Défense UE Stratégie

[Entretien] La défense européenne a un rôle à jouer dans les Balkans (Matej Tonin, Slovénie)

(B2 à Lisbonne - exclusif) À quelques semaines de la prise de commande du Conseil de l'Union européenne par la Slovénie, Matej Tonin, son ministre de la Défense, nous détaille ses priorités : les Balkans, l'efficacité énergétique des armées et la coopération UE-OTAN. L'occasion aussi de dévoiler une future plus grande implication des Slovènes dans EUTM Mali

B2 a rencontré le ministre slovène de la Défense, Matej Tonin avant la prise de la présidence du Conseil en juillet (c) Slovénie

L'avenir des Balkans est-il nécessairement une priorité pour la présidence de la Slovénie ?

— La coopération entre les Balkans occidentaux est une priorité. C'est une des parties les plus fragiles d’Europe. Cela signifie que si quelque chose va mal là-bas, l’Europe entière en subira les conséquences. Je me souviens encore des guerres des Balkans. Je me souviens des réfugiés, quand j'étais à l'école primaire. C'est pourquoi nous sommes très prudents sur ce sujet.

Ce n'était pas une priorité des Européens jusqu'ici ?

— Au cours des deux dernières années, notre attention à l'égard des Balkans était égale à zéro. Elle était ailleurs, par exemple en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Ukraine... Alors qu'il y a des processus en ce moment dans la région, qui ne sont pas en faveur de la stabilité et auxquels nous n'avons pas assez prêté attention. Comme la présence de superpuissances, que sont la Russie, la Chine, la Turquie… Donc, selon nous, le seul avenir pour les Balkans est l'Europe et l’axe euro-atlantique. C’est pourquoi nous avons été et nous serons les grands partisans des portes ouvertes dans l'Union et l'OTAN. C'est le seul moyen d'apporter la paix, la stabilité et la prospérité.

Le domaine de la défense peut-il être un outil pour rapprocher l'Union et les Balkans ? Ces pays pourraient-ils participer à la PESCO comme États tiers ?

— Absolument. Selon moi, attirer ces pays dans la PESCO leur donne la possibilité de travailler avec certains des meilleurs instituts de recherche sur de très bonnes initiatives. C'est comme dans le foot, si vous jouez avec de bons joueurs, vous vous développez personnellement et vous devenez un meilleur joueur. L'opportunité est de leur montrer comment ils peuvent devenir meilleurs.

La facilité européenne pour la paix serait-elle également un outil ?

— La facilité européenne pour la paix peut aider à renforcer les capacités et permettre à un pays de se réformer. Elle peut être utilisée de différentes manières, nous avons à l'esprit des projets, des initiatives pour la modernisation des forces armées dans les Balkans.

Un exemple en particulier ?

— En Bosnie-Herzégovine. La situation y est très sensible, avec beaucoup de combats politiques et d'objectifs différents. Mais dans le pays, l’armée est un dénominateur commun important, elle montre en pratique l’unité des trois entités du pays. L’armée peut être une force unificatrice. C'est définitivement un signe positif. Le symbole est important. Aider l'armée signifie aider la Bosnie-Herzégovine. Des politiciens qui construisent la polarité des nations sur une base nationaliste peuvent avoir beaucoup de succès, mais ils détruisent le concept de la Bosnie-Herzégovine, c’est pourquoi nous ne pouvons pas les laisser de côté.

Avez-vous une autre priorité ? 

L'efficacité énergétique. Partout où nous opérons, l'approvisionnement en énergie est l'une des principales préoccupations. Il est opportun de réfléchir aux nouvelles technologies, à la manière d'utiliser l’énergie plus efficacement. C’est par exemple l’hydrogène comme un substitut de l'essence, du diesel. C'est aussi construire des bâtiments, des casernes, des bases plus efficacement. L'essentiel est certes que nous atteignions nos objectifs militaires. Mais en fin de compte, la fourniture d'énergie et l'efficacité énergétique sont des éléments essentiels au maintien des opérations, au maintien des bases militaires et des casernes.

Et comment cela s'inscrit-il dans la perspective de la défense européenne ?

— Ce travail s'inscrit dans la perspective européenne car nous parlons beaucoup du Green deal. Et la défense, peut jouer un rôle dans une Europe plus verte. En plus, nos ressources énergétiques sont limitées. Leur utilisation plus efficace signifie une plus grande résilience et donc une meilleure autonomie.

En pratique, que fait la Slovénie dans ce domaine ?

— J'espère que nous serons les premiers militaires à introduire des avions électriques dans nos forces. Ce ne sont pas des drones, ils auront du personnel à bord. Ils pourront être utilisés pour beaucoup de choses, mais pas pour le combat. Mon objectif est qu’ils arrivent avant que nous prenions la présidence du conseil de l'Union européenne, en juillet.

C'est ce que votre pays peut apporter au projet ?

— Exactement. Pour les petits pays, nous devons construire une capacité de niche. Nous ne pouvons pas rivaliser avec les superpuissances. Mais nous pouvons être une valeur ajoutée. Nous pouvons être des membres utiles de l'Union européenne et de l'OTAN grâce à nos compétences de niche. Et un point sur lequel je veux faire avancer notre réflexion est la défense verte.

