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[Entretien] Trois coalitions possibles en Allemagne. Ampel en tête. Et quid de la défense européenne (Ulrike Franke)

(B2) La formation du gouvernement allemand va nécessiter des négociations. Trois hypothèses de coalition sont possibles. Chacune avec un impact particulier sur les questions de défense européenne. Ulrike Franke, chercheuse au ECFR, experte du sujet, nous livre son analyse

Les résultats des élections 2021 en comparaison à 2017 montrent une défaite des conservateurs, et une poussée des sociaux-démocrates et des Verts (der Bundeswahlleiter)
  • Les sociaux-démocrates du SPD, menés par Olaf Scholz, sont arrivés en tête du scrutin législatif de dimanche 26 septembre avec 25,7%. Un score notable mais insuffisant pour créer une majorité au Parlement. Les partis doivent donc créer une coalition (un classique en Allemagne). Les conservateurs CDU-CSU de Armin Laschet remportent 24,1 % des voix, les Verts 14,8%, devant les libéraux du FDP avec 11,5%.
  • Au mercredi 6 octobre, des négociations ont débuté entre le SPD, les Verts et le FDP pour une coalition Ampel (feux tricolores), et prend de l'avance. Le candidat Armin Laschet a déclaré que la CDU/CSU est toujours ouverte à des discussions trilatérales avec le FDP et les Verts.

Assurément, les questions de défense ne figurent pas en haut des priorités dans les négociations de coalition. Il ne faut pas complètement les oublier pour autant. Certains sujets ont encore de quoi donner mal au crâne aux négociateurs les plus chevronnés.

L'Ampel-Koalition (Vert, Orange, Rouge) entre Die Grünen, le FDP et le SPD

Commençons par cette coalition, aux couleurs des feux de circulation, qui a la faveur actuellement. Les trois partis ont-ils des positions proches sur la défense ?

Les SPD et les Verts ne font pas de la défense et de la défense européenne une priorité. Ils sont plus proches en matière de défense et de politique étrangère. Mais le FDP et les Verts se rejoignent sur leur volonté d'une politique étrangère fondée sur les valeurs, comme le respect des droits de l'homme. Les Verts ont une tradition pacifiste.

Dans cette coalition à trois, quelles sont les hypothèses de répartition entre les postes de ministres des Affaires étrangères et Défense ?

Je pense que le principal point de discorde portera sur l'attribution du ministère de la Défense. Il est probable que les Affaires étrangères reviennent aux Verts, deuxième parti le plus important. Et la Défense au SPD ou FDP. Si le FDP obtient la Défense, ce sera plus facile pour les Européens. Le plus grand défi ne sera pas seulement celui des négociations pour une coalition, mais aussi d'aller à Bruxelles et de traiter avec les Européens.

Quels sont les sujets de tension qui peuvent naître ?

Premier sujet : les Verts critiquent le Fonds européen de défense (FEDef) tel qu'il est conçu actuellement. Selon eux, il détourne l'argent civil pour une aide militaire. Nous ne savons pas si cette idée se traduira par une position active de l'Allemagne contre le FEDef. Ce serait extrême.

L'autre question est celle de l'armée européenne. Il est amusant de constater que tous les principaux partis allemands soutiennent cette rhétorique. La question est de savoir ce que cela signifie. Pour le SDP et les Verts, parler de l'armée européenne et des choses au niveau européen est en partie motivé par le fait de ne pas vouloir faire les choses au niveau national. Si telle est l'approche, elle ne fait pas avancer les choses au niveau européen.

Enfin, le SPD et les Verts souhaitent un contrôle des exportations d'armes allemandes et européennes. Le FDP n'est pas particulièrement enthousiaste. Cela signifierait moins d'exportations pour les capacités européennes.

Cela aura-t-il un gros impact sur la défense européenne ?

Si impact il y a sur la défense européenne, ce sera sur le rôle de l'Allemagne dans le partage nucléaire de l'OTAN. Des armes nucléaires américaines sont stationnées en Allemagne et sont censées être transportées par des avions allemands, qui se font de plus en plus vieux. Le gouvernement précédent a reporté la décision sur la manière de les remplacer sur la prochaine coalition. Ni le SPD ni les Verts ne soutiennent les armes nucléaires. Donc comment sont-ils censés dépenser de l'argent pour des avions à capacité nucléaire ? S'ils ne le font pas, l'Allemagne se retire de l'accord nucléaire de l'OTAN. Le tout pose un problème pour l'organisation de la défense européenne car il sape son principe fondamental : elle repose sur l'OTAN.

La Jamaïcaine entre CDU, les Verts et le FDP

Le nucléaire serait-il le gros débat entre les chrétiens-démocrates et les libéraux, d'une part, et les Verts, de l'autre ?

