilibres à gérer. Et c'est un défi énorme.

La situation s'est détériorée depuis ?

Bien sûr. La situation sécuritaire au cœur de l'Europe s'est détériorée depuis 2008 avec la Géorgie d'abord. Puis il y a eu l'annexion de la Crimée en 2014 et la guerre dans l'est de l'Ukraine. Et, maintenant, nous avons, du côté de la Biélorussie, une sorte d'instabilité relative. Dans le même temps, la capacité militaire, côté russe, s'est accrue, avec des activités en mer Baltique. Mais aussi dans la région Arctique et dans l'océan Atlantique. Il y a donc, en matière de sécurité, un nouvel environnement défavorable.

....l'environnement défavorable, vous le sentez tout proche ?

Dans la région de Mourmansk [NDLR : près de la frontière finno-norvégienne, non loin du Nord de la Suède], la Russie a une très grande base navale. Elle opère dans la région arctique, dans l'Atlantique Nord et le long de la Grande-Bretagne. Les Russes agissent ainsi activement pour pouvoir couper le lien entre les États-Unis et l'Europe.

Vous avez donc décidé d'augmenter votre budget ?

Effectivement. Nous avons décidé, en décembre de l'année dernière, une augmentation de 40% de notre budget de défense, jusqu'en 2025, avec davantage de conscrits, de nouveaux équipements. À la fin de ce processus, nous aurons un haut niveau de capacité dans l'armée de l'air, dans la marine et nous augmenterons le niveau contre tout scénario de conflit. Et en même temps, nous approfondissons la coopération avec d'autres pays dans notre voisinage et avec les États-Unis. La France est aussi un partenaire important.

Vous parlez de la coopération avec le voisinage. Où en êtes-vous de la coopération avec les Nordiques ?

Nous avons développé une planification opérationnelle avec la Finlande en temps de paix, de conflit et de guerre. C'est un résultat très concret. Il y a un partage d'informations et la communication directe. Nous avons des exercices avec tous les partenaires. Nous allons avoir une planification coordonnée entre la Suède, la Norvège, le Danemark, ainsi qu'avec l'OTAN, le Royaume-Uni et les États-Unis. Nous prenons de nombreuses mesures pour rendre l'Europe plus sûre.

La menace russe et l'OTAN

Pour vous, la Russie est donc la principale menace à laquelle la Suède se prépare ?

Je n'ai jamais parlé de menace. J'ai parlé de réalité. La réalité, c'est ce qui se passe vraiment dans la vraie vie. C'est 2008 [et la Géorgie]. C'est 2014 et l'annexion de la Crimée. C'est la guerre dans l'Est de l'Ukraine. C'est la situation déséquilibrée en Biélorussie. Ce sont beaucoup d'exercices ou d'opérations dans notre voisinage. Ce sont des choses qui se sont passées ou se passent. Nous devons en tirer des conclusions. Quand il s'agit de voir les exercices et la façon dont les Russes utilisent les capacités militaires pour atteindre des objectifs politiques, je ne spécule pas.

Pourtant, la Suède n'est pas dans l'OTAN. Alors que l'opinion publique semble évoluer. Le Parlement suédois vient même de voter une option-OTAN. N'est-il pas temps de changer de position ?

L'opinion publique en Suède est une chose. Le Parlement en est une autre. Le Parlement n'a pas dit que nous devrions rejoindre l'OTAN. Ils ont dit que nous devrions avoir une 'option OTAN'. Au gouvernement, nous défendons tous les alignements militaires. Nous ne sommes pas intéressés à changer la doctrine de sécurité suédoise. Construire la sécurité avec d'autres pays est quelque chose d'impossible. Chaque pays a sa propre histoire et sa propre position dans ce domaine. Il y a aussi le risque d'ouvrir la porte à des choses que vous ne voulez pas. La coopération et une amélioration de la capacité militaire suédoise sont les deux piliers de la façon la plus sûre de gérer la nouvelle situation dans notre partie de l'Europe. Nous ne voulons pas changer la doctrine de sécurité de la Suède.

... Permettez-moi d'insister. N'est-ce pas un peu contradictoire. Être menacé par la Russie et ne pas rejoindre l'OTAN ?

Nous avons un programme de coopération profonde, qui offre le plus haut niveau de coopération. Nous construisons la sécurité. Je pense qu'il est plus sage d'avoir ces coopérations directes et de construire l'interopérabilité dans les réalités pratiques, que de commencer un grand débat sur la nouvelle doctrine de sécurité de la Suède. Ouvrir un nouvel environnement sécuritaire peut avoir un niveau plus élevé de tensions dans notre partie de l'Europe.

L'heure tourne, dernière question : le projet d'avion britannique de combat du futur, le Tempest, concurrent du SCAF franco-allemand. Ce n'est pas très clair, la Suède participe-t-elle ?

Nous avons un accord. Et nous travaillons sur la base de cet accord. Je n'ai pas plus de commentaires sur ce sujet.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé par vidéo conférence, vendredi 12 mars après-midi, en anglais

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