(B2 en Norvège) Prévu de longue date, l'exercice d'entraînement interalliés Cold Response prend une dimension particulière dans le contexte de guerre en Ukraine. En cas de déclenchement de la NRF, la brigade franco-allemande serait la première à être déployée. Son chef, le général Jean-Philippe Leroux, explique les tenants et aboutissants.
Général Jean-Ph. Leroux Photo : Sud-Ouest/B2
La Brigade franco-allemande est le bataillon d'alerte (stand by) au sein de la capacité de réponse rapide de l'OTAN (NATO Response Force, NRF) pour l'année 2022. C'est-à-dire que la brigade serait la première force à être déployée sur un terrain d'opération.
Elle est aujourd'hui un des éléments moteurs de l'exercice inter-alliés Cold Response 2022 qui se déroule en Norvège actuellement.
Cet exercice a pour objectif d'entraîner les forces à la guerre symétrique comme c'est le cas en Ukraine. Est-ce que les forces sont prêtes à un tel combat ?
— Il faut distinguer deux choses. Premièrement, est-ce qu’on est prêt ? Et deuxièmement est-ce qu’on est prêt à y aller ? Pour ce qui est de la deuxième question, il s'agit d'une décision politique. Pour ce qui est de savoir si on est prêt : on s’y prépare en tout cas. Je suis entré à Saint Cyr [l'école de formation des officiers de l'armée de terre] en 1986 (1). En 35 ans, je n’ai pas vu jusqu’à présent un niveau de préparation aussi achevé qu’aujourd’hui. Je pense que le niveau que l'on atteint en multinational comme en national est extrêmement élevé.
Est-ce que l’entraînement peut aider à préparer de futurs déploiements pour les forces qui sont concernées ?
— Oui, notre ADN c’est de nous entraîner en permanence. Il faut toujours remonter la qualité de notre travail le plus haut possible, notre standard depuis toujours c’est d’être capable de vaincre ou au moins d’arrêter un ennemi à parité et lui faire renoncer à ses projets.
Comme chef militaire quel regard portez-vous sur les combats que vous voyez entre la Russie et l'Ukraine ?
— C’est très difficile d'en tirer grand chose parce que les messages sont brouillés et nous avons une vision très parcellaire de ce qu’il se passe. Mais ce que nous voyons n'est pas l'armée soviétique des années 1980. Elle a beaucoup changé dans les volumes, dans les tactiques et dans les équipements. Ici nous avons deux armées qui ont des capacités équivalentes et des structures équivalentes, elles sont toutes issues d’une même armée, à l’origine du Pacte de Varsovie. Nous avons donc du matériel qui se ressemble des deux côtés. Et là je pense que c’est très difficile de prévoir tactiquement comment les choses vont se passer.
Quand les moyens sont identiques comme ici dans l'exercice Cold Response entre la Norvège et les Alliés ou entre la Russie et l'Ukraine, qu'est-ce qui fait la différence ?
— C'est d'abord l’intelligence donnée par le renseignement. Si on arrive déjà à déceler ce que veut faire l’adversaire, on prend forcément un temps d’avance sur lui. Si on arrive de surcroît à gagner des initiatives, on peut se mettre en position de vaincre. Ensuite, il y a un facteur qu’il ne faut absolument pas négliger, c’est la logistique. Il peut y avoir des moments où on a les plus belles forces du monde, les plus entraînées, si derrière la logistique ne suit pas, et qu’il n’y a concrètement plus d’essence à mettre dans les véhicules blindés, là l’échec est assuré au moins localement, voire pour quelques temps. Dernière chose qu’il ne faut pas oublier : la force morale.
L'OTAN est donc capable de réagir, de faire face au retour de la guerre conventionnelle ?
— Oui. Je n’ai aucun doute là dessus. Nos unités, nos compagnies sont prêtes moralement, et techniquement. Nous avons là un bénéfice tactique énorme de pouvoir opérer dans un environnement rude, avec le froid et un terrain ardu. Notre capacité à réagir ne s’appuie pas seulement sur Cold Response. C’est un élément parmi d’autres qui nous permet de maintenir notre condition opérationnelle. Mais je peux vous assurer que nous avons placé le curseur très, très haut et que nous avons atteint l’objectif que nous nous étions fixé.
Quelles premières leçons tirez-vous de l'exercice ? Comment l'interprétez-vous dans la situation actuelle ?
— Il faut se rappeler que cet exercice est planifié depuis deux ans. Il n'y a donc pas de lien direct avec la situation actuelle. En 2021, qui aurait pu prévoir quoi que ce soit ? Mais, in fine, l’objectif est que l’OTAN dispose de forces prêtes à agir. Même si, naturellement, le contexte donne une teneur particulière à ce que nous faisons. Et là, toute occasion est bonne à prendre. Le contexte actuel ne fait qu’accroître la motivation de nos soldats. Ils se sentent vraiment investis de la mission de se défendre, de nous défendre, d'assurer la défense et la sécurité de notre pays (et des Alliés).
(Propos recueillis par Agnès Faure, au camp militaire de Réna)
Chef de la Brigade Franco-Allemande depuis le 6 juillet 2021, ce militaire de carrière formé à St Cyr est issu de la 2e compagnie du 110e régiment d'infanterie à Donaueschingen, qui était l'un des régiments de la Brigade Franco-allemande. Il était depuis 2017 Chef du bureau “Plans-études” du corps de réaction rapide européen (CRRE) à l'Eurocorps (Strasbourg).
Interview réalisée le vendredi 25 mars après-midi, en face-à-face, en marge de l’exercice Cold Response 2022, avec quelques journalistes (La Voix du Nord, Le Parisien, Europe 1, Sud-Ouest, Canal+ et FOB)
Documents : le CV du général + le dossier de presse de l'armée de terre sur l'exercice Cold Response.