En effet. Le partage du nucléaire serait définitivement un problème. Les Verts s'opposent totalement aux armes nucléaires. Il y a d'autres points de rupture. Notamment un clash sur les contrôles à l'exportation. Les Verts veulent des contrôles stricts des exportations au niveau européen et la CDU non. Puis, il y a le financement de l'armée, et l'objectif de l'OTAN d'investir 2 % du PIB dans la défense. La CDU soutient l'objectif des 2 % et cherche à l'atteindre. Les Verts sont contre et s'opposent à la méthode.

Et sur la défense ? 

Sur une défense européenne plus particulièrement, les partis sont d'accord sur le principe. Mais les Verts pourraient protester sur le FEDef et faire pression pour un nouveau mode de financement des efforts de défense dans l'UE. Même si le Fonds est déjà en route... C'est une question de principe. La coalition serait une meilleure nouvelle pour l'OTAN, car elle serait dirigée par la CDU qui soutient davantage l'OTAN que les autres partis.

La place de la défense serait donc plus importante que dans les autres négociations de coalition ?

La défense serait ici plus en évidence. Principalement parce que les Verts et la CDU pourraient s'affronter. Le FDP serait plutôt du côté de la CDU.

Le retour de la Grande coalition Rouge-Noire (SPD-CDU/CSU)

Enfin, parlons de cette hypothèse, peu souvent évoquée. C'est la formation actuelle (CDU/CSU en tête avec le SPD), mais celle-ci aurait à sa tête le SPD et non plus la CDU/CSU. Y verrions-nous vraiment une différence ?

Ce serait une continuation de ce que nous avons jusqu'à présent. Ils soutiendront la défense européenne, les nouveaux systèmes, les institutions..., mais sans vouloir dépenser pour les capacités. Une position moins confortable qu'actuellement. Dans cette coalition, la CDU/CSU aurait le ministère des Affaires étrangères, ce serait une première.

L'argent constitue-t-il le seul point d'accrochage ?

La plus grande différence est la suivante : la CDU/CSU s'appelle le parti de la Bundeswehr, le SPD s'appelle le parti de la paix. La CDU mentionne le militaire comme un outil de politique étrangère. La CDU est la plus transatlantique et la plus axée sur l'OTAN, elle s'assurerait que la défense européenne ne cause pas de problèmes et qu'elle n'entrave pas l'OTAN. Le SPD n'est pas aussi inquiet à ce sujet. Les contrôles à l'exportation seraient aussi un sujet parce que le SPD, en tant que chef de file, y mettrait davantage de pression. Je ne pense pas que la question de la défense européenne pose problème. Ils seraient d'accord pour en faire plus au niveau de l'UE et voir comment cela se passe à Bruxelles.

Armée européenne, Eurodrone, opérations. Les projets européens qui peuvent coincer... ou non

Les grands partis parlent tous d'une armée européenne, est-ce sérieux ?

Tous les partis sont d'accord, sur le papier, pour une armée européenne. Soit ils ne savent pas ce qu'ils veulent dire, soit ils ne le pensent pas. Sauf le FDP, le seul à être très clair, à vouloir des États-Unis d'Europe, une armée européenne. Le SPD parle d'une 28ème armée, qui pourrait être la « force d'entrée initiale ». Mais c'est peu convaincant pour un parti qui ne veut pas dépenser d'argent pour la défense.

Nous n'avons pas parlé d'un grand projet capacitaire comme le SCAF, le système aérien du future. Son avenir est-il menacé ?

Sur le SCAF, la Jamaïcaine continuera à le soutenir et à le financer. Ampel pourrait en faire un sujet plus important, sur la part d'autonomie, d'intelligence artificielle dans les drones. Je ne vois donc pas de fin pour le SCAF, parce que c'est un programme franco-allemand et qu'il serait désastreux politiquement d'y mettre fin. En plus, aucune coalition n'en verra le bout.

... et sur l'Eurodrone ?

Il est clair qu'Ampel ne signera pas pour des drones armés. Cette coalition pourrait l'acheter non-armé, cependant. Dans la Jamacaine, les partis se battraient pour savoir s'il faut l'acheter armé ou non. La CDU est pour, le SPD contre.

Et sur l'engagement de la Bundeswehr en opérations ?

Les Verts et le SPD sont particulièrement réticents vis-à-vis du déploiement de la Bundeswehr. Quoique, en fin de compte, ça n'a pas beaucoup d'importance. En Allemagne, en général, personne ne veut jamais la déployer. Simplement, parfois, il le faut.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé jeudi 1er octobre, par vidéo-conférence, en one to one, en anglais

Les résultats des élections du Bundestag

Lire l'analyse complète de Ulrike Franke sur les programmes en matière de défense et sécurité pour l'ECFR

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