Moyen-OrientStabilisation - Paix

[Entretien] Le pronostic vital est engagé pour le Liban. Il faut agir, et vite (Gwendal Rouillard)

Gwendal Rouillard (DR)

(B2) La question du Liban devrait se retrouver, encore une fois, sur la table des ministres des Affaires étrangères, ce lundi (12 juillet), mais uniquement sous forme d'un point d'affaires courantes. La situation dans le pays est cependant critique

Coauteur d'un rapport sur l'après-Chammal au Moyen-Orient, le député français Gwendal Rouillard (LREM), proche du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, est aussi un fin connaisseur de la situation libanaise, car il vit en partie à Beyrouth.

Vous connaissez bien le Liban, vous y allez souvent. Quelle est la situation sur place ?

— Chaotique. Le pays connaît une grave pénurie de médicaments, de produits alimentaires, d’électricité et de carburants. Des gens se battent notamment dans les stations services et nous déplorons même quelques morts. Il est en situation d’urgence vitale et cela va s'aggraver encore ces prochains mois. Le pronostic vital est donc engagé pour le Liban. Il s'est effondré. Les familles souffrent. Il faut agir vite et fort. On va devoir changer d'échelle d’intervention.

C'est pour cela que dans le rapport de l'Assemblée nationale que vous co-signez, vous préconisez la mise en place d'une task-force humanitaire ?

— Oui. Nous recommandons une task-force internationale humanitaire et civile sous l'égide des Nations unies et de la Banque mondiale. Une trentaine de personnes installées à Beyrouth qui permettraient de coordonner et d'amplifier les actions humanitaires et de développement, menées notamment avec les ONG et les forces armées libanaises, qui restent les seules efficaces. L'action humanitaire doit être confortée, mais sans la classe politique libanaise.

Vous ne leur faites pas confiance ?

— Politiquement, aujourd'hui, nous sommes dans l'impasse. Les politiciens libanais actuels doivent être frappés de sanctions. C'est ce qu'attendent les Libanais : des actes et des sanctions véritables qui frappent les dirigeants du pays. Il est encore possible de changer le Liban, mais il faut des sanctions contre une classe politique incompétente et corrompue. Pour l’avenir, l’important sera ensuite la tenue des élections en 2022. Les Libanais devront pouvoir s’exprimer librement.

Il y a un risque que les élections ne soient pas tenues ?

— La tentation de la classe politique actuelle est de repousser les élections. Il existe un véritable enjeu pour garantir la tenue de ces élections selon le calendrier électoral prévu (1). Les ministres français Jean-Yves Le Drian et son homologue américain Antony Blinken se sont exprimés récemment clairement sur le sujet.

Vous croyez en une nouvelle génération politique libanaise ?

— En mai dernier, Jean-Yves Le Drian avait rencontré à Beyrouth ces nouvelles forces politiques du changement, issues notamment des jeunes générations et de toutes les communautés. Elles sont encore peu connues dans les cercles habituels, mais portent le vent du changement. Lors du vote récent à l'ordre des ingénieurs, elles ont recueilli 73% des voix avec deux fois plus de votants. C'est une lueur d'espoir pour beaucoup de Libanais. Nous devons accompagner ces nouvelles forces politiques si nous voulons contribuer au sauvetage du pays.

Vous parlez de sanctions. Cela pourrait aider à cette transition. Cela ne risque-t-il pas d'ajouter du chaos au chaos ?

— Non. Le message politique est aussi important que les sanctions. Nous devons donner une confiance aux magistrats et aux avocats courageux qui luttent véritablement contre la corruption et ceux qui risquent leur vie pour la manifestation de la vérité. Il s'agit de leur dire : la France et les partenaires européens sont là, participent avec vous à la lutte contre l'impunité et essaient de soutenir l'État de droit. On doit aider à la transition démocratique.

L'Europe semble hésiter cependant. Le problème juridique n'est pas mince ?

— Le processus [de sanctions] doit être sérieux. Mais il ne doit pas s'enliser. Il faut une décision plus rapide, dans les prochaines semaines. On doit donner un signal politique clair, alors qu'approche le premier anniversaire des explosions du 4 août. Le dossier doit être traité en urgence à Bruxelles. Plus personne n'a le luxe du temps. J'attends une parole forte et crédible de l'Union européenne.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Les élections législatives sont prévues en mai, avec les élections municipales dans la foulée. Et la présidentielle est organisée fin 2022 (dans le système électoral libanais, l'élection du président est faite par les députés).

Entretien réalisé par téléphone, en français, vendredi 9 juillet

Lire : Les sanctions contre le Liban ne sont qu’une option parmi d’autres pour faire pression

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.