La coopération UE-OTAN, vous tient également à cœur, il me semble ?

— C'est notre troisième priorité. L'OTAN restera l'épine dorsale de notre défense collective et fera partie intégrante de l'architecture de sécurité européenne. Et une Union forte signifie une OTAN forte. Il est ainsi essentiel de maintenir un partenariat fort. Un partenariat stratégique est nécessaire pour l'échange d'informations, le développement des capacités, mais aussi pour la non-duplication des activités, faire face aux menaces hybrides et la cyberdéfense, dans la dimension opérationnelle, la mobilité militaire, sur le risque climatique. Tout cela est important pour la coopération transatlantique.

La Slovénie participe, elle, à huit projets PESCO. L’un d’eux vous tient-il plus à coeur ?

— Deux projets PESCO en particulier : les services de surveillance CBRN (nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique) dont on espère une capacité opérationnelle totale en 2025, et où la Slovénie prend le lead du groupe d'experts sur la standardisation. Et la mobilité militaire.

En dehors de la PESCO, il y a un projet dans le cadre de l'efficacité énergétique qui nous importe : RESHUB Network en Europe. Il vise  mettre en place une capacité de collecte d'énergie renouvelable et de stockage d'énergie à base d'hydrogène (H2) et faciliter le transport transeuropéen. Nous avons le lead, et travaillons avec l'Autriche la Belgique, l'Allemagne et la Hongrie.

Quelle est la valeur ajoutée de la Slovénie dans le développement d'une défense européenne ?

— Nous n'avons le lead sur aucun projet PESCO, nous sommes un petit pays, et notre industrie de la défense n'est donc pas très bien développée pour le matériel. Mais elle l'est pour les logiciels. Nos entreprises ont beaucoup de succès sur les simulateurs très réalistes qui produisent différents types d'armes, de véhicules et de systèmes. Ils sont importants, car ils permettent de réduire le coût des formations, en s'entraînant d'abord sur le simulateur, avant d'aller sur le terrain. C'est là la valeur ajoutée de la Slovénie.

En termes de missions et opérations, voyez-vous un futur pour les troupes slovènes ?

— Pour mes prédécesseurs, l'important était d'avoir un drapeau slovène dans toutes les missions, avec au moins une personne. Mais le gouvernement actuel veut que, où que nous soyons, nous soyons suffisamment pour pouvoir apporter un soutien pratique sur le terrain. C'est pourquoi nous augmentons le nombre de personnels dans la mission européenne EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine et la KFOR au Kosovo. De même, après avoir quitté l'Afghanistan, nous augmenterons notre présente dans la mission de l'OTAN en Irak. Et dans la mission de formation de l'UE au Mali, nous avons un objectif ambitieux avec l'envoi d'hôpitaux de campagne. Nous sommes en train d'en discuter avec nos amis et alliés.

Vous fournirez le personnel pour les hôpitaux de campagne ?

— Nous sommes prêts à fournir des équipements et un nombre limité de personnels. Mais nous aimerions que des partenaires nous aident à fournir le personnel suffisant pour opérer. C'est un projet énorme, et il y a besoin de beaucoup de personnels pour faire fonctionner et gérer une telle installation. La Slovénie, seule, ne peut pas fournir le nombre suffisant. Notre objectif est de fournir cette capacité en 2023.

Pourquoi investir au Mali pour la Slovénie ? 

— La première raison est que si quelque chose va mal en Afrique du Nord, nous le ressentons en Europe. Comme avec la migration en Slovénie, où la majorité des migrants illégaux viennent d'Afrique du Nord. C'est pourquoi l'instabilité dans cette partie de la région a des conséquences directes. C'est un choix national et tout à fait pratique : nous voudrions aider les gens pour réduire les flux migratoires vers l'Europe.

La seconde raison ?

— C'est que nous entendons les appels du Haut représentant de l'UE Josep Borrell demandant à faire plus, en particulier dans les missions européennes. C'est aussi pour montrer que la Slovénie est engagée dans les objectifs européens et dans les missions européennes. Pour l'instant, l'Union européenne ne s'est occupée que de la carotte et nous devons aussi développer le bâton. Si vous voulez être un acteur mondial, vous avez besoin des deux. Nous dépensons des millions pour des aides, mais au final, nous n'avons pas de personnel, d’équipements, de capacités pour sécuriser nos décisions politiques sur le terrain également. D’où notre investissement plus poussé.

EUTM Mali peut-il servir de bâton pour les Européens ?

— De mon point de vue, le principal objectif est de dissuader le terrorisme. Sans militaires formés et équipés, il y aura probablement un autre refuge pour un autre type d'organisation terroriste. Il y a eu des difficultés et des problèmes de gouvernance, des coups d’État, au Mali... c'est problématique. Mais nous essayons d'aller de l'avant et de trouver des solutions démocratiques.  Il n'est pas dans notre intérêt de financer un coup d'État militaire qui, plus tard, développera une dictature et dirigera le pays.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé en face à face, en anglais, en marge de l'informelle Défense, le jeudi 27 mai.

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