[Leçons de l’Afghanistan] Nous avons des ressources. Mais c’est la décision politique de les utiliser qui compte (Jan Havránek)
(B2, à Brdo) Ministre adjoint chargé de la stratégie et de la politique de défense de la République tchèque, Jan Havránek, a participé à la réunion informelle Défense, jeudi (2 septembre) surtout consacrée aux leçons de l'Afghanistan

- Son point de vue est intéressant. Pays enraciné dans l'alliance euro-atlantique (Prague a accueilli en 2002 le premier sommet de l'OTAN dans un pays de l'Est), la République tchèque s'est aussi délibérément engagée du côté militaire dans le cadre l'Union européenne.
- Ses réponses sur les priorités tchèques pour la boussole stratégique et la future présidence (les menaces hybrides), ainsi que sur l'engagement au Mali - EUTM et Task-force Takuba (une question de crédibilité européenne et d'interopérabilité militaire), sont donc à lire aussi avec attention.
La crise afghane
L'Afghanistan était au centre des discussions de l'informelle. Quelles sont les principales leçons que vous tirez de cette crise ?
— D'un côté, les échanges bilatéraux et la coopération ad hoc ont été parfaits. Les ministres se sont parlé et ont été capables de s'entraider. Ce qui montre que la communauté internationale peut agir en temps de crise. De l'autre, la question est de savoir ce que l'Union européenne aurait pu faire de mieux. Nous devons certainement nous coordonner davantage. Il faut examiner ce qu'il s'est passé pendant l'évacuation, ce qui a manqué, et identifier les mécanismes clés pour améliorer notre coordination.
Que peut-on améliorer dans cette coordination ?
— Il n'y avait pas un format standard ou un comité permanent qui coordonnait les vols. Tout cela était très empirique. Examinons les options de réponse immédiate aux crises dont nous disposons, et étudions également comment nous pouvons, dans de telles situations, travailler en étroite collaboration avec l'OTAN, également très occupée à ce moment-là. Il est toujours possible d'améliorer la coordination et la coopération.
Pour vous, l'Union européenne pourrait avoir un rôle politique ou militaire ?
— Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'au final, c'est toujours une question de volonté politique. Nous avons des capacités, nous avons des ressources, mais c'est la décision politique d'utiliser ces ressources qui compte. Il faut faire preuve de bon sens parfois, plutôt que d'être bloqué par des barrières institutionnelles.
Quelle est votre opinion au sujet de la force d'entrée en premier (initial entry force) proposée par certains pays ?
— Aujourd'hui, nous n'en avons pas vraiment discuté en détail. Certains États en ont parlé. Et il y a clairement une discussion à avoir sur la relation entre les battlegroups de l'UE d'une part — qui n'ont jamais été déployés —, et cette nouvelle idée. La République tchèque est un des pays qui a approuvé le document mentionnant un scénario à prendre en considération pour la planification. Pour nous, il n'a jamais été question d'une nouvelle structure. Que ce soit une nouvelle structure ou une idée, au bout du compte — je le redis —, tout dépend des ressources et du type de décisions que les États membres sont prêts à prendre. Les structures sont secondaires en quelque sorte.
Quelle est votre principale réflexion sur l'évolution future de la défense européenne, la boussole stratégique ?
— Mon pays met l'accent sur la lutte contre le terrorisme hybride. Nous espérons vraiment voir émerger une boîte à outils contre les menaces hybrides dans la foulée de la boussole stratégique. L'UE doit d'abord décider ce que cela signifie, ce que veut dire l'interférence hybride. Mais nous ne devons pas nous attarder trop sur la définition. Sinon cela aura moins d'efficacité. Tout le monde est d'accord pour dire que l'UE doit rassembler toutes les ressources et tous les outils dont elle dispose déjà dans le domaine cyber, dans la communication stratégique, pour les organiser d'une meilleure manière et les utiliser ensuite pour lutter contre le terrorisme hybride vis-à-vis des acteurs étatiques ou non étatiques. C'est un des points que nous allons vraiment mettre en avant, notamment durant la prochaine présidence tchèque [au second semestre 2022].
L'engagement au Mali
Les militaires tchèques ont très tôt été engagés au Mali, depuis le début de la mission EUTM de l'Union européenne. Ce n'est pas un pays proche historiquement ou géographiquement cependant. Pourquoi cet engagement ?
— Ce n'est pas sorti du néant. C'était une décision consciente il y a huit ans maintenant, en 2013, de se joindre aux efforts de l'UE au Mali. Parce que nous voulions contribuer davantage à la PSDC, aux missions et opérations de l'UE. Il y a un engagement à lutter contre le terrorisme bien sûr. Mais cet engagement nous a aussi aidé à améliorer notre interopérabilité avec nos partenaires, avec la France en particulier. Cela nous donne davantage de crédibilité lorsque nous discutons de l'avenir de la PSDC et des opérations de l'UE. En raison de notre déploiement soutenu là-bas, nous avons une meilleure compréhension de la situation, de la façon dont la mission fonctionne.
... de la crédibilité pour vous dans le monde ou au sein de l'UE ?
— En termes de discussion institutionnelle, sur les futures tâches de l'UE dans la région du Sahel. L'année dernière, nous avons assuré le commandement d'EUTM Mali et nous le reprendrons l'année prochaine. Ce qui nous donne beaucoup d'expérience et d'influence pour parler et façonner l'avenir des missions de l'UE. Pour nous, il ne s'agit pas d'un engagement d'opportunité, le coup d'une fois, mais d'une stratégie cohérente.
C'est pour cela que vous avez décider également de vous engager dans la task-force Takuba ?
— C'est vrai que, pour nous, c'est tout à fait nouveau. Mais cela fait partie d'une stratégie dans ce pays. La task-force Takuba continue la mission d'EUTM : former ces forces. EUTM fait la formation initiale, Takuba la complète [pour les forces spéciales]. Nous cherchons ainsi à établir des liens plus étroits entre les efforts de l'UE et ceux déployés sur le terrain.
En termes concrets, c'est une coalition de volontaires...
— Il y a un lien très étroit avec l'empreinte de l'UE. C'est une coalition européenne qui montre que les États membres de l'UE sont aussi capables de mettre en place une coalition significative, une force significative, avec le soutien de la France en tant que pays leader de la coalition, mais aussi avec le soutien en matière de renseignement et de certaines capacités américaines, également engagées dans la région.
C'est donc un bon exemple de ce que l'Union pourrait faire en plus des missions de la PSDC, dans d'autres zones régionales par exemple ?
— Bien sûr. C'est un exemple parfait où les Européens sont engagés dans une opération de stabilité. Cela a un intérêt pour l'OTAN, les États-Unis aussi. Et cela ne fait pas double emploi avec les efforts en cours ailleurs. C'est cela qui est essentiel. C'est vraiment complémentaire.
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien réalisé en anglais, en face à face à Brdo (Slovénie), jeudi 2 septembre, à la fin de la réunion informelle défense