(B2, à Brdo) Pour le ministre luxembourgeois de la défense, la crise en Afghanistan fait bouger les lignes. Une crise qui aura des conséquences sur les réflexions futures dans l'Union européenne, depuis les battlegroups jusqu'à la boussole stratégique
(Crédit : Conseil de l'UE)
Certains habitués disent qu'on a rarement vu une réunion des ministres de la Défense aussi dense ?
— C'est vrai. Tout le monde a été dans le modus : 'on a un problème'. Les interventions étaient parfois très émotionnelles. Mais je reste stoïque. Dans toutes les crises, il y a un moment de l'émotion, puis elle diminue et disparaît. [...] En même temps, je dois dire aussi que quand on regarde l'histoire, c'est l'histoire qui fait bouger les choses.
Quelles leçons faut-il tirer de cette situation ?
— J'en vois deux. Première leçon : la crise en Afghanistan a fait bouger les lignes... chez tous les participants. Les ministres à l'Est de l'Europe, habituellement plus réservés à une forme de coopération renforcée [au niveau européen], ont fait des pas dans cette direction. C'est une évolution. Le discours est différent d'il y a encore quelques mois. Seconde leçon : c'est bien de définir un battlegroup, mais qui en aura le commandement ? Si ce sont 27 États qui commandent, décident ou coordonnent, cela ne fonctionnera pas.
Du coup la boussole stratégique devient vraiment un exercice concret ?
— Je crois que tout le monde, et les pays de l'Est surtout, commencent à se rendre compte que les États-Unis ont autre chose à faire, ils s'occupent beaucoup plus de leur propre situation. Ce n'est pas une question de désolidarisation, mais les Américains ne veulent plus se mettre à la place des Européens. Pour eux le message est vraiment devenu très clair : « Chers Européens s'il vous plaît, allez-y ».
Les Européens n'auraient pas été capables de faire les évacuations d'Afghanistan tout seuls ?
— Non. Le risque aurait été que les nations plus fortes réussissent à s'organiser très vite et à sortir. Mais il n'y aurait eu personne capable comme les États-Unis, de sécuriser pendant trois semaines, la partie militaire de l'aéroport de Kaboul. C'est cela l'enjeu principal.
C'est un peu l'idée de la force d'entrée en premier, pouvoir partir plus vite ?
— C'est l'idée : avoir une force permanente. Mais attention : beaucoup de gens ont en tête l'idée que nous allons créer une structure à part. Ce n'est pas nécessaire. Il faut seulement, de la même façon qu'à l'OTAN, créer un groupe de soldats disponibles, qui puissent être déployés très vite et seraient entraînés face à différents scénarios.
C'est possible ?
— On a des troupes, des équipements, du matériel, etc. Ce qui compte vraiment maintenant, c'est de les organiser...
... Sur un mode de coalition de volontaires, comme avec l'EATC ?
— On peut mutualiser nos moyens en effet comme on l'a fait à EATC [le commandement européen du transport aérien]. Évidemment, il faut alors abandonner un peu de souveraineté. Un tout petit peu. Cela ne signifie pas que nous n'avons plus rien à dire en tant qu'États. Mais quand l'action a lieu, il y un centre de coordination, un commandement.
Cela a bien fonctionné dans la crise de Kaboul ? Vous avez réussi à mutualiser vos efforts ?
— Pour l'opération à Kaboul les pays membres de l'EATC ont fait un très bon travail. En effet. D'ailleurs sans cela, nous n'aurions pas réussi à évacuer aussi vite autant de personnes. Surtout entre le Benelux et l'Allemagne, cela a très bien fonctionné.
L'Afghanistan est un exemple à méditer pour les Européens, au Sahel par exemple ?
— C'est difficile à comparer. Le Mali, d'un point de vue politique, est un cadre tout à fait différent de l'Afghanistan. Mais cela n'empêche pas de réfléchir. Il peut arriver qu'un jour, il y ait des problèmes dans un pays et qu'il faille sécuriser militairement un aéroport pour faciliter des évacuations. Actuellement, nous sommes là surtout pour protéger les troupes qui font des entraînements. C'est assez facile en soi. Mais imaginez qu'un jour il y ait vraiment un gros problème par exemple autour de l'aéroport de Bamako : qui sécuriserait l'aéroport, assurerait la coordination, etc. ? C'est à toutes ces questions qu'il faut répondre. Et il vaut mieux les anticiper...
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien réalisé en face à face à Brdo (Slovénie) en français, jeudi 2 septembre, en marge de l'informelle défense
Